Le bois ne serait-il pas un peu trop vert ? Derrière la boutade, des questions se posent sur une filière bois aux arguments bien rôdés. Le but ? Laisser penser au public qu’exploiter industriellement une ressource naturelle renouvelable, c’est forcément écologique de A à Z. Or, l’écran de fumée commence à tourner visiblement un peu trop au vert.
Soupçonner la filière bois de greenwashing, c’est un peu un crime de lèse-majesté : le bois, c’est la nature, c’est renouvelable, c’est beau et c’est propre. Le bois est vert par nature, l’accuser de greenwashing serait un non-sens. Côté énergie, il y a bien les feux de cheminées qui polluent un peu mais on parle là des vieux fourneaux de maisons de campagne, une goutte d’eau dans l’océan des pollutions atmosphériques. Côté exploitation du matériau, meuble ou construction, le bois serait apparemment plus « propre sur lui » que le plastique, le métal, les polymères ou la brique. Le bois serait-il donc au-dessus de tout soupçon ? Le bois, une ressource écologique… sous conditions Ce n’est pas tant le matériau qui est ici en cause que les pratiques de production, les circuits de commercialisation et les modes d’exploitation. Le diable se niche toujours dans les détails, mais ce sont précisément ces détails qui font la différence entre écologie et… greenwashing. Or, pour se faire une idée précise de l’empreinte écologique du « produit bois », il convient de réfléchir en termes de « cycle de vie ». Et c’est là que l’on ramasse des échardes : tous les usages du bois ne se valent pas. En termes d’exploitation tout d’abord, le bois reste une ressource naturelle renouvelable, à condition premièrement d’être exploitée durablement. Et « durable » rime ici avec « local » : faire venir du bois de chauffage, d’ameublement ou de construction de Scandinavie, ou pire encore d’Indonésie est un contresens écologique, compte tenu du coût carbone du transport d’une part, mais aussi de la surexploitation de forêts souvent non renouvelées. Concernant spécifiquement l’ameublement de luxe, un certain nombre de pays exportateurs de bois exotiques et précieux sont peu réputés pour leurs penchants écologiques. Dans ces pays, le bois est une ressource naturelle destinée à disparaître à moyen terme, et tant pis pour les écosystèmes. Mais même si on utilise un bois local, provenant d’exploitations gérées de façon durable, l’utilisateur de bois, écologiste dans l’âme, n’est pas encore tiré d’affaire. Des transformations problématiques On pourrait penser que le bois d’ameublement est le plus respectueux de l’environnement : faiblement transformé, il conserve les traits et caractéristiques essentiels de la matière brute. C’est vrai pour une partie des meubles, essentiellement les plus rustiques. Mais même les meubles en bois brut sont souvent peints, vernis ou traités. A partir de là, plus question de brûler le meuble en fin de vie, dans sa cheminée ou dans un poêle à bois : tous les composants chimiques utilisés seraient relâchés dans l’atmosphère ou, pire, à l’intérieur du logement. Idem pour les meubles en contreplaqué ou en aggloméré : leur fabrication nécessite des quantités considérables de colles et de produits liants pour assurer la tenue des copeaux entre eux, sachant que les dits copeaux ont parfois une origine douteuse. Certains des liants utilisés contiennent du formaldéhyde, molécule considérée comme l’une des principales sources de pollution de l’air intérieur tout en étant un cancérogène avéré selon le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). Et leur recyclage ou leur combustion posent des problèmes plus importants encore compte tenu des masses de produits chimiques utilisées. Pour autant, c’est encore ailleurs qu’il faut chercher les bois les plus « toxiques » : en construction. Utilisé en charpente de toits, en structures de planchers, de plafonds, en supports des tuiles ou ardoises… le bois est souvent présent dans les maisons du sol au plafond. Or, ce bois doit durer au moins aussi longtemps que le reste. Et pour durer aussi longtemps, les bois de construction sont imbibés de produits chimiques, censés les protéger contre l’humidité, les champignons, les insectes, les maladies du bois ou permettre les collages. Des traitements qui, pour une bonne partie d’entre eux, sont en plus à renouveler régulièrement, à grands coups de décapage, de ponçage et d’ajout (à nouveau) de produits chimiques. Au final, l’air intérieur d’une maison en bois est bien souvent saturé de COV ou « composés organiques volatils », qui deviennent néfastes pour la santé des occupants au-delà d’un certain temps d’exposition. Faut-il se passer du bois en construction ? Pourquoi pas, mais à condition déjà de savoir quoi faire de celui qu’on utilise déjà. Car les possibilités de revalorisation du bois après usage sont elles aussi assez limitées. Des usages en fin de vie limités Que fait-on du bois in fine, lorsque qu’une charpente en bois est démolie ou qu’un meuble est envoyé à la décharge ? Rien, ou presque. Le bois ne se recycle pas ou très peu, sachant que la plupart des bois qui partent à la benne sont bien trop contaminés par divers adjuvants chimiques pour qu’il soit possible (à un coût économiquement viable) de les dépolluer pour les réutiliser, même en pellets ou en agglomérés. Dans la plupart des cas, ces déchets vont être brûlés dans des centrales de retraitement des ordures ménagères ou dans des centrales à cogénération biomasse. Bref, on fait avec ces déchets ce que l’homme fait (entre autres) avec le bois depuis 500 000 ans environ : de la chaleur et de l’énergie. Pour pertinent qu’il soit, cet usage en dernier recours ne doit pas occulter une réalité : la combustion du bois et de ses dérivés annihile tous les bénéfices du bois en tant que « puits de carbone ». En effet, la ressource forestière est considérée comme l’un des meilleurs puits de carbone de la planète : grâce à la photosynthèse, un arbre absorbe et stocke naturellement une grande quantité de CO2. Sauf que ce carbone patiemment accumulé lors de la croissance de l’arbre est relâché d’un coup lors de la combustion. Bilan carbone : quasi-nul, il en ressort presque autant qu’il en est entré. Certes, les centrales disposent quasiment toutes de filtres qui permettent d’éviter le rejet dans l’atmosphère des divers polluants du bois. Mais pour le CO2, rien à faire encore : les solutions de piégeage ou de captage du CO2 sont encore trop expérimentales. Au final il ne s’agit pas de considérer le bois comme un produit anti-écologique, mais de réaliser que ses usages ne le sont pas tous : fabriquer des meubles ou construire des charpentes sera consommateur de produits chimiques nécessaires à la préservation du bois. Se chauffer au bois permet de se servir d’une ressource naturelle renouvelable, mais au prix d’émissions de CO2 qu’il est encore impossible de réduire. Il ne reste que l’utilisation du bois comme puit de carbone pour pouvoir parler véritablement d’usage écologique. Et pour cela il n’y a qu’une chose à faire : laisser les forêts pousser. Pas sûr que la filière bois collabore dans son ensemble à cette idée.