En France, en Europe, et dans une majorité de pays du monde, on observe depuis des décennies une croissance urbaine soutenue qui s’accompagne d’un exode rural et d’une baisse sévère de la population active agricole. Ainsi 5 millions de personnes ont quitté un habitat rural pour rejoindre les villes en France entre 1950 et 2015 (- 29 %) et les projections donnent une baisse de 25 % d’ici à 2050 (- 3,3 millions). Dans l’UE, ce sont 41 millions de ruraux en moins qui sont prévus dans les 35 prochaines années (- 32 %). En Afrique, la population rurale devrait continuer à augmenter (+ 360 millions à l’horizon 2050), mais le problème lancinant de la pauvreté des ménages agricoles va continuer de se poser.
La question des inégalités territoriales est donc posée, avec une ampleur qui accompagne la croissance démographique mondiale. Le scénario tendanciel, qui est aussi celui de la routine, de la pensée unique et des intérêts du modèle économique dominant, se caractérise par des villes de plus en plus peuplées, denses et étendues qui concentrent les activités économiques, la richesse et les services, mais dans le même temps amplifient ou génèrent des externalités négatives sociales et environnementales. L’espace rural constitue ainsi un enjeu majeur, dont trois des potentialités importantes sont l’emploi et le bien-être social, la lutte contre le changement climatique et la production de ressources renouvelables. Pour ces trois critères, les territoires ruraux disposent d’importants atouts. Il y a urgence à repenser notre modèle de développement en le rendant plus durable et donc plus équitable, notamment en restaurant un équilibre entre espaces urbains et espaces ruraux. Dans ce changement de paradigme, l’innovation de progrès va jouer un rôle considérable. La recherche propose aujourd’hui un nouveau concept pouvant servir de socle à un développement rural durable tout en générant des aménités positives pour les zones urbaines : les clusters de « bioéconomie circulaire territorialisée », c’est-à-dire les grappes d’activité fondées sur la valorisation en boucle de la biomasse.Microalgues : un potentiel diversifié pour la bioéconomie
Les algues, et en particulier le plancton microalgal représentent la moitié du gisement mondial en biomasse, avec un effet « puits de carbone » correspondant. Or les ressources renouvelables et leur valorisation à travers des processus de bioraffinerie envisagés dans un contexte de durabilité (externalités positives environnementales et sociales) sont appelées à un grand avenir, d’autant plus qu’elles peuvent contribuer à la résilience au changement climatique. Les co-produits des microalgues sont nombreux et viennent se substituer aux molécules chimiques de synthèse dans : – l’agriculture : fertilisants et produits de traitement phyto et zoo-sanitaires ; – l’industrie : molécules à haute valeur ajoutée (santé, cosmétique, alimentation humaine, protéines pour l’alimentation animale) ; – la production énergétique : méthane, carburants. Compte tenu de la rareté des ressources en biomasse, d’un ensoleillement exceptionnel dans les pays du sud de l’Europe et de la Méditerranée et de l’importance des surfaces maritimes et lagunaires, les microalgues pourraient constituer une opportunité dans cette région.Opportunité stratégique pour la région méditerranéenne
Il importe d’imaginer un modèle économique adapté aux contraintes géographiques méditerranéennes qui présentent une configuration dichotomique en fonction du milieu : d’un côté des mégalopoles côtières insérées dans un espace industriel et des infrastructures denses, de l’autre un espace rural souvent enclavé et sous-équipé. Dans le premier cas, les technologies occidentales, japonaises ou chinoises ou celles qui émergent localement devraient convenir et seront mobilisées par les grandes firmes des énergies conventionnelles par autofinancement et recours au marché financier. Un marché prometteur de dépollution et de co-produits sera stimulé par les accords de la Cop 21. Dans le second cas, il s’agit de promouvoir un développement rural durable intégré. Un nouveau modèle économique est à inventer. Il sera fondé sur le concept de « bioéconomie circulaire territorialisée » et son socle sera l’agriculture familiale mise en réseau avec son amont et son aval en s’appuyant sur des capteurs et des plateformes de mutualisation de connaissances, d’intrants et de canaux logistiques. Les microalgues élevées sur des bases de procédés robustes pourront jouer un rôle important de gestion de déchets et de source de co-produits énergétiques et alimentaires à haute valeur ajoutée. Par exemple, des fermes microalgales — souvent dans une forme coopérative — trouveront leurs intrants dans la méthanisation et le compostage de lisiers animaux ou de végétaux non comestibles en s’approvisionnant auprès des exploitations agricoles du territoire et susciteront en tant que fournisseurs de biomasse des activités nouvelles ou complémentaires dans les PME agroalimentaires, cosmétiques et chimiques de leur proximité. Le développement rural durable intégré sera structuré et stimulé par des entreprises agricoles, artisanales, industrielles et commerciales tirant leurs ressources de la bioéconomie et leur efficacité d’un réseau d’échange facilité par des capteurs d’informations [agriculture de précision, traçabilité et logistique], les connexions Internet et une plateforme commune de stockage et partage des données produites par les acteurs du réseau. La synergie entre les biotechnologies — au sein desquelles les microalgues devraient occuper une place de premier plan — et les technologies de la communication seront les outils de ces entreprises rurales post-modernes. Un tel scénario est cohérent avec la vision du prospectiviste de l’université Wharton aux États-Unis, Jeremy Rifkin, qui imagine une 3e révolution industrielle s’appuyant sur les énergies renouvelables [dont la biomasse], Internet et une large décentralisation des activités productives. La création de filières microalgales dans les pays méditerranéens suppose la définition de stratégies nationales coordonnées au-delà des frontières au niveau régional euro-méditerranéen et des dispositifs adaptés aux besoins locaux dans la chaine des savoirs [R&D, formation], les entreprises et le secteur public. Une grande attention doit être accordée à la structure de la chaine de valeur en termes de dimension des acteurs et de répartition des coûts et des marges [recherche d’un équilibre dans les pouvoirs de marché]. Les applications des microalgues doivent être considérées comme des outils au service d’un développement rural durable et en conséquence être intégrées dans des programmes territoriaux. Jean-Louis RastoinEtude : Le secteur des micro-algues en Méditerranée
/ Publications Etudes & Analyses Mercredi 27 Juillet 2016 – Jean-Louis RASTOIN, Kelly ROBIN TéléchargerLes contraintes multiples qui pèsent sur la région méditerranéenne constituent un lourd défi : changement climatique compromettant le niveau des récoltes et multipliant les risques sanitaires, dégradation environnementale sévère, inégalités sociales prononcées, compétitivité économique menacée par la concurrence internationale, etc.
TéléchargerDans cette optique, il est indispensable de penser et mettre en œuvre des solutions innovantes visant à améliorer la résilience des villes et territoires méditerranéens face à des crises d’ordre environnemental, mais aussi économique, social, et politique. Or, la région méditerranéenne possède de solides atouts : vaste espace maritime et terrestre, biodiversité élevée, énergie solaire de haut niveau, potentiel de croissance économique, savoir-faire et culture millénaires constituant un patrimoine exceptionnel.
La valorisation de ce potentiel appelle un immense effort d’innovation technologique et organisationnelle. La mobilisation de la biomasse dont les microalgues constituent une composante importante est une piste à explorer, avec de nombreux avantages, mais aussi des incertitudes sur les modèles technologiques et économiques à promouvoir.
C’est pourquoi l’IPEMED a souhaité conduire une étude exploratoire sur ce sujet, et présenter les principales applications des microalgues et technologies mobilisables en Méditerranée, dans un objectif de développement durable. In fine, l’étude menée par Jean-Louis RASTOIN, Professeur émérite Montpellier SupAgro, Conseiller scientifique de la Chaire Unesco en Alimentations du Monde, et coordonnée par Kelly Robin, Chef de projet dresse un panorama des potentiels de développement de la filière au Nord et au Sud de la Méditerranée, selon le type d’applications et selon les modèles économiques privilégiés, et esquisse des recommandations opérationnelles afin d’accroître la coopération euro-méditerranéenne dans ce secteur.
Le rapport est téléchargeable dans son intégralité, ainsi que la synthèse reprenant les conclusions et recommandations du rapport. Ce dernier document est également disponible en anglais.
Table des matières – Préface du Professeur Hatem BEN OUADA, Directeur de Recherches en Biotechnologie Marine, Institut National des Sciences et Technologies de la Mer (INSTM), Monastir – Préface du Dr. Laurenz Thomsen, Professor of Geosciences, Director of Ocean LabDepartment of Physics and Earth Sciences, Jacobs University, Bremen – Résumé / Executive Summary – Introduction – 1ère Partie : La Méditerranée, entre crises et résilience : données de cadrage physiques, démographiques et macroéconomiques de la région méditerranéenne et enjeux posés par les crises alimentaire et environnementale aujourd’hui et à moyen terme (2050) – 2ème Partie : Principales applications des microalgues et technologies mobilisables dans un objectif de développement durable – 3ème Partie Perspectives de développement des microalgues – Conclusions et recommandationsTélécharger
– IPEMED_Etudes et Analyses_Rapport microalgues_SYNTHESE – IPEMED_Etudes et Analyses_Rapport microalguesIPEMED : Un Think Tank Euroméditerranéen
L’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED) est un think tank euroméditerranéen. Constitué en association loi 1901 depuis sa création en 2006, il préfigure à moyen terme la création d’une fondation. Fervent défenseur de la construction de la région méditerranéenne dans son ensemble, IPEMED est convaincu du rôle déterminant de l’économie dans ce domaine. Sa mission, statutaire et reconnue d’intérêt général, consiste à rapprocher, par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée et ainsi oeuvrer à la prise de conscience d’un avenir commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée. Financé par des entreprises méditerranéennes, membres fondatrices d’IPEMED, et des personnes physiques qui partagent ses valeurs, il est indépendant des pouvoirs politiques dont il ne reçoit aucun financement. Il a pour principes l’indépendance politique et la parité Nord-Sud dans sa gouvernance, comme dans l’organisation de ses travaux. Il donne la priorité à l’économie et privilégie une approche opérationnelle des projets.
Le brassage des élites méditerranéennes et en particulier des élites émergentes, afin de les mettre en réseau, de leur permettre de travailler en confiance à des projets communs et de bâtir des politiques communes ;
La production d’idées nouvelles à partir de diagnostics partagés et de réponses communes aux défis de la région ;
La promotion et la diffusion des idées et des projets auprès des décideurs économiques et politiques de la région, mais également auprès d’un large public.
Prospective, pour construire une vision commune de la région et de son devenir, ne pas accepter la fatalité des scénarios tendanciels, et faire naître des collaborations sur le long terme ;
Par les réseaux professionnels, pour renforcer les synergies entre les réseaux transméditerranéens existants et émergents ;
Sectorielle, pour traiter les thèmes indispensables à la création d’emplois, à la croissance durable et solidaire de la région (eau, énergie, transport, santé, agriculture, finance…) ;
Territoriale, pour une plus grande coopération décentralisée entre régions du pourtour méditerranéen, pour la promotion de l’aménagement du territoire et du développement rural.