Le Sénat a adopté hier soir, par 167 voix contre 152, la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste par la technique de la fracturation hydraulique en laissant toutefois la porte ouverte à des expérimentations en la matière. Une commission mixte paritaire composée de 7 sénateurs et de 7 députés sera chargée mercredi d’élaborer une version commune aux deux assemblées, version qui reviendra devant le Parlement pour un vote définitif. L’opposition dénonce, « une manoeuvre du gouvernement » et demande la poursuite de la mobilisation citoyenne. « Très éloignée de la situation idyllique que tente de nous vendre la majorité, le texte voté hier ne répond en aucun cas aux préoccupations légitimes de nos associations, estiment de leur côté Les Amis de la Terre, Greenpeace et le Réseau Action Climat-France. Explications.
Si la version initiale du texte prévoyait une abrogation pure et simple des permis, les députés avaient finalement décidé que leurs titulaires auraient deux mois pour déclarer la technique utilisée. C’est seulement s’ils recourent à la fracturation hydraulique, ou s’ils ne répondent pas, que les permis seront abrogés. « L’interdiction d’une seule technique laisse toute latitude aux industriels pour en trouver une autre, peut-être tout autant dévastatrice », estime le sénateur de Paris, Jean Desessard, rattaché au parti socialiste. « Quelle déception, alors que l’ensemble de la classe politique semblait à la mi-avril vouloir interdire l’exploration des hydrocarbures de roche, la loi, contre toute attente, légalise la pratique sous couvert de recherche scientifique », s’est exclamé Michel Billout (CRC-SPG, communiste et parti de gauche). Pour Nicole Bricq (PS) « les sociétés (pétrolières) ont gagné un premier round ». Elle a protesté contre l’absence au premier jour des débats de la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet qui « a préféré à l’heure du débat être en dédicace d’un ouvrage à la Fnac ». « On a le droit de croire en son destin national mais pas de se moquer du Parlement », a lancé la sénatrice. Le gouvernement était alors représenté par Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au Logement. Jeudi, devant la pression de l’opposition, la ministre de l’Environnement Nathalie Kosciusko-Morizet avait du prendre la parole pour défendre le texte lors des questions d’actualité au Sénat. « Il y a une vérité simple qui a du mal à passer : le gouvernement a pris les mesures pour mettre fin à l’exploitation des gaz de schiste ». Elle insiste : « L’objectif de cette proposition de loi est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique qui est la seule technique connue ». Quant à abroger les permis déjà donnés en catimini en 2010 par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Ecologie, ce n’est pas possible selon NKM. La ministre pointe « un risque financier considérable car c’est abroger une autorisation administrative ». L’article 2 permet justement, selon NKM, « de limiter le risque financier » en demandant « aux industriels de sortir du bois » par les déclarations qu’ils devront faire. « On voudrait en plus pouvoir retirer les permis, et le faire de manière non contentieuse », a expliqué la ministre sur Public Sénat. La majorité présidentielle a donc largement suivi les recommandations du gouvernement à l’image de celui que les anti-gaz de schiste présentent sur le net comme « le VRP de Total au Sénat », le sénateur centriste Claude Biwer. Sa position est clair : « Je ne souhaite pas qu’on ferme la porte définitivement à cette recherche » sur les gaz. « Nous avons semble-t-il la possibilité d’avoir sous nos pieds plusieurs décennies de consommation de gaz ou de pétrole », fait-il valoir. Claude Biwer ajoute : « Je pense qu’il y a besoin d’explorer, besoin de regarder, qu’il y a ensuite besoin d’ouvrir le débat et puis d’entendre les propositions que nous feront ces gens (les titulaires de permis, ndlr), qui ne demandent eux qu’à exploiter, c’est vrai ils sont là pour ça. Ils ont un métier, c’est pour ça. Mais on n’est pas obliger non plus de les suivre dans ce domaine là. En tout cas pas tout de suite »… « Nous ne défendons aucun lobby, nous avons la prétention de défendre l’intérêt général, de répondre à une situation malheureuse sans attendre. Il fallait aller vite, on répare des erreurs », a répondu Jacques Blanc (UMP). « Nous voulons arrêter tout risque, nous sommes sûrs qu’il n’y aura pas demain des explorations par la technique de fracturation hydraulique », a-t-il ajouté. « Ce texte évite un contentieux financier considérable pour l’Etat en annulant rétroactivement des permis qui ne sont pas des permis différenciés entre recherche du gaz de schiste ou recherche pétrolière normale », a argué Jean-Pierre Fourcade (UMP). L’amendement sur la proposition de loi gaz de schiste adopté au Sénat est consultable en cliquant ici. La majorité des sénateurs Ump souhaite désormais mandater un groupe de spécialistes, économistes et géologues, qui pourraient prochainement procéder à des recherches de gaz de schiste sur des lieux disposant d’un permis d’exploration depuis mars 2010. De son coté, le gouvernement attend désormais le rapport commandé aux conseils généraux de l’environnement et du développement durable d’une part, de l’industrie, de l’énergie et des technologies d’autre part. Dans un document d’étape remis en avril, les ingénieurs mandatés préconisaient de poursuivre la recherche et de réaliser des forages expérimentaux (Pour en savoir plus cliquez ici). Une fois ce dernier rapport rendu, la loi sera promulguée par l’exécutif à la rentrée 2011. Pour les sénateurs socialistes, « l’adoption de cette loi d’opportunité ne saurait mettre un terme à l’amplification de la mobilisation citoyenne, qui trouve son débouché dans les débats parlementaires. A ce titre, les sénateurs socialistes et rattachés appellent à la protection des territoires par la vigilance citoyenne. Le combat contre l’exploitation des hydrocarbures de schiste et en faveur de l’environnement continue ». Ils estiment qu’« il est impératif de faire émerger un grand débat citoyen sur l’énergie. Le panier énergétique dont la France veut se doter est une question majeure qui sera un enjeu de la prochaine élection présidentielle. Les Français doivent se prononcer en toute connaissance de cause ». Même réaction des ONG. « Très éloignée de la situation idyllique que tente de nous vendre la majorité, le texte voté hier ne répond en aucun cas aux préoccupations légitimes de nos associations » estiment dans un communiqué de presse Les Amis de la Terre, Greenpeace et le Réseau Action Climat-France. « En laissant la porte ouverte à l’exploitation future des gaz et huiles de schiste et à l’utilisation de la fracturation hydraulique, les sénateurs de la majorité et le Gouvernement ont décidé de faire fi des menaces importantes pesant sur notre environnement : crise climatique, pollution des sols et des eaux, boulimie énergétique… Cédant aux pressions du lobby industriel et adoptant un texte à portée purement électoraliste, la majorité ne fait que repousser le problème, laissant ainsi notre territoire à la merci de l’appétit de ces grandes entreprises. Sous couvert de grandes avancées, cette loi est en fait une non-réponse à la gravité de la situation et traduit concrètement l’absence de volonté de la majorité de nos élus à enclencher la nécessaire transition énergétique vers une maitrise de notre consommation d’énergie et le développement massif des énergies renouvelables ». « La mobilisation doit continuer afin d’obtenir une interdiction ferme et définitive de l’exploration et de l’exploitation des gaz et huiles de schiste, aussi bien en France qu’à l’étranger par les filiales d’entreprises françaises », concluent Les Amis de la Terre, Greenpeace et le Réseau Action Climat-France Paris.