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Les secrets de l’hétérophyllie : pourquoi certaines plantes ont différents types de feuilles ?

Par Céline Leroy, Directrice de recherche en écologie tropicale à l'Institut de recherche pour le développement (IRD)

Céline Leroy, chercheuse en écologie, nous parle de plantes relativement communes comme le houx, le lierre ou le chêne. Tous ces végétaux ont plusieurs types de feuilles. Cette réalité s’appelle l’hétérophyllie, souvent une fine stratégie d’adaptation ! Thierry Gauquelin1 nous emmène, de l’autre côté de la Méditerranée, découvrir ce colosse de plus de 500 ans qu’est le genévrier de l’Atlas marocain, auquel il a consacré un ouvrage entier. Il nous y explique au passage l’avantage, pour certains arbres, d’avoir de petites feuilles ! 

Pourquoi certaines plantes ont différents types de feuilles : les secrets de l’hétérophyllie

Toutes ces feuilles ont été prélevées sur la même plante : un houx commun. Frank Vincentz, CC BY

Céline Leroy, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Avez-vous déjà observé une plante avec des feuilles de formes différentes ? Ce phénomène, à la fois surprenant et fascinant, porte un nom : l’hétérophyllie. Loin d’être une bizarrerie botanique, il s’agit d’une véritable stratégie d’adaptation, permettant à certains végétaux de mieux faire face à la diversité des contraintes de leur environnement.


Vous avez sans doute déjà croisé du houx en forêt, dans un jardin ou même en décoration de Noël. Ses feuilles piquantes sont bien connues. Mais avez-vous déjà remarqué que toutes ne sont pas armées de piquants ? Sur une même plante, on trouve des feuilles épineuses en bas, et d’autres lisses plus haut. Ce n’est pas une erreur de la nature, mais un phénomène botanique fascinant : l’hétérophyllie, un mot qui vient du grec heteros signifiant différent, et de phullon, qui désigne la feuille.

Cette particularité s’observe chez de nombreuses espèces, aussi bien terrestres qu’aquatiques, où un même individu peut produire des feuilles très différentes par leur taille, leur forme, leur structure, voire leur couleur. Loin d’être simplement esthétique, cette diversité joue un rôle crucial dans la survie, la croissance et la reproduction des plantes.

Mais d’où vient cette capacité à changer de feuilles ? L’hétérophyllie peut en fait être déclenchée par des variations de l’environnement (lumière, humidité, faune herbivore…). Cette faculté d’adaptation est alors le résultat de ce qu’on appelle la plasticité phénotypique. L’hétérophyllie peut aussi résulter d’une programmation génétique propre à certaines espèces, qui produisent naturellement plusieurs types de feuilles. Quelle qu’en soit l’origine, la forme d’une feuille est le résultat d’une série d’ajustements complexes en lien avec les conditions environnementales du milieu.

Se défendre là où ça compte : quand les plantes adaptent leurs feuilles aux herbivores

Si l’on reprend le cas du houx commun (Ilex aquifolium), celui-ci offre un exemple frappant d’hétérophyllie défensive en réaction à son environnement. Sur un même arbuste, les feuilles basses, à portée d’herbivores, ont des piquants ; celles plus haut sur la tige, hors d’atteinte des animaux, sont lisses et inoffensives. Cette variation permet à la plante d’optimiser ses défenses là où le danger est réel, tout en économisant de l’énergie sur les zones moins exposées, car produire des épines est coûteux.

Des recherches ont montré que cette répartition n’est pas figée. Dans les zones très pâturées, les houx produisent plus de feuilles piquantes, y compris en hauteur, ce qui indique une capacité de réaction à la pression exercée par les herbivores. Cette plasticité phénotypique est donc induite par l’herbivorie. Mais le houx n’est pas un cas isolé. D’autres plantes déploient des stratégies similaires, parfois discrètes, traduisant une stratégie adaptative : modifier la texture, la forme ou la structure des feuilles pour réduire l’appétence ou la digestibilité, et ainsi limiter les pertes de tissus.

Lumière et ombre : quand l’éclairement façonne les feuilles

La lumière joue un rôle tout aussi déterminant dans la morphologie des feuilles. Chez de nombreuses espèces, les feuilles exposées à une lumière intense n’ont pas la même forme que celles situées à l’ombre.

Les feuilles dites « de lumière », que l’on trouve sur les parties supérieures de la plante ou sur les branches bien exposées, sont souvent plus petites, plus épaisses et parfois plus profondément découpées. Cette forme favorise la dissipation de la chaleur, réduit les pertes d’eau et augmente l’efficacité de la photosynthèse en milieu lumineux. À l’inverse, les feuilles d’ombre, plus grandes et plus minces, sont conçues pour maximiser la surface de captation de lumière dans des conditions de faible éclairement. Elles contiennent souvent davantage de chlorophylle, ce qui leur donne une couleur plus foncée.

Ce contraste est particulièrement visible chez les chênes, dont les feuilles supérieures sont épaisses et lobées, tandis que celles situées plus bas sont larges, souples et moins découpées. De très nombreuses plantes forestières présentent également ces différences. Sur une même plante, la lumière peut ainsi façonner les feuilles en fonction de leur position, illustrant une hétérophyllie adaptative liée à l’exposition lumineuse.

Vivre entre deux mondes : les plantes aquatiques à feuilles à double forme

Chez les plantes aquatiques ou amphibies, l’hétérophyllie atteint des formes encore plus spectaculaires. Certaines espèces vivent en partie dans l’eau, en partie à l’air libre et doivent composer avec des contraintes physiques très différentes.

C’est le cas de la renoncule aquatique (Ranunculus aquatilis), qui produit des feuilles très différentes selon leur emplacement. Les feuilles immergées sont fines, allongées et très découpées, presque filamenteuses.

Renoncules aquatiques (_Ranunculus aquatilis_)
Renoncules aquatiques (Ranunculus aquatilis) H. Tinguy INPN, CC BY

Cette morphologie réduit la résistance au courant, facilite la circulation de l’eau autour des tissus et améliore les échanges gazeux dans un milieu pauvre en oxygène. En revanche, les feuilles flottantes ou émergées sont larges, arrondies et optimisées pour capter la lumière et absorber le dioxyde de carbone de l’air. Ce phénomène est réversible : si le niveau d’eau change, la plante ajuste la forme de ses nouvelles feuilles.

La sagittaire aquatique (Sagittaria spp.) présente elle aussi une hétérophyllie remarquable, avec des feuilles émergées en forme de flèche, épaisses et rigides et des feuilles souvent linéaires et fines sous l’eau. Ces changements illustrent une stratégie morphologique adaptative, qui permet à une même plante d’exploiter efficacement des milieux radicalement différents.


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Changer avec l’âge : quand la diversité des feuilles est inscrite dans le développement des plantes

Mais l’hétérophyllie ne résulte pas toujours de l’environnement. Chez de nombreuses espèces, elle accompagne simplement le développement naturel de la plante. À mesure que la plante grandit, elle passe par différents stades de développement, au cours desquels elle produit des feuilles de formes distinctes.

Ce processus, appelé « hétéroblastie », marque bien souvent le passage entre les phases juvénile et adulte. Un exemple classique est celui du lierre commun (Hedera helix). Les tiges rampantes ou grimpantes portent des feuilles lobées caractéristiques du stade juvénile, tandis que les tiges qui portent les fleurs, situées en hauteur, portent des feuilles entières et ovales. Ce changement est irréversible et marque l’entrée de la plante dans sa phase reproductive.

Le lierre (_Hedera helix_) présente deux types de feuilles : les premières, celles qu'on connait le mieux, sont lobées, celles que l'on trouve sur les rameaux floraux sont plus claires, entières et ovales.
Le lierre (Hedera helix) présente deux types de feuilles : les premières, celles qu’on connaît le mieux, sont lobées et celles que l’on trouve sur les rameaux floraux sont plus claires, entières et ovales. S. Filoche-O. Roquinarc’h/INPN, CC BY

Un autre exemple frappant est celui de certains acacias australiens. Les jeunes individus développent des feuilles composées, typiques des légumineuses. À mesure qu’ils grandissent, ces feuilles sont progressivement remplacées par des phyllodes, des pétioles (c’est-à-dire la partie qui unit chez la plupart des plantes la base de la feuille et la tige) élargis qui assurent la photosynthèse tout en limitant l’évaporation (voir planche dessins, ci-dessous). Ces structures en forme de faucille sont particulièrement bien adaptées aux climats chauds et secs, car elles peuvent maintenir une activité photosynthétique efficace tout en minimisant les pertes hydriques.

Céline Leroy, Fourni par l’auteur

Les processus derrière l’hétérophyllie

Les mécanismes qui permettent à une plante de modifier la forme de ses feuilles sont complexes et encore mal compris. On connaît mieux les formes que prennent les feuilles que les mécanismes qui les déclenchent ou les fonctions qu’elles remplissent.

Chez certaines espèces, des hormones végétales telles que l’éthylène, l’acide abscissique (ABA), les auxines ou encore les gibbérellines (GA) jouent un rôle central dans le déclenchement des différentes formes de feuilles. Chez le houx, la différence entre feuilles piquantes et lisses serait liée à des modifications réversibles de la structure de l’ADN, sans altération des gènes eux-mêmes, déclenchées par la pression exercée par les herbivores.

Les plantes hétéroblastiques, quant à elles, sont principalement contrôlées par des mécanismes génétiques et moléculaires. La succession des types de feuilles au cours du développement peut néanmoins être accélérée ou retardée en fonction des conditions de croissance, traduisant une interaction fine entre développement et environnement.

La régulation de l’hétérophyllie repose ainsi sur une combinaison d’interactions hormonales, génétiques, épigénétiques et environnementales. Ce phénomène constitue également un exemple remarquable de convergence évolutive, car l’hétérophyllie est apparu indépendamment dans des lignées végétales très différentes. Cela suggère qu’il s’agit d’une solution robuste face à la diversité des conditions présentes dans l’environnement.

Les recherches futures, notamment grâce aux outils de génomique comparative, d’épigénomique et de transcriptomique, permettront sans doute de mieux comprendre l’évolution et les avantages adaptatifs de cette étonnante plasticité des formes de feuilles.

Céline Leroy, Directrice de recherche en écologie tropicale, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Quelles sont les pratiques les plus favorables à la biodiversité en forêt ou en agriculture ?

Si vous avez un avis sur la question, vous faites peut-être partie de la réponse. Un projet de sciences participatives cherche justement à étudier cela. Si cela vous intéresse, connectez-vous à la plateforme Puzzling Biodiversity, conçue, développée et hébergée par le MNHN, en partenariat avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et Carbone 4, et contribuez au premier classement de référence de ces pratiques !

Pratiques en forêt exploitées tempérées d’Europe occidentale

Pratiques agricoles (terres arables) tempérées d’Europe occidentale


L’avantage d’avoir des petites feuilles pour certains arbres

Genévrier thurifère dans le Haut Atlas. Fourni par l’auteur

Thierry Gauquelin, Aix-Marseille Université (AMU)

Si les arbres pouvaient seulement parler. C’est en partant de ce postulat que l’écologue spécialiste des forêts du bassin méditerranéen Thierry Gauquelin a tâché de raconter la longue vie d’un genévrier de l’Atlas marocain (Juniperus thurifera) de plus de 500 ans.

Dans ce chapitre de son roman De mémoire d’arbre, paru aux éditions Tana, il nous raconte l’avantage qu’il y a pour certains arbres d’avoir de petites feuilles.


J’ai été souvent raillé à cause de la taille de mes feuilles ; ce qui mérite quelques explications.

La taille versus le nombre

Ce sont effectivement de très petites feuilles – moins de trois millimètres de longueur – des sortes d’écailles imbriquées le long d’un rameau minuscule et disposées sur quatre rangées. On dit ainsi qu’elles sont opposées. Si vous observez attentivement ces petites feuilles, vous verrez qu’elles présentent chacune une petite glande très odorante sur leur dos, un peu comme une bosse. Cette glande libère une odeur forte, surtout en été sous un soleil de plomb. De quoi décourager les palais délicats. Mais il faut bien avouer que cela ne fonctionne pas si bien. Les chèvres, qui de toute façon n’ont rien d’autre à manger à nos altitudes, ne font pas la fine bouche. À contrecœur, elles ont accepté, au fil des générations, cette nourriture que le berger leur propose en coupant d’un coup de hache les branches basses sur lesquelles le troupeau se ruera, une fois celles‐ci tombées au sol.

Rameaux de genévrier thurifère avec feuilles imbriquées en écaille et cônes femelles. Fourni par l’auteur

Dans tous les cas, être de petite taille peut apparaître pour une feuille comme peu favorable à la photosynthèse, tant la surface présentée aux rayons du soleil est faible. Mais le nombre fait la force, les feuilles étant regroupées au minimum par 50 le long d’un rameau, la surface du feuillage n’est pas négligeable… Et les rayons du soleil peuvent atteindre ces écailles, quelles que soient leurs positions, du matin au soir, de l’hiver à l’été.

De plus, je n’ai pas besoin d’être performant au niveau photosynthèse ; je n’ai pas vraiment de concurrence et pousser vite ne constitue pas pour moi un objectif de carrière, ni à moyen ni à long terme.

Reste la question essentielle : l’eau qui, tous les ans, revient à l’approche de l’été, et de manière, j’en ai l’impression, plus acerbe d’année en année. Car, sur le pourtour méditerranéen, le changement climatique, c’est bien sûr l’augmentation de la température, mais aussi une aridification croissante avec des sécheresses de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues, s’étendant bien au‐delà de la seule période sèche estivale à laquelle je suis habitué.

L’avantage des petites feuilles dans un climat aride

Il est hors de question que je gaspille toute cette eau que le sol a difficilement emmagasinée en hiver, par une transpiration importante au niveau de mes feuilles. Plus les feuilles sont grandes et plus la transpiration peut être intense. Une très grande et fine feuille, c’est bien pour les hêtres des forêts de l’autre côté de la Méditerranée. Ces chanceux ne manquent que rarement d’eau… Cela viendra sans doute avec le changement climatique. En plus, les brouillards fréquents dans ces régions limitent cette transpiration. Ils peuvent se permettre ces belles feuilles, bien larges ; idéales pour la photosynthèse.

Rien de tout cela ici. Cette eau, difficile à absorber par mes racines, surtout en été, je dois l’économiser, la garder à tout prix dans mes tissus foliaires, l’empêcher de sortir impunément. En même temps, je ne peux complètement fermer les petits orifices – les scientifiques appellent cela « les stomates » – qui parsèment la surface de mes feuilles, car c’est par ces mêmes orifices que pénètre le CO2 dont je vais me nourrir pour fabriquer tous mes tissus. Donc l’idée d’avoir des toutes petites feuilles n’est pas mauvaise. Mais je dois faire mieux. C’est pourquoi, mes feuilles sont recouvertes d’une couche de cire épaisse jouant le rôle d’un vernis imperméable limitant la transpiration à travers les cellules de l’épiderme. Enfin, elles sont capables d’absorber directement l’eau contenue dans l’atmosphère.

Thurifèraie du Haut Atlas de Marrakech, vers 2 400 m d’altitude. Fourni par l’auteur

Les prouesses du séquoia

L’un des étudiants venant visiter cette année la forêt a laissé s’échapper de son sac à dos une publication en anglais qui m’a conforté dans ma stratégie. Bien que je ne lise l’anglais que très approximativement, j’ai parcouru ces quelques pages imprimées – une chance pour moi que la version numérique n’ait pas fait disparaître le papier – et j’ai compris que cette publication parlait de mon collègue californien, le Sequoia sempervirens – le séquoia à feuilles d’if –, ce géant qui peut atteindre plus de 110 mètres de haut. L’article montrait que cette espèce emblématique avec laquelle je me garderai bien de rivaliser pour la taille – pour l’âge, on peut discuter – possède deux types de feuilles : des aiguilles classiques disposées de part et d’autre des rameaux, et de petites feuilles dites axiales appliquées contre les rameaux. Eh bien, ces feuilles‐là ont la capacité de retenir l’eau, voire de l’absorber. Du coup, une partie de l’eau consommée par l’arbre, souvent baigné dans une brume chargée d’humidité, l’est par ces feuilles du houppier.

C’est sans nul doute un avantage certain face aux sécheresses estivales et à l’absence de pluie, des conditions qui prévalent le long de la côte nord de la Californie, et qui risquent de s’accentuer avec le changement climatique. Un de mes cousins proches, vivant dans les falaises, le genévrier de Phénicie, est aussi capable d’absorber directement de l’eau contenue dans l’atmosphère par ses minuscules feuilles entourant le rameau. Après plusieurs centaines d’années d’existence, je n’ai pas encore pu, malgré la position de yoga qui est la mienne et qui aurait pu me conduire à une certaine introspection, comprendre parfaitement la manière dont je fonctionne et résiste au stress. Dans tous les cas, si cela se révélait exact, je peux vous assurer qu’il n’y a aucune volonté de ma part, aucune réflexion consciente qui me ferait dire : et si j’absorbais de l’eau par les feuilles, ce serait cool… Ah le fameux effet cooling ! Je dis cela, car on a prêté à certaines espèces d’arbres – et pas des moindres – une forme d’intelligence qui irait au‐delà de la simple adaptation à leur environnement et qui impliquerait une démarche volontaire.

Des feuilles en toutes saisons

J’ai oublié de vous préciser deux choses essentielles.

D’une part, que je fais partie des espèces dites sempervirentes, celles qui choisissent de ne pas renouveler la totalité de leurs feuilles chaque année. Vous le savez, les espèces végétales se répartissent en deux groupes principaux au comportement phénologique bien différent. Soit les arbres gardent – au moins en partie – leurs feuilles vivantes en hiver, ce sont les espèces à feuillage persistant, comme moi, soit elles les perdent toutes à l’automne, renouvelant alors la totalité de leur feuillage au printemps, et elles sont qualifiées alors d’espèces à feuillage caduc.

La sempervirence est de règle dans mon groupe des gymnospermes, à quelques notables exceptions.

Soulignons d’entrée que je perds bien sûr mes feuilles de temps en temps ; sinon elles auraient le même âge que moi ! Mais au lieu d’en perdre la totalité tous les hivers, je n’en abandonne qu’un tiers, voire moins, chaque année ; il reste donc toujours des feuilles vertes dans mon houppier. Cela me permet de prolonger la période d’activité photosynthétique à la saison hivernale, quand elle est relativement clémente. Si elle l’est moins, ce n’est pas un problème car mes feuilles présentent une résistance au gel exceptionnelle. Garder mes feuilles plusieurs années me permet aussi d’économiser des ressources, tels l’azote ou le phosphore, qui existent en quantités limitées dans le sol et que je devrais mobiliser pour fabriquer des feuilles neuves.

Vieux genévrier mutilé du Haut Atlas oriental. Fourni par l’auteur

D’autre part, si mes feuilles sont petites, mon feuillage est particulièrement dense. Sous mon couvert, même par une journée chaude et ensoleillée, c’est le lieu idéal pour se reposer, que l’on soit berger, chèvre ou randonneur. C’est aussi cette densité du couvert qui explique ce sol particulier et riche qui se développe à l’aplomb de ma couronne. Tous les genévriers thurifères du Haut Atlas n’ont pas la chance d’avoir un couvert aussi dense que le mien. Beaucoup ont été tellement sollicités par le troupeau ou la hache du berger qu’ils ressemblent aujourd’hui à des candélabres déplumés garnis de quelques faisceaux de feuilles vertes aux extrémités des branches.

Je termine en précisant que, entre ce houppier dense et mon tronc massif, j’ai une silhouette élégante, sculptée par des siècles de vent et de neiges hivernales, de sécheresses estivales, mais aussi par l’homme et son troupeau. Car ma silhouette est également le résultat de l’action humaine au fil des ans, voire des siècles, à force de coupes de branches et de broutage des feuilles, auxquels j’ai réagi par autant de nouvelles ramifications et cicatrisations.

Thierry Gauquelin, Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  1. Professeur émérite à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE) d’Aix-Marseille Université (AMU) ↩︎

Merci à Gabrielle Maréchaux, journaliste Environnement et Énergie

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