Le Salon de l’Immobilier Bas Carbone (Sibca) vient de clôturer sa première édition au Grand Palais Ephémère à Paris. Avec le défi de la neutralité carbone 2050 et la nouvelle réglementation RE2020, la maîtrise du bilan carbone devient la priorité et l’affaire de tous les intervenants du secteur immobilier.
Entretien avec Sébastien Delpont, directeur d’Énergie Sprong, un mouvement européen qui vise à déployer à grande échelle des rénovations garanties zéro énergie. Également directeur associé chez Green Flex, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement de la transition environnementale des entreprises et des territoires. Il est membre expert de La Fabrique écologique, une fondation pluraliste dont l’objectif est de promouvoir le développement durable sur la base de propositions pragmatiques et concrètes. Cdurable : C’est quoi un bâtiment bas carbone ? Sébastien Delpont : « Aujourd’hui nous avons un changement climatique et 40 % de la cause, en Europe des problèmes climatiques, c’est les bâtiments ». Donc le problème numéro, ce sont les bâtiments donc il va falloir qu’on s’y attaque sérieusement. Quatre sujets sont à considérer quand on parle de bâtiments et d’émissions de gaz à effet de serre : – La consommation de gaz et de fioul dans les bâtiments. La solution évidente, c’est de rénover plus et mieux les logements pour moins consommer. – Les matériaux choisit pour construire le bâtiment. Construire en béton ou en bois n’a pas le même impact carbone en amont. On parle de mix énergétique en disant qu’il faut des éoliennes, du nucléaire … Mais demain, il va falloir repenser le mix des matériaux. Au XIXᵉ siècle, on construisait en pierre, en terre ou en bois, on s’est mis à construire avec des matériaux beaucoup plus carboné au XXᵉ siècle, avec du plastique, de l’acier, des matériaux issus de la chimie du pétrole. Ce n’est pas le même poids carbone que de construire en pierre, en bois ou en paille. Il y a un défi qui consiste à réinventer le type des matériaux utilisés pour construire : matériaux géo ou bio sourcés, matériaux de réemploi, béton ou acier décarboné. – L’énergie qu’on utilise in fine lorsqu’on vit dans le bâtiment. Parce qu’on a beau réduire la consommation d’énergie des bâtiments en réduisant jusqu’à 70 à 80 %, si on ramène un bâtiment à un niveau de classe A ou B, c’est l’obligation de la norme pour 2050, il y aura toujours une part d’énergie résiduelle qui doit être la plus durable possible. C’est la bascule vers la production et consommation d’énergies renouvelables qui est essentielle. – La mobilité induite par la situation du logement sur le territoire. Avoir une maison zéro énergie à 40 kilomètres d’un centre-ville, auquel on accède en voiture diesel, matin et soir, c’est in fine un habitat très carboné, même si dans une perspective « purement bâtimentaire » , il est zéro énergie. Vivre à proximité d’une offre de transports en commun, de co-voiturage et d’infrastructures de mobilité comme les pistes cyclables, favorise un habitat décarboné. Voilà ce qu’il faut maintenant, c’est réinventer nos villes pour mieux intégrer ces quatre dimensions et les décarboner. Avec comme premier sujet essentiel comment on amène les ménages le plus rapidement possible vers la rénovation énergétique de leur logement. Il y a donc 4 grands sujets de transformation des villes existantes pour les décarboner : – Rénover le bâti existant, 70% des bâtiments de 2050 sont déjà construits aujourd’hui. Donc le challenge c’est pas tant comment on va construire mieux des bâtiments neufs, même si il faut le faire. – Changer nos modes de mobilité : mieux utiliser les infrastructures de transport en commun existantes, prendre plus souvent son vélo … – Utiliser des matériaux décarbonés : leur choix intervient au moment où on bâtit ou rénove. – S’engager dans des projets d’énergies renouvelables locales. Cela nécessite la planification de la transition énergétique avec les pouvoirs publics. » Cdurable : D’où viennent les émission de CO2 des bâtiments aujourd’hui ? Sébastien Delpont : » Essentiellement la quantité des énergies fossiles utilisées pour se chauffer / se climatiser / se doucher, principale source d’émissions de gaz à effet de serre. C’est pour ça qu’on a des étiquettes énergie pour qualifier un logement passoire énergétique ou logement bas carbone. Il n’y a pas que les considérations économiques de budget fin de mois, il y a aussi l’interdiction à la location des passoires énergétiques dès Janvier 2023. Cette Loi Climat entrainera une décote du prix de vente de ces logements. Par exemple,dans beaucoup de régions entre un logement de classe D F ou G qui vaut 200 000 € et un logement de classe G ou A on va observer des surcotes/décotes de +/- 15%, soit jusqu’à 60 000 €. Ça commence à devenir très important et c’est significatif même si ça ne résout l’insolvabilité de certains ménages pour engager des travaux. » Cdurable : Pourquoi le logement bas carbone est la solution pour réduire sa facture énergétique ? Sébastien Deplont : » En isolant, on peut diminuer sa consommation énergétique et améliorer sa santé. En effet, si pour chauffer une passoire énergétique il faudrait 2 500 € – que je n’ai pas – pour se maintenir à 20 degrès, alors des ménages vont se contenter de 12 degrès de température intérieure pour 1 000 € et seront bien plus souvent malades… Rénover est un bénéfice indirect pour la santé : mettre 100 € dans la rénovation pour des ménages en précarité c’est 40€ d’économie pour le système de santé. Le rapport du GIEC évoque 2 solutions : La sobriété énergétique (moins de gaspillage et changement de nos usages) qui va jouer sur 10 à 15 % de gain maximum. Et l’isolation du logement (amélioration du bâti) qui peut participerà faire 50 à 60% du chemin. La filière rénovation a cependant deux difficultés : on doit rénover trois fois plus, trois fois plus vite. On va donc avoir un déficit quantitatif de savoir faire car il n’y a pas suffisamment de gens formés, alors que 30 % des artisans français vont partir à la retraite dans les dix ans. En 2050, 80 % du parc immobilier devra être en classe B. Techniquement on sait faire mais pas à grande échelle. Il s’agit de faire travailler ensemble tous les professionnels de la filière : architecte, électricien, plaquiste, charpentier, … il y a un gros travail de coordination. » Cdurable : Comment relever ce défi de multiplier par neuf notre capacité de rénovation ? Sébastien Delpont : » Il faut attirer les gens vers ces métiers. Pendant la crise sanitaire du COVID, on a mis en valeur les salariés de la première ligne (infirmières comme les caissières de supermarché), il faut comprendre que les salariés de la première ligne pour lutter contre le changement climatique, ce sont les plaquistes, électriciens, isolateurs, plombiers, architectes, chef de chantiers… Ce sont des beaux métiers extrêmement utiles qui ont une puissance d’impact. Il y aura un travail d’explication et de pédagogie sur ces métiers. Il y a 3 enjeux dans la rénovation : l’offre, la demande et le financement. Parfois, il y a une vision un peu simpliste. Il suffit de mettre de l’argent. Le problème, si je mets de l’essence dans une voiture qui n’a pas de moteur, ça n’avance pas. Le moteur de la rénovation, c’est qu’il y a des gens qui ont envie de rénover. Mais comment créer de l’envie chez les ménages ? Mais si j’ai pas envie, qu’on ma propose de l’argent pour le faire, ça ne change rien. A quand les journées du patrimoine bas carbone ? Les Français ont besoin de voir des logements décarbonés ! Il faut qu’on donne des garanties aux ménages, qui ne peuvent pas engager des travaux importants et investir des milliers d’euros et après ? Ah ben non, ça ne marche pas, mais ce n’est pas de ma faute, c’est l’autre électricien. C’est la faute du plaquiste et vice versa. Il y a aussi un gros travail de formation de professionnels et notamment de coordinateurs. C’est un nouveau métier. Il faut mobiliser des ressources humaines et leur donner envie envie. » Cdurable : Combien coûte la rénovation d’un logement pour qu’il soit bas carbone ? Sébastien Delpont : » Si vous rénovez pour 70 000 €, que votre bien gagne 60 000 € de valeur immobilière et vous allez économiser 1 500 € par an de consommation d’énergie. Donc il n’y a pas de doute sur le fait que ça a une valeur économique. Mais comment je fais avec mon banquier si je n’ai pas encore fini de rembourser le prêt de ma maison ? Là ce n’est pas la performance économique de l’investissement qui est en jeu, mais la capacité de le faire dans une perspective de « fin de mois ». Par exemple, un ménage ne peut pas dépenser plus de 33 % de ses ressources, est ce qu’il y a une collectivité qui peut se porter en garant ? C’est pour ça que se développent des structures de tiers financement. Si les opérations vont permettre de réaliser des économies à l’usage, il faut bien à un moment avancer l’argent. Et qui ? La banque ? Avec une inflation des prix de l’énergie, comment faire face aux factures de fin de mois ? On voit bien que c’est dans son intérêt à long terme d’avoir son patrimoine immobilier qui prend 60 000 € de valeur au lieu de les perdre et qui génère 1 500 € d’économies par an. C’est une moyenne. En réalité, si je prends une maison isolée sur sa parcelle, il y a quatre façades à isoler. Si elle est mitoyenne, il n’y aura que deux faces à la maison, donc ce sera deux fois moins cher. Au final, pour simplifier, il y a trois choses à faire : isoler toutes les façades, isoler les toits et changer de système de chauffage (sans négliger les questions de ventilation) Beaucoup de gens considèrent que faire aujourd’hui en une fois c’est trop cher et que ce sera mieux de le fairedemain et en plusieurs fois. C’est une hérésie économique. Non seulement leur bien va perdre de la valeur mais ils ne seront plus en capacité de le louer ! Le pire choix c’est de ne rien faire. » Cdurable : quelle est la solution pour les locataires qui doivent faire face à l’augmentation des tarifs de l’énergie ? Sébastien Delpont : » Jetravaille avec le mouvement Energiesprong et des professionnels de toute la chaine de valeur pour créer des filières industrielles de rénovation très performante en logement social, en effet c’est d’avoir au moins trois bailleurs sociaux qui commandent chacun 1000 logements, cela permet d’envisager la création d’une usine. L’idée est d’amorcer la pompe du développement de la filière industrielle en s’appuyant sur des grands donneurs d’ordre comme les bailleurs sociaux, qui agissent avec comme mission l’intérêt général et la protection des ménages les plus fragiles. Les bailleurs, aujourd’hui, c’est 20 à 25 % du parc français. Mais il reste encore trois quarts des bâtiments hors du logement social, il y aura donc des savoirs faire et bonnes pratiques à répandre dans tous les segments de marché, sur la base de ces projets HLM réussis. » Cdurable : donc les marchés de l’immobilier bas carbone sont devenus un enjeu économique majeur et de créations d’emplois ? Sébastien Delpont : » Si tous les gens à peu près conscients et ouverts d’esprit ont compris ce que serait le futur, il faut une révolution dans le monde du BTP, où avant 80 % de l’activité était lié à la construction neuve et 20 % de la rénovation. Maintenant ça va être l’inverse : 80 % du métier, ça va être la rénovation et 20 % ce sera de la construction. La question est donc comment on passe de cette conviction qualitative à une planification quantitative ? C’est un enjeu majeur de planification écologique. En plus on a un défaut de planification dans la filière. On ne peut pas attendre que le marché décolle. Il faut qu’on sorte de la poule et l’oeuf sur ce marché qui a besoin d’un réel soutien stabilisé et d’une planification plus précise, en complément des beaux discours. Comme pour la faim dans le monde, on ne peut pas être contre ce modèle et la vision de mieux et plus rénover. Tout le problème c’est quand on se dit « on est d’accord, passons à un autre sujet » sans oser rentrer dans le détail. Mais quand on passe à un autre sujet et on se met à débattre sur le nucléaire et les éoliennes parce que, là, personne n’est d’accord et ça force à être précis pour argumenter. » Cdurable : On vient de voir avec vous que les solutions existent déjà, comment les développer à grande échelle pour que ça devienne la nouvelle norme ? Sébastien Delpont : » Ce qui est passionnant et très encourageant, c’est qu’aujourd’hui on se rend compte avec le rapport du GIEC de l’état des solutions pour lutter contre le changement climatique. On a baissé en quelques années par dix le coût des batteries électriques pour faire de la mobilité décarbonée. On a baissé le coût des panneaux solaires, des éoliennes …. On connait les solutions positives qui fonctionnent. Par contre, il faut qu’on se bouge sur l’industrialisation des solutions. Le challenge est d’arriver à faire beaucoup moins cher des choses simples qui fonctionne. C’est un défi de former en masse pour changer d’échelle. Inutile d’inventer des choses qui n’existent pas. On doit sortir de cette logique qui consiste à espérer de nouvelles innovations. Notre défi c’est la multiplication à un prix abordable. Il est l’heure, on sait faire. C’est maintenant qu’il faut changer d’échelle. Il faut arriver à le faire suffisamment vite pour éviter les pires conséquences du changement climatique. Chaque dixième de degré de hausse des températures évité va sauver des vies. Vaut mieux un monde à plus 1 ou 1,5 degrés qu’un monde à plus six degrés. Il y a 50 ans, on a su s’organiser pour, à partir de rien, marcher sur la lune. il va falloir s’organiser pour reconquérir la Terre. C’est là où on vit, où sont nos habitats et nos vies. Et si on s’organise avec la même méthode, la même rigueur que celle que notre société a montré avec le COVID, on va changer nos modes de vie, de faire et de vivre, pour décarboner notre habitat avec la vitesse et l’intensité nécessaire. »Les grands entretiens de Cdurable
Isolation thermique des logements : « le pire choix c’est de ne rien faire »
Entretien avec Sébastien Delpont