A l’heure où ces lignes sont écrites, la seule réponse aux manifestations agricoles de ces derniers jours semble devoir être une nouvelle régression environnementale négociée entre ceux qui co-gèrent le déclin de la société paysanne depuis des décennies. Le Collectif Paysages de l’Après-Pétrole ne pouvait donc rester silencieux face à ces nouvelles menaces sur les paysages de nos campagnes et sur les paysans qui en assurent la gestion avec plus de vaillance que de confort matériel.
Le Collectif PAP intervient à sa manière par la recherche de solutions positives…
Diversité et sobriété :
Deux leviers à mettre en avant pour sortir par le haut des crises agricoles. Choisissons nos mots. Il n’y a pas une crise de l’agriculture française, mais des crises qu’endurent les paysans français. Les agricultures sont encore diverses en France, les tensions subies aussi. Postuler leur unité fait le jeu de ceux qui veulent amplifier leur puissance au détriment de notre santé et de celle de la planète, et qui prétendent représenter les petits alors que leur modèle en programme l’élimination.
Le premier levier est la diversité des agricultures de France, du moins quand elle subsiste encore malgré les politiques de nivellement menées depuis un demi-siècle.
Contrairement à d’autres territoires sur les cinq continents, notre pays est encore riche d’une diversité de sols, de climats et donc de paysages. Cette diversité est à l’origine de nos terroirs, de leurs particularités locales et de leurs traditions culinaires reconnues dans le monde entier, source de revenus comme de dynamiques socio-culturelles. Évitons que les filières de masse ne continuent à les réduire, car cette diversité alimente les dizaines de millions de séjours de touristes, la réputation majeure de nos produits agricoles pour l’exportation et des paysages diversifiés dont l’harmonie doit être reconnue dans les politiques publiques comme une valeur majeure de notre bien-vivre ensemble.
Il faut préserver et reconquérir cette diversité par des politiques de réaménagement foncier appropriées et des allocations à la transition vers des pratiques agroécologiques. Il faut notamment réorienter à cet effet des aides européennes qui continuent actuellement à conforter le système dominant, malgré les perches tendues
par la nouvelle PAC, que la France a refusé de saisir, contrairement à plusieurs pays voisins.
Diversité des agricultures veut dire diversité de savoir-faire, diversité de produits, résilience des marchés et rempart contre la standardisation des assiettes et la simplification des paysages ; or ces paysages fournissent des services écosystémiques qui appuient les rendements agricoles.
Quels coûts pour le traitement des eaux polluées laisserons-nous à nos enfants ? Quelle technologie ruineuse et incertaine remplacera les insectes pollinisateurs et les auxiliaires des cultures qui s’abritent dans les arbres champêtres et les haies ?
Face à des moyens de production plus coûteux, à des prix de vente aléatoires et à des événements climatiques de moins en moins prévisibles, la diversité des productions et des compétences est un gage de succès. Les agriculteurs de notre pays ne se reconnaissent pas dans les intérêts des oligarques de la chimie ou de la grande distribution, ni dans des paysages de champs uniformes aux tailles toujours croissantes, où les auxiliaires de culture ont disparu et où les oiseaux sont morts comme d’ailleurs toute vie dans les sols.
Le second levier pour sortir de ces crises agricoles est de sortir de l’ébriété de puissance : Toujours plus d’intrants, de surfaces, de mécanisation est l’unique réponse des dirigeants pour ce « marché » qui endette les exploitants avant de les éliminer.
A l’inverse, la nécessité de sobriété prendra deux formes pour l’agriculture dans les Paysages de l’Après-Pétrole.
- La dimension spatiale : agrandir toujours les exploitations agricoles diminue inexorablement le nombre de celles et ceux qui vivent de la terre. En créant des paysages d’une uniformité désespérante, cet agrandissement des « structures » et de leurs parcelles les affaiblit et affaiblit les villages comme les espaces ruraux qui se vident de leurs forces. L’enjeu est de diminuer progressivement la taille des fermes de France et de leurs parcelles en cessant de rêver à une rivalité absurde avec l’Argentine, l’Australie, le Brésil ou les grandes plaines nord-américaines.
- La seconde dimension à rechercher est la sobriété énergétique. Les transformations de notre agriculture ont mobilisé toujours plus d’énergie carbonée pour construire les hangars, pour irriguer, pour produire matériels et équipements, pour les faire tourner et transporter les aliments du bétail, et aussi pour fabriquer une
quantité colossale d’engrais et pesticides de synthèse. L’addiction de nos process agricoles aux énergies fossiles est patente, alors que nous devons tous, citoyens, entrepreneurs et collectivités, sortir de cette dépendance mortifère. Entrer dans la sobriété énergétique devient alors une vraie chance pour les agriculteurs, notamment les plus fragiles, en augmentant leur autonomie, en diminuant leurs charges, en les
incitant à produire des énergies renouvelables et en reconnaissant le rôle joué par leurs sols dans le stockage du carbone.
La sobriété (à conquérir) et la diversité (à restaurer) des agricultures de France sont les facteurs-clé de leur avenir. Elles traduisent une attente de nos sociétés et sont les gages d’une politique agroécologique efficace. Une belle opportunité pour conjuguer économie et harmonie, pour promouvoir, terroir par terroir, des projets agricoles partagés avec le soutien de tous dans les villes comme dans les campagnes.
Philippe Pointereau : « LE PAYSAGE RURAL AURA-T-IL À NOUVEAU LE GOÛT DE NOTRE ASSIETTE ? »
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