Dans le cadre de Glasgow la question de l’eau est au coeur de l’actualité du changement climatique. Les bouleversements climatiques menacent l’avenir de la ressource, tant dans sa quantité que dans sa qualité. Le 1er volet du 6e rapport du GIEC met d’ailleurs en exergue des informations inquiétantes sur les nombreuses perturbations que vont subir les eaux sur Terre. La vulnérabilité de la ressource s’aggravant, ce sont autant de déséquilibres sociétaux et politiques qui s’accroissent, faisant émerger les disparités et les conflits d’usage. Face aux multiples enjeux de l’eau, un travail de réflexion commune entre experts était plus que nécessaire afin de faire avancer la situation. Voici un Dossier riche et complet, élaboré par Green Cross France et Territoires, qui fait un état des lieux des politiques de l’eau, de ses chiffres-clefs et de ses enjeux au plan national européen et mondial. Celui-ci résume également sous forme de regards croisés d’experts, une journée de conférences-débats organisée par l’ONG, à Dunkerque, qui a fait émerger les 14 solutions concrètes qui seront portées à Glasgow.
Bienvenue dans le monde de l’eau.
Préface
Ressource essentielle, l’eau est indispensable pour garantir l’essence même de la vie mais aussi la durabilité de tous les secteurs de notre société. Or, les bouleversements climatiques menacent l’avenir de la ressource, tant dans sa quantité que dans sa qualité. Cela s’est nettement observé dans l’Aude, où la préfecture a dû mettre en place des contraintes de restriction d’eau ce 3 Septembre 2021. Au niveau de la qualité de l’eau, on peut noter que moins de la moitié des eaux de cours d’eau étaient en bon état écologique en 2015 en France. Outre ces enjeux, des tensions peuvent naître sur les territoires pauvres en eau. Aujourd’hui, la gouvernance de l’eau est confrontée à de nouveaux enjeux : la vulnérabilité de la ressource s’aggravant, ce sont autant de déséquilibres sociétaux et politiques qui s’accroissent, faisant émerger les disparités et les conflits d’usage. En effet, plus la ressource en eau diminue au niveau mondial, plus les tensions et risques de conflit augmentent. L’eau est devenue un enjeu géopolitique majeur. En effet, la présence d’un cours d’eau sur plusieurs Etats peut faire naître des moyens de pression comme c’est le cas au Moyen-Orient sur le partage du Nil, ou sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Outre ces effets sur la qualité et la quantité d’eau présente sur Terre, le réchauffement climatique perturbe le cycle de l’eau. Il s’agit d’un phénomène naturel qui représente le parcours entre les grands réservoirs d’eau liquide, solide ou de vapeur d’eau sur Terre. Sous la chaleur du soleil, l’eau (rivières, glaciers…) s’évapore et se retrouve dans l’atmosphère sous forme de nuages. Les précipitations d’eau (neige, pluie, grêle) iront ensuite alimenter les réservoirs d’eau, qui s’évaporeront à nouveau, et ainsi de suite. Ces différents états de l’eau, présents sur des territoires très éloignés sont en réalité reliés. En effet, le changement climatique provoque une accélération du cycle de l’eau au niveau mondial. À cela s’ajoute la dimension des saisons : certains endroits verront plus de précipitations sur l’année mais pourront subir des manques d’eau pendant l’été et des inondations à d’autres périodes. Un rapide focus sur ce phénomène est présent à la fin de ce dossier. Le 1er volet du 6e rapport du GIEC met d’ailleurs en exergue des informations inquiétantes sur les nombreuses perturbations que vont subir les eaux sur Terre, parmi elles : fonte des glaciers arctiques, élévation sans précédent du niveau de la mer, diminution du pH moyen de l’océan, en raison de la dissolution du CO2 dans l’eau, l’augmentation de la fréquence d’événements climatiques est due à l’activité humaine. En 2019, l’Acte I présenté à Madrid mettait en exergue ces vulnérabilités et proposait, face à cela, 8 propositions pour l’adaptation et la résilience. Dans la lignée de l’Acte I, cet Acte II de Dunkerque s’oriente désormais à la concrétisation d’actions et de synergies à l’échelle du territoire. Sur ces pages vous trouverez un rapide résumé des débats, qui ont eu lieu lors de l’Acte II de Dunkerque, sous forme de regards croisés d’experts. Vous trouverez également un court état des lieux des politiques de l’eau et de la situation actuelle des enjeux de l’eau au plan national, européen et mondial.DÉFINITION & PRINCIPES
RAPPEL DE L’ODD 6 : GARANTIR L’ACCES DE TOUS A L’EAU ET A L’ASSAINISSEMENT ET ASSURER UNE GESTION DURABLE DES RESSOURCES EN EAU LA DÉFINITION COMPLEXE DU DROIT DE L’EAU“L’eau est le patrimoine commun de la Nation, chacun ayant droit à l’usage de l’eau et à l’accès à l’eau potable de qualité à un coût acceptable.” (Extrait de la loi de 1992 sur l’eau)Au niveau du droit français : ● En droit français, le droit de l’eau se caractérise par une complexité chronique. Le statut et le régime juridique de l’eau manquent d’unité et sont fortement liés au droit de propriété. En effet, l’article L. 2111-7 et suivant du Code général des propriétés des personnes publiques distingue les cours d’eau domaniaux soumis au droit public des cours d’eau non domaniaux soumis au droit privé. Par conséquent, cette complexité et cette confusion nuisent à l’efficacité de la protection globale de l’eau. ● Par ailleurs, il n’existe pas une définition légale de l’expression « droit de l’eau ». Actuellement, les règles juridiques applicables à la ressource en eau sont éparpillées entre plusieurs codes ce qui ne facilite pas sa gestion. Par exemple, la planification de la gestion de l’eau est régie par le code de l’environnement, le service public d’eau potable par le code des collectivités territoriales, le domaine public fluvial par le code général des propriétés des personnes publiques, le délit de pollution des eaux par le code pénal. TROIS PRINCIPES SIMPLES AU FONDEMENT DE LA GESTION DE L’EAU – LE PRINCIPE SELON LEQUEL “L’EAU PAYE L’EAU” : Il est indispensable d’investir dans les infrastructures de gestion des eaux usées. Or ces investissements étant conséquents et n’étant pas intéressants au niveau financier, il faut trouver un moyen de lever des fonds. Le principe de « l’eau paye l’eau » est un principe selon lequel est intégré dans la facture d’eau un pourcentage prévu à l’investissement vers des infrastructures d’assainissement d’eau. L’investissement repose donc sur les consommateurs, qui en sont les bénéficiaires. – LE PRINCIPE DU “POLLUEUR-PAYEUR” : Selon ce principe, les pollueurs doivent supporter les coûts engendrés par la pollution résultant de leurs propres activités, y compris le coût des mesures prises pour prévenir, combattre et éliminer cette pollution, et les coûts liés à la réparation – LE PRINCIPE D’ “USAGER-PAYEUR” : Selon ce principe, inspiré du principe du « pollueur-payeur », les usagers, par le biais d’une redevance ou d’une taxe payent pour la gestion de leurs déchets à la quantité de déchets qu’ils produisent.
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Plus de 300 ans avant Jésus Christ, la gestion de l’eau était un enjeu au cœur des préoccupations du pouvoir central. En effet, durant la République et le Haut Empire, les Romains ont beaucoup œuvré pour rendre l’eau douce accessible à la population de Rome à mesure que la démographie urbaine augmentait. Construits à partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., les aqueducs de Rome (au nombre de neuf au début du IIème siècle) fournissaient un flot constant d’eau douce nécessaire à l’hygiène, l’alimentation, la sécurité, aux loisirs et aux cultes publics de la cité.
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CHIFFRES CLÉS
DANS LE MONDE ● “40% de la solution climatique est liée à l’eau” ● 70% de la consommation d’eau mondiale est consacrée à l’agriculture (irrigation, élevage, transformation des produits agroalimentaires), contre 20% pour l’industrie et 10% pour le domestique ● 2 à 6 tonnes d’eau sont nécessaires à la fabrication d’un téléphone portable ● + de 80% des eaux usées résultant des activités humaines sont déversées dans les rivières ou la mer sans aucune dépollution ● 10 à 30 % des débits des cours d’eau diminuent en été à cause du changement climatique impactant le niveau des aquifères. ● 1 personne sur 3 dans le monde n’a pas accès à de l’eau salubre ● 4,2 milliards de personnes sont privés de services d’assainissement gérés en toute sécurité et chaque jour, ● 1000 enfants meurent de maladies faciles à prévenir dues aux conditions d’assainissement et d’hygiène. ● Dans 80% des ménages sans accès à l’eau sur place, ce sont les femmes et les filles qui sont responsables de la collecte de l’eau ● 150 litres d’eau par jour, c’est la consommation moyenne d’un français par jour, contre 250 pour un américain et -10 litres pour un africain. ● Toutes les 90 secondes, un enfant meurt du manque d’eau ● 80% des maladies dans les pays en développement sont liées à l’eau ● 200 millions de personnes dans le monde sont contraintes de recourir à une alimentation en eau dessalée ● 9 régions du monde sont menacées par la montée des eaux EN FRANCE ● 50% seulement des eaux de surface en France (cours d’eau, lacs et eaux littorales) et 67% des eaux souterraines sont en « bon état chimique »[[c’est-à-dire respectant les normes de qualité pour les principaux polluants.]] en 2013, ● seulement 2/3 des français boivent l’eau du robinet[[D’après le baromètre 2018 TNS-SOFRES : « Les Français et l’eau »]].DATES CLÉS
– 16 décembre 1964 : 1er texte qui pose le cadre juridique d’une réglementation de la pollution de la ressource en eau. – 3 janvier 1992 : Loi sur l’eau qui procède pour la première fois à l’unification du régime juridique de l’eau autour de 4 grands principes :- 1.Unité de la ressource en eau,
- 2. Patrimonialisation de l’eau,
- 3.Affirmation du caractère d’intérêt général de la protection de l’eau,
- 4. Gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.
LES 14 PROPOSITIONS CONCRÈTES PORTÉES À GLASGOW
AXE 1 : Construction collective de la gestion territoriale et démocratique de l’eau
PROPOSITION 1 : Transparence institutionnalisée des politiques de l’eau Rendre obligatoire l’information, l’acculturation et l’échange territorial sur les choix territoriaux stratégiques, les règles de gestion (disponibilités, tarification, gestion qualitative) et les opportunités d’économie circulaire de la ressource. Développer pour ceci de nouveaux moyens de communication avec de nouveaux supports spécifiques, notamment aux jeunes. Une obligation qui doit s’appliquer de manière périodique à l’échelle d’un bassin versant (ex. concertation quinquennale). PROPOSITION 2 : Participation ouverte aux instances décisionnaire Développer la participation du public aux instances de gouvernance de l’eau, en particulier celle des jeunes, par une meilleure mobilisation et information en amont. Favoriser dans cette optique une représentation collégiale accrue à l’image de la société et des standards onusiens. PROPOSITION 3 : Création d’un indicateur d’empreinte-eau Développer un calculateur standardisé (si possible à l’échelle européenne) calculant et affichant l’empreinte en eau (verte, bleue, grise) de chaque produit ou service, avec obligation d’affichage et réalisation d’un eau-score dédié (sur le modèle du nutri-score). PROPOSITION 4 : Observatoire de l’eau et partage de bonnes pratiques Développer les cartographies participatives et lieux d’échanges sur l’eau (physiques ou virtuels) en partageant largement des indicateurs de gestion qualitative et quantitative (disponibilité de la ressource, usages, prix, modes de gouvernance, etc.) dans une logique de données ouvertes, d’observatoires participatifs et de savoirs partagés. Encourager plus largement le partage proactif des meilleures pratiques culturelles, innovantes et sectorielles contribuant à la résilience de l’eau et à la résilience via l’eau. PROPOSITION 5 : Création de parlements locaux des jeunes pour l’eau Créer un collectif local des jeunes pour développer le partage d’expérience autour de projets concrets (à l’exemple du Parlement des Jeunes pour L’Escaut). Valoriser plus largement la mobilisation et l’engagement des jeunes sur ces questions en institutionnalisant leur présence dans les instances et processus décisionnels concernés.AXE 2 : Renforcement et effectivité de la gestion de la ressource
PROPOSITION 6 : Établissement d’une Haute Autorité de l’Eau Développer une Autorité de l’Eau (à l’image des Autorités environnementales), cascadée depuis le niveau européen jusqu’au bassin versant. Celle-ci aura à charge d’apporter des palliatifs au morcellement structurel des compétences grâce à des processus de régulation et de transversalité effectives entre les différents enjeux de gestion de l’eau (gestion qualitative, quantitative, usage, santé, pérennité, résilience). PROPOSITION 7 : Mise en place de plans de résilience territoriale Mettre en place et actualiser rapidement des plans de résilience territoriale de l’eau insistant notamment sur les enjeux de préservation des écosystèmes et de santé humaine liés à la ressource et à son altération. S’appuyer pour cela sur les différents outils de planification en présence à l’échelle des territoires (PCS, PAT, PTGE, SDAGE, etc.) en privilégiant une approche de travail transversale cadrant avec la vision holistique des composantes eau/assainissement/santé. PROPOSITION 8 : Intégration d’un comité d’experts de l’eau au sein des exécutifs Intégrer dans l’exécutif des collectivités un Comité des Acteurs de l’Eau regroupant les maîtres d’ouvrage du territoire agissant sur l’hydro-système. Ce dernier devra disposer de responsabilités transverses et être directement rattaché au Président de l’exécutif concerné. PROPOSITION 9 : Affermissement du Droit à l’eau dans les politiques publiques Réaffirmer les principes démocratiques et humanistes de l’accès universel à la ressource en eau pour les besoins essentiels et la hiérarchie des usages (depuis l’eau de boisson jusqu’à l’eau agricole et l’eau industrielle) et renforcer l’application du principe d’équité à l’œuvre dans la politique publique de l’eau (y compris à travers le prix et le mode de financement de ce service).AXE 3 : Reconnaissance et promotion des multiples vies de l’eau par une gestion inclusive
PROPOSITION 10 : Établissement d’instruments généralisés (diplomatique, technique, politique, financier) pour garantir une gestion partagée de la ressource pacifiée et durable Généraliser un outil inclusif pour la promotion d’une approche pacifiée de la coopération de l’eau. Ce dernier devra tenir compte des cadres juridiques en présence, des arrangements institutionnels et de participation, des instruments de gestion de l’eau, des infrastructures de financement et modes de rétribution. Des outils comme le Blue Peace Index peuvent accélérer cette généralisation. PROPOSITION 11 : Développement de pratiques de gestion optimisée de la ressource Développer les multiples usages interconnectés de l’eau, en particulier via l’économie circulaire de l’eau et l’écologie industrielle et territoriale. Cette dynamique devra être appuyée par les collectivités territoriales et s’inscrire en faveur d’une mise en application du règlement européen 2020/741 de mai 2020 sur la réutilisation de l’eau. PROPOSITION 12 : Encourager l’entrepreneuriat et l’innovation Développer et mobiliser les réseaux concernés (recherche, innovation, sciences participatives, savoirs traditionnels…) et impulser une démarche concertée de démonstrateurs thématiques (entrepreneuriaux, éducatifs, et ouverts au public) en mobilisant pour ceci les outils juridiques liés au droit d’expérimentation et en par l’innovation les freins vecteurs d’inertie. PROPOSITION 13 : Promouvoir les solutions fondées sur la nature Mettre en place, par le développement de réseaux d’expertise et de promotion, des solutions naturelles de gestion de l’eau et des écosystèmes aquifères (incluant l’agriculture, la forêt et le littoral), de manière concrète et opérationnelle. En amont, préserver le milieu naturel, dont les zones humides, offrant une large gamme de services écosystémiques à travers des actions de restauration et d’une protection législative forte. PROPOSITION 14 : Intégrer l’eau plus largement dans les enjeux climatiques et de développement durable Rendre compte régulièrement de la consommation de l’eau et de son utilisation raisonnée en vue de la réalisation des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD) à l’échelle des territoires. Justifier plus largement de la manière dont ces derniers permettent, via l’eau, d’apporter une réponse appropriée aux enjeux de l’urgence climatique et écologique.POUR ALLER PLUS LOIN…
ETAT MONDIAL DES PÉNURIES D’EAU ET DES PRINCIPALES ZONES DE SECHERESSES
Le rapport du programme commun OMS/UNICEF, « progrès en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène” est un document de référence sur les estimations à l’échelle internationale quant aux progrès réalisés en matière d’eau de boisson d’assainissement et d’hygiène. C’est également ce programme qui assume le suivi mondial des cibles des objectifs du développement durable liés à ce secteur. Le bilan dressé quant à l’accès à l’eau dans le monde est plus qu’alarmant.FOCUS MONDE SUR LA RÉPARTITION DES SÉCHERESSES
Le pourtour de la Méditerranée et de la Mer Noire, l’Amérique centrale et le sud-ouest des USA, le Chili, le sud de l’Afrique, la côte ouest (entre Sénégal et Côte d’Ivoire), Madagascar, l’Amazonie sont les régions les plus menacées par des sécheresses fréquentes et intenses. En Amazonie, cela pourrait déclencher une transformation profonde de l’écosystème forestier.RESSOURCES EN EAU PAR HABITANT
L’Afrique du Nord et l’Asie sont les territoires les plus marqués par le manque d’eau. Le Canada et l’Amérique du sud sont les zones les plus riches en eau par habitant. L’Europe centrale se situe sur la moyenne haute en termes de disponibilité d’eau douce par habitant. 2021 est une des années comprenant le plus de catastrophes naturelles depuis les dernières décennies. Le monde entier a été touché de manière particulièrement violente (incendies au Canada et au nord de Barcelone, inondations en Chine, Angleterre, France et Belgique…). Ces nombreuses catastrophes climatiques sont en grande partie dûes au dérèglement du cycle de l’eau. Le Groupe International d’Expert sur le Climat (GIEC) nous prouve, par les sciences, que les moyennes de températures ou de précipitations vont changer, mais les fréquences et intensités des épisodes météo ou climatiques extrêmes également. – Rapport du GIEC 2021