Au Libéria, les rares automobilistes recyclent les vieux pneus dont l’Europe ne veut plus. Et pourtant, le pays produit en masse le caoutchouc naturel utilisé par les fabricants de pneu. C’est au Libéria que se trouve la plus vaste plantation d’hévéas au monde : 400 000 hectares, qui sont la propriété de Firestone, le géant américain du pneu. A 4h30, chaque matin, les contremaîtres passent réveiller les saigneurs, ces ouvriers agricoles qui saignent les hévéas pour en recueillir le caoutchouc. A les voir travailler dans la plantation, on les croirait infatigables. Ces petites mains incisent plusieurs centaines d’hévéas chaque jour (750, beaucoup moins officiellement), avant d’en récolter la précieuse sève. Increvables, ils n’ont pas d’autre choix que de l’être. Le taux de chômage frise les 80 % au Libéria. Alors cette armée de saigneurs récolte, mange, dort et vit Firestone. Envoyé Spécial (reportage diffusé jeudi 1er mars sur France 2) a pu approcher au quotidien ces quasi-esclaves payés 2 euros 50 par jour et logés dans des baraques au cœur de la forêt. Pas d’électricité, ni d’eau courante, alors que les villas des cadres bénéficient elles de tout le confort moderne. De la pollution, en revanche : l’usine de Firestone pollue le fleuve. Un laboratoire parisien sollicité par Envoyé Spécial est là-dessus formel. Que font les autorités libériennes ? Le Ministre de l’Agriculture prétend qu’il réussira à faire fléchir la multinationale, mais la loi du business sera peut-être la plus forte. Firestone pèse 15 fois le budget de l’Etat Libérien. Pour les traders occidentaux, le caoutchouc n’a pas d’odeur… La multinationale ne se gêne pas pour traiter avec les derniers rebelles qui défient l’Etat Libérien. Ces rescapés de la guerre civile n’ont pas rendu les armes et squattent certaines plantations dans le pays. Le reportage apporte la preuve que Firestone achète en sous-main du caoutchouc à ces rebelles, pour ajouter au sien et remplir les cargos qui régulièrement partent vers l’Amérique. Ces cargos reviendront à vide. Pour le Libéria, la mondialisation fonctionne pour l’instant à sens unique. Suite à la diffusion de ce reportage sur France 2, Cdurable.info a réunit plusieurs sources d’information pour revenir sur les pratiques de la multinationale. Il est important de souligner que Firestone n’est pas la seule compagnie présente au Liberia à pratiquer cette forme d’esclavagisme. D’autres compagnies offriraient des conditions de travail et de vie encore plus dégradantes, parmi elles une serait française.
Le journal Pambazuka News, le forum pour la justice sociale en Afrique, avait déjà publié dans son édition anglaise (n°240 en février 2006), une enquête de Robtel Neajai Pailey en février 2006. En voici quelques extraits. Visage Moderne de l’Esclavage au Libéria par Robtel Neajai Pailey – Pambazuka News Vers la fin de l’an 2005, l’International Labor Rights Fund a déposé à la Cour Fédérale des Etats-Unis en Californie une requête ayant trait à l’Acte portant sur les Allégations de Torture des Etrangers contre Bridgestone, faisant état de « travail forcé, l’équivalent moderne de l’esclavage » sur une Plantation de Firestone à Hargel, Libéria. Le procès indique : « Les travailleurs de la Plantation allèguent, entre autres choses, qu’ils restent coincés par la pauvreté et la coercition dans une Plantation gelée dans le temps exploitée par Firestone d’une façon identique à celle dont elle était initialement gérée quand elle fut ouverte pour la première fois par Firestone en 1926 ». Au début des années 1820, le Libéria s’est transformé en terre d’exil pour les esclaves américains rapatriés. En fait, le pays était un refuge proverbial des gens qui fuyaient les conditions dégradantes, déplorables du régime d’esclavage aux Etats-Unis. Ainsi, dès que le terme « plantation » était mentionné, les Libériens tremblaient visiblement de l’héritage historique que beaucoup de ses descendants ont enduré. Assez ironiquement, un développement récent suggère que le Libéria lui-même a servi de terrain propice pour le visage moderne de l’esclavage déguisé sous forme de ce que certains pourraient appeler servitude invétérée pour l’entreprise américaine, Firestone. Déclaré la première république de l’Afrique en 1847, le Libéria a été entraîné dans une relation asymétrique avec le géant du caoutchouc depuis que l’entreprise a atterri pour la première fois sur les côtes du pays en 1926. Quatre-vingts ans plus tard, des groupes de défense des droits humains ont dénoncé les pratiques abusives alléguées contre Firestone et ont intenté une action judiciaire contre la compagnie américaine pour violations des lois sur le travail des mineurs, pratiques de travail cruelles et inhabituelles, et dégradation de l’environnement. Ces pratiques, indiquent-ils, ne diffèrent en rien de ce qu’elles étaient à l’époque de l’ouverture de la plantation. Depuis 1926, Firestone se serait appuyé sur le travail forcé, l’asservissement involontaire, l’insouciance, la négligence dans le recrutement et la supervision, des pratiques d’enrichissement injuste et d’affaires non-équitables. Introduite au nom des travailleurs à la plantation et de leurs enfants en se servant de pseudonymes, la requête nomme la compagnie nippone parente Bidgestone, Bridgestone Americas Holding, Bridgestone Firestone North American Tire et d’autres branches en tant que prévenus. L’International Labour Rights Fund (ILRF) a intenté le procès au nom de 12 travailleurs libériens et leurs 23 enfants qui ont gardé l’anonymat pour se protéger contre les actes de vengeance. Les plaignants sont en train de déposer leur dossier aux USA parce que le système judiciaire libérien a été érodé dans le désordre de la décadence civile. « Les travailleurs de la plantation sont privés de leurs droits, ils sont isolés, ils sont à la merci de Firestone pour toute chose de la nourriture aux soins de santé et à l’éducation, ils risquent l’expulsion et la mort certaine de la faim s’ils soulèvent même les moindres plaintes, et la compagnie se sert délibérément de cette situation pour exploiter ces travailleurs comme ils l’ont fait depuis 1926, » allègue le procès. L’ILRF et ses alliés – les avocats et les activistes libériens des droits humains – servent comme un instrument de plaidoirie pour la défense des droits sanitaires et légaux des travailleurs de Firestone à Harbel, Libéria. L’histoire de Firestone au Libéria est révélatrice. En 1926, la compagnie a signé un accord de concession avec le gouvernement du Libéria pour une période de 99 ans. Cet accord couvrait environ un demi-million d’hectares de terrain, loué à bail à six cents par demi-hectare pour un prix annuel total de $ 60.000. De grands secteurs de population indigène furent déplacés pour céder la place à l’installation de la plus grande plantation de Firestone à Harbel. Même à l’époque du jeune âge de la compagnie, les Libériens étaient recrutés pour accomplir le travail forcé en récoltant et en cultivant des arbres du caoutchouc, après quoi ils s’engageaient dans le « tapage », l’acte plein de labeur intensif qui consiste à utiliser des instruments primitifs pour taper le latex à l’état cru hors des arbres de caoutchouc pour exportation. Les ouvriers étaient initialement appelés au travail sous la menace des fusils, et beaucoup de descendants de ces ouvriers servent de plaignants dans le dossier judiciaire contre Firestone aujourd’hui. Malgré une insurrection de mécontentement civil et des cris réclamant la démocratie en 2005, Firestone a signé un nouvel accord de 37 ans avec le gouvernement de Transition au Libéria pour qu’il octroie le terrain à 50 cents par demi-hectare, « une grande hausse » par rapport à l’accord original de location à bail. Selon un rapport récent publié par Save My Future Foundation, Firestone a exporté 167.165 tonnes de caoutchouc entre 2000 et 2003. Le prix du caoutchouc atteint des sommets astronomiques aujourd’hui à 486 dollars par tonne. Suivant les calculs de transactions commerciales actuellement, Firestone reçoit 81.242.190 dollars en provenance de sa production au Libéria. Tout le caoutchouc produit au Libéria est envoyé aux Etats-Unis pour le traitement des pneus, et d’autres matériaux. Il n’y a pas de traitement ni de fabrication ni d’autre production de valeur ajoutée qui se font au Libéria. Le niveau de pauvreté au Libéria est si étonnant que les gens accourent vers la plantation pour un simple repas. Le tapeur moyen génère 900 dollars mensuellement pour la compagnie, et pourtant il reçoit de Firestone à peine un dixième de cela en tant que compensation une fois que les frais et les services sont déduits des rémunérations. Comme résultat, les tapeurs travaillent durement pour 3,19 dollars seulement par jour. Après avoir travaillé chez Firestone pendant 50 ans, certains ouvriers de la plantation qui vont en retraite reçoivent apparemment moins de 50 dollars par mois comme frais de pension.
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