La guerre a resurgi aux portes de l’Europe. Ses conséquences économiques imposent d’énormes défis à toute la chaîne d’approvisionnement alimentaire. D’abord parce que la production de céréales et d’oléagineux va baisser : en 2021, la Russie et l’Ukraine se classaient parmi les trois premiers exportateurs mondiaux de blé, de maïs, de colza, de graines et d’huile de tournesol, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Mais aussi parce que la Russie est le deuxième exportateur mondial de fertilisants, dont la production dépend du gaz naturel et est très énergivore. La capacité des autres pays à augmenter leur production sera donc limitée par la hausse des coûts des intrants. Face à cette flambée du prix des matières premières agricoles, on assiste à des prises de position antagonistes fortes entre adeptes du « produire plus » et défenseurs de l’agroécologie, comme s’il fallait encore opposer les deux ! Dans l’urgence, on entend à la fois des appels à produire plus et le rejet des mesures agroécologiques. La stratégie « Farm to Fork » [“De la ferme à la fourchette”] du Green Deal est même remise en question par certains. De l’autre côté, les écologistes sont scandalisés et pointent du doigt « les vieilles logiques » et « l’opportunisme » de l’agriculture productiviste, qui n’attendait que ça pour montrer ses vraies couleurs… La Fondation Earthworm[[Ver de terre en anglais]] que je représente en France, travaille depuis 22 ans sur la régénération des forêts et des sols, promouvant une écologie de solutions. Et je suis convaincu que productivisme et agroécologie ne sont pas seulement compatibles : ils sont symbiotiques et se nourrissent l’un l’autre. J’ajouterais aussi la profitabilité, car la production et l’écologie seules et mal appréhendées peuvent conduire à la ruine. Combinés, ils ouvrent la voie vers la prospérité. Dans son livre Le Temps des crises, publié après le séisme financier de 2008, Michel Serres explique que pour dépolariser un débat, on doit réinviter la nature au centre de la discussion. La question n’est plus « qui va gagner » mais « de quoi parle-t-on ? ». Si on ne le fait pas, la nature se rappelle inévitablement à nous, de plus en plus souvent d’ailleurs ces derniers temps, en témoignent des épisodes climatiques extrêmes qui surviennent partout sur la planète. Nous vivons une crise climatique à laquelle s’ajoute une crise géopolitique, dont les conséquences vont générer, inévitablement, une crise sociétale de grande ampleur. Comment, alors, “réinviter” la nature au centre des discussions ? En poussant des mesures environnementales contraignantes qui affectent une profitabilité fragile des exploitations agricoles ? En ignorant complètement ces dernières au nom du rendement et des besoins à court terme de production ? Ou simplement en la laissant nous surprendre à nouveau l’été ou l’hiver prochain avec une sécheresse trop brutale, des inondations ou un gel tardif ? La souveraineté alimentaire repose avant tout sur un sol nourricier Les aliments que nous mangeons chaque jour, des pommes de terre au café, du pain au fromage, dépendent d’un élément commun capable de faire converger écologie, productivité et profitabilité. J’ai nommé : « le sol » ! Et la souveraineté alimentaire repose avant tout sur un sol nourricier. À travers le programme « Sols vivants », Earthworm France s’attache depuis 2018 à remettre le sol au centre de la discussion. Un sol vivant, sain, est un écosystème optimal pour la plante, qui de fait, est moins fragile. Un sol sain est résilient. Il conserve mieux et plus longtemps l’eau. Il stocke plus de carbone et contribue par là même à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est un sol qui nécessite moins de travail, ce qui signifie moins de labour, de gasoil, donc des économies. Plus fertile, un sol sain nécessite aussi moins d’intrants. Il fournit ainsi une autonomie croissante à l’agriculteur, qui peut progressivement réduire sa dépendance aux intrants. L’autonomie de la ferme, c’est une forme de « petite souveraineté ». Et quand toutes les fermes gagnent en autonomie, c’est la souveraineté de tout notre pays qui s’accroît, en s’affranchissant des apports de la chimie, dont les usines et les chaînes de valeur sont souvent hors de notre territoire. Invisible et silencieux, le sol ne bénéficie malheureusement pas des campagnes médiatiques dont profitent les forêts. Et en agriculture, on a souvent tendance à se concentrer sur les plantes et leur rendement. Pourtant, de nombreux experts tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années. La moitié des terres agricoles de la planète sont dégradées. La France ne fait pas exception. Depuis les années 1950, la teneur des sols en nutriments et en humus a baissé d’un tiers, selon le Groupement d’intérêt scientifique Sol (Gis Sol). Certaines terres agricoles ne présentent plus que 100 kilos de vers de terre à l’hectare, contre deux tonnes en moyenne dans les années 1950. Nous avons d’ailleurs nous-mêmes pu constater cela à travers notre programme « Sols Vivants » qui, l’année dernière a permis de mesurer l’état de santé du sol de 700 parcelles agricoles en France. Alors comment régénérer les sols et construire cette « souveraineté agricole », cette autonomie de la production française ? À travers notre programme « Sols vivants » nous nouons depuis 2018 un dialogue fort à l’échelle du territoire, avec d’une part les différents acteurs de la chaîne de valeur – agriculteurs, coopératives et négoces agricoles et industriels agroalimentaires, et d’autre part les partenaires scientifiques, financiers et institutionnels, les syndicats agricoles aussi, – afin de construire les trajectoires de production qui régénèrent les sols agricoles et qui sont économiquement rentables. C’est ainsi que les grandes entreprises du secteur agroalimentaire sont devenues des partenaires clés de cette démarche ambitieuse et engagent fournisseurs et agriculteurs dans une réflexion et des actions constructives visant avant tout à protéger et régénérer les sols agricoles, en combinant production et agroécologie. Alors certes, quand on parle de sol, il s’agit de temps long. Aujourd’hui, la nécessité de réagir face à la crise et au déficit de productivité occupe nos esprits et ceux des décideurs. Mais elle ne doit pas freiner les velléités de transition écologique d’un système agricole qui atteint ses limites. Sous nos pieds se trouve une manne capable de nous réconcilier. Sous nos pieds se trouve la clé de notre indépendance et de notre souveraineté alimentaire profonde. C’est bien la santé du sol qui nous donnera liberté, indépendance, productivité et écologie. Et si regarder en bas nous montrait une voie de sortie de crise par le haut ? Bastien Sachet, directeur général de la fondation Earthworm.
QUI EST EARTHWORM ?
Earthworm est une fondation internationale à but non lucratif. Née en 1999 sous le nom de Tropical Forest Trust, elle travaille historiquement pour la régénération et la préservation des forêts et a élargi son action à la régénération des sols en 2018. Son objectif : accompagner l’ensemble des acteurs composant les chaînes d’approvisionnement – entreprises agroalimentaires, fournisseurs et agriculteurs – afin d’améliorer l’impact environnemental et sociétal de la production de matières premières“Nous partageons la vision d’une société globale composée de communautés interdépendantes, qui forment avec la nature un écosystème unique. Son développement prospère et harmonieux n’est envisageable que si chacune des parties se respectent mutuellement.”
“Nous partageons la vision d’une société mondialisée qui se respecte elle-même ainsi que les besoins de la nature, car en fin de compte, elles forment la même entité. Nous croyons en une économie mondialisée qui n’est pas fondée sur la destruction, mais sur l’équilibre et l’innovation où nous pouvons tous prospérer et contribuer à l’amélioration de notre situation sociale, environnementale et économique.”
Valeurs
CoatOfArms.svg Depuis ses débuts sous le nom de Tropical Forest Trust jusqu’à sa dernière évolution sous le nom d’Earthworm Foundation, une constante demeure indiscutablement gravée dans l’ADN de notre organisation, ses VALEURS. Nos valeurs représentent notre plus grand atout. Elles guident nos progrès et forment la pierre angulaire de tous dialogues ou interactions avec nos parties prenantes et nos pairs. Ce n’est pas un hasard si dès la première phase de rencontre avec nos futurs collaborateurs, elles sont placées au centre de la conversation. Nous nous épanouissons en vivant selon nos valeurs mais également en inspirant les autres à vivre pleinement les leurs. Découvrez nos cinq valeurs fondamentales.