Ce numéro de « L’état de la planète magazine » ne va pas manquer d’étonner nos lecteurs. L’Institut Worldwatch y donne autant la parole à ceux qui partagent notre analyse sur l’épuisement du pétrole qu’à des auteurs beaucoup moins convaincus de sa fin prochaine. Il faudra chercher ailleurs les esprits dogmatiques ! Notre version en français est cependant complétée par un compte rendu, réalisé par le professeur Ivo Rens (Université de Genève), de trois livres dont les auteurs sont, pour leur part, très inquiets de notre dépendance excessive aux carburant fossiles. Selon ces derniers, la croissance de la demande pour les énergies fossiles face à des réserves dont les estimations sont en réalité très approximatives, remettra en cause le mode de vie occidental.
Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement sous le gouvernement Jospin en France, Yves Cochet est l’un d’eux. Le titre de son ouvrage, Pétrole Apocalypse, résume ce point de vue que Vaclav Smil qualifie, en le critiquant, de « culte du catastrophisme ». Confrontez les positions d’Ives Cochet, celles du président de l’Institut Woldwatch et celles du professeur de physique Kjell Aleklett, président de la devenue célèbre Association pour l’étude du pic de pétrole (en anglais ASPO), à leurs contraditeurs, Red Cavaney et Vaclav Smil, et vous avez ce qu’annonce ce numéro : un forum ! Quoi qu’il en soit une chose est frappante : certains vivent sur une planète menacées, les autres excluent le problème de leur analyse. On en reste pantois !
Mais les articles d’Eban Goodstein et de Gary Gardner remettent les pendules à l’heure. Comme l’explique Gardner, pour chacun d’entre nous, au niveau individuel, le principe de précaution s’impose comme une évidence. Il rappelle le dicton « mieux vaut prévenir que guérir » et souligne que le principe de précaution est présent dans nombre de langues, et qu’enfin il fait peu à peu son chemin dans les relations régissant les sociétés commerciales. C’est un progrès cela fait naître une lueur d’espoir.
Quant à Eban Goodstein son article sur les changements climatiques remet en cause l’approche politiquement non partisane adoptée depuis de nombreuses années par le mouvement pour la défense de l’environnement aux Etats-Unis. Devant la révolution conservatrice américaine caractérisée par l’ultra libéralisme, l’anti-interventionniste et le démantèlement de l’Etat, il suggère une mobilisation des forces progressistes et une professionnalisation de ses actions. Il s’agit dorénavant d’influencer l’opinion publique pour, comme ultime objectif, voir s’imposer le point de vue des défenseurs de l’environnement et le développement durable. Cette démarche implique aujourd’hui une démarche politique plus claire.
Goodstein ne craint pas la polémique lorsqu’il exprime ses doutes sur l’approche « décroissance » pour répondre aux défis environnementaux. Pour ce professeur d’économie de la côte ouest des Etats-Unis, se sont d’abord les subventions et les soutiens à des technologies aujourd’hui inadaptées qu’il faut en priorité combattre afin de mieux soutenir celles qui doivent les remplacer (trains, agriculture bio, énergies renouvelables, plastiques biodégradables, partage de la voiture, vélos électriques, etc.). En d’autres mots, si la décroissance dans certains domaines est positive (la multimodalité des transports en ville mène inévitablement à une décroissance comptable, par exemple), la « bonne croissance » doit précéder la décroissance dans le discours politique des écologistes. Présentée comme unique source de progrès, la croissance apparaît bien, lorsqu’on y regarde de près, comme une tromperie intellectuelle. Mais bien peu de gens en Occident arrivent à s’extirper de la société de consommation, même pour adopter sa version « light », Il n’est pas si simple de modifier un mode de vie auquel nous sommes si intimement enlacés.
L’état de la planète publications partage ces préoccupations et le sentiment d’urgence exprimé par la majorité de nos auteurs. Nous demeurons admiratifs devant la pertinence et de la capacité de renouvellement des chercheurs de l’Institut Worldwatch et sommes convaincus que leur lecture par un public plus large peut faire progresser la cause du développement durable. C’est la mise en relation de tous ces débats – pétrole, principe de précaution, qualité de vie et définition du progrès – qui fera émerger un discours politique cohérent et, excusez le vilain mot, vendeur !
Enfin en terminant, de grâce, ne présentons pas le prix élevé du pétrole comme un problème. Au contraire, proclamons-le haut et fort, le pétrole est cher : enfin ! Comme l’expose avec brio le chapitre 4 de L’état de la planète 2006 (à paraître fin mars) intitulé « Cultiver les alternatives renouvelables au pétrole », des substituent avantageux pour l’environnement existent. Malgré des soutiens trop mous, le prix du pétrole élevé devrait enfin leur donner l’occasion de sortir d’une relative confidentialité.