Les Ordres professionnels ne sont guère habitués à se voir contestés de l’intérieur. Pourtant, une brèche vient de fissurer un avis de l’Ordre National des Chirurgiens Dentistes (ONCD) sur les amalgames dentaires, qui font actuellement l’objet d’une vive polémique rapporte le Réseau Environnement Santé (RES).
En effet, en janvier 2013 s’achèveront les négociations internationales sur le mercure, destinées à réduire drastiquement les rejets dans l’environnement d’une substance parmi les plus toxiques. Toutes les utilisations du mercure sont dans le collimateur : néanmoins, dès 2010, la Fédération Dentaire Internationale (FDI) proposait son aide à ses partenaires commerciaux pour éviter l’interdiction des amalgames dentaires [[La FDI présente l’éventuelle interdiction du mercure dentaire comme une entrave à la liberté commerciale qu’elle se propose d’empêcher en relayant la voix des industriels à la table des négociations internationales.]], alors que ceux-ci sont les premiers contributeurs à la charge corporelle en mercure dans les pays développés [[WHO/IPCS. Inorganic mercury, environmental Health Criteria 118. Geneva: WHO; 1991.]]. Depuis lors, la FDI et les associations membres, telles que l’Association Dentaire Française (ADF), se sont effectivement données pour mission de propager l’idée que le mercure est partout dangereux, sauf dans la bouche des patients.
Ainsi l’ADF et l’ONCD viennent-ils de cosigner une lettre à Marisol Touraine, ministre de la santé, dans laquelle ils lui demandent de s’opposer « à toute mesure visant à interdire ou limiter l’utilisation de l’amalgame dentaire » [[La Lettre de l’Ordre, n°110, septembre 2012, pp. 14-15=350&tx_ttnews[backPid]=4&cHash=3f21f3fa1c].]]. Selon eux, la France s’inscrira ainsi « dans une campagne mondiale de lutte contre la maladie carieuse au service des populations les plus fragiles et des nations les plus démunies ». Curieuse sollicitude, quand on sait que les régions les plus pauvres du monde sont prêtes désormais à abandonner l’amalgame, et que seul le continent Européen tarde à prendre position.
Plusieurs dentistes français se sont émus de ce que l’Ordre prenait en leur nom une position pour le moins contestable, sur une question qui n’entre pas dans ses compétences. Fait extraordinaire : ils ont donc constitué une lettre-pétition dans laquelle ils marquent leur désaccord avec l’ONCD, bravant ainsi une institution dont on sait l’emprise considérable sur ses membres, puisqu’elle est à la fois juge et partie de ses juridictions et qu’elle dispose d’outils éprouvés pour éliminer ses adversaires en son sein.
Les arguments des dentistes signataires sont aussi nombreux qu’irréfutables : l’amalgame est remplaçable et dépassé (certains praticiens s’en dispensent depuis vingt ou trente ans), il induit des pathologies reconnues par l’OMS et attestées par l’expérience, il constitue un risque professionnel important pour les dentistes et leurs assistant-e-s, etc.
Reste à savoir si le ministère de la santé sera plus sensible à la voix de la probité, de l’évidence et du courage… ou à celle des lobbys.