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Nos lectures de l'été

« La peur de la nature » de François Terrasson

Au plus profond de notre inconscient, les vraies causes de la destruction de la nature

À l’heure où de lourdes menaces pèsent sur notre environnement et ou les certitudes scientifiques s’accumulent, il semble que l’homme soit incapable de protéger son bien le plus précieux : sa planète. Qu’elle en est la raison profonde ? Le livre choc de François Terrasson, éminent maître de conférence au Muséum national d’Histoire naturelle décédé en 2006, est réédité depuis juin 2007 par les éditions Sang de Terre.

Au-delà des causes économiques, politiques, culturelles, sociales, qui rendent ardue la protection de la nature, il en est une, beaucoup plus cachée, insaisissable et sourde qui prévaut sur toutes les autres : l’homme occidental, maître économique actuel de la planète, a peur de la nature… et de sa part d’animalité. Aimez-vous vraiment la nature ? Toute la nature ? Le gluant, le griffu, le velu, le vaseux, l’organique ? François Terrasson, chercheur atypique, a décrypté nos rapports profonds aux forces originelles. Il nous révèle avec humour nos fonctionnements internes, et explique de manière lumineuse pourquoi notre société s’acharne à détruire la nature. Quelques jours avant sa mort, François Terrasson, écrivait : « Je voyais évoluer dans les forêts et savanes mes amis naturalistes, semblant baigner dans des paradis. Et aussi la peur de tant de nos contemporains devant les milieux sauvages. Je voulais savoir pourquoi. Pourquoi le positif, pourquoi le négatif, débouchant souvent sur l’agressivité contre le milieu, habilement déguisée en aménagement ou en développement économique. La piste était foisonnante de résultats semblant expliquer toutes sortes d’actions incongrues : arrachage de haies, recalibrage de rivières, assèchement de mares, monocultures et liquidation des sociétés paysannes. Le lien ou l’absence de lien avec la nature, voilà le point crucial ! Ou, comme le diraient les Indiens Cree du Canada, confrontés aux grands barrages de la Baie James : « le rapport spirituel avec le territoire ». L’homme émotionnel perçoit, rêve, symbolise les aspects sensibles de l’Univers. Il accorde arbitrairement des valeurs (en moins ou en plus) à chacun d’eux : océan, ciel, forêt, broussaille, maison, rivière, autoroute, blaireau, automobile, piscine, kalachnikov… En fait, le choix des aspects d’amour est très influencé par tous les agents de conditionnement mental qui pullulent dans nos environnements. C’est ainsi que j’en viens à soupçonner que, si les ambiances de nature touchent nos comportements, celles d’absence de nature n’auraient pas moins d’influence. » Extrait de « Les derniers mots d’un philosophe » publié par l’hebdomadaire Politis (mercredi 18 janvier 2006). Nous constatons ainsi au fil des pages que nos créations – champs agricoles dénudés s’étendant fièrement à l’infini, autoroutes en ligne droite, grands immeubles de verre et de métal s’élevant dignement dans le ciel – ont toutes un point commun : elles célèbrent, par leur artificialité, le reniement de la nature et sa domination. L’homme moderne n’en est plus à une contradiction près : il pense être le chef-d’œuvre de la nature, mais refuse d’être perçu comme lié à elle. Il a fait Dieu à son image, et veut créer de la vie sur Mars, alors qu’il la détruit chez lui. En se détachant de la nature, en déniant sa part d’animalité, la civilisation moderne a pris le risque de ne plus la comprendre : les dysfonctionnement de la science (pollution, vache folle), révèlent à leur manière cette profonde rupture. « Et pendant bien longtemps encore, l’homme a été un animal presque comme les autres, chassant, pêchant sans perturber l’équilibre de la planète. En Europe occidentale, beaucoup de races différentes s’installèrent et subirent des changements climatiques en série, dont le dernier fut la grande glaciation qui prit fin il y a peut être douze mille ans. C’est ensuite que s’installèrent les grandes forets de hêtres et de chênes à la place de la toundra et des conifères. Et ce magnifique décor ne fut pas perturbé, car on avait oublié d’inventer l’agriculture ». Extrait de « La Peur de la Nature » aux Editions Du sang de la Terre. Une lecture tonique, drôle sinon optimiste, un point de départ incontournable pour toute réflexion liée à notre capacité à changer et à vivre harmonieusement avec notre environnement naturel. « Sang de la Terre » de François Terrasson réédité aux Editions « Sang de Terre » – Prix public : 21,00 EUR

 


L’auteur, François Terrasson, maître de conférence au Muséum national d’Histoire naturelle, naturaliste accompli et écrivain, est décédé le 2 janvier 2006.

Son parcours : Instituteur dans l’Allier, avant de rejoindre le Muséum en 1967, François Terrasson avait participé à la création du service de conservation de la Nature au Muséum et fut l’un des premiers à faire prendre en compte le milieu naturel dans les problématiques d’aménagement du territoire et d’agriculture. Issu d’une formation alliant les sciences humaines aux sciences de la nature, François Terrasson s’était d’abord spécialisé en agro-écologie. Il a sauvé des milliers de kilomètres de haies et des pans de bocage. Grâce à son approche sociale et humaine de la nature, l’agriculture française lui doit beaucoup. Il a contribué au premier inventaire écologique du bassin parisien et à celui de la côte aquitaine.

Plus connu par ses études sur la perception de la nature dans l’inconscient des individus et les comportements humains face à la nature, il a parcouru le monde décortiquant les civilisations, leur attitude face à la nature « sauvage » et leur rôle dans la construction des paysages. Il a travaillé également pour de nombreux organismes et institutions internationaux : l’UICN, où il contribua fortement à la rédaction de l’ouvrage de référence « Stratégie mondiale de conservation : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable » publié en 1980 ; le Conseil de l’Europe ; l’Université des Nations Unies… A titre personnel, il a milité dans des associations naturalistes régionales et nationales, notamment, l’association des journalistes et écrivains pour la nature et l’écologie (JNE). Il était l’auteur de trois ouvrages remarqués : La peur de la nature (Ed. Sang de la Terre-1995), La civilisation anti-nature (Ed. du Rocher-1995) et En finir avec la nature (Ed. du Rocher-2002). Il avait également à cœur de partager ses connaissances sur la diversité biologique à travers des milliers de conférences données dans le monde entier ou en organisant les célèbres « sorties nocturnes » dans la nature sauvage !

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David Naulin
David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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