La commission européenne a annoncé le 8 mars le dispositif REpowerEU pour s’affranchir « bien avant 2030 » du gaz russe en diversifiant nos approvisionnements. Son financement pourrait être ponctionné en partie, selon le comité économique européen, sur les 92 milliards prévus à l’origine pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Catherine MacGregor directrice générale d’ENGIE, s’est exprimée également quant à la possibilité de plafonner les prix du gaz tout en demandant « aux français de baisser d’un degré leur chauffage » . Ces réactions faites au bénéfice de l’urgence flèchent cependant les efforts budgétaires prioritairement vers le stockage de gaz quand il existe des leviers activables encore plus rapidement. La France a en effet la chance de disposer d’un dispositif étrenné et non offensif : le financement des travaux d’économies d’énergie par les énergéticiens via les Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Ces dispositifs de transition vers des sources de chaleur moins gourmandes en énergie, comme la pompe à chaleur électrique ou l’isolation des nombreux foyers français en précarité énergétique, méritent d’être désormais perçus comme une priorité stratégique et non comme une variable d’ajustement à la marge – Démonstration : Le secteur résidentiel représente approximativement 150TWh sur les 500TWh de gaz consommés annuellement en France. La Russie pèse pour 17% des approvisionnements français en gaz. Pour le résidentiel seul, il serait donc nécessaire d’économiser 25,5 TWh/an soit environ 300TWhcu sur 15 ans pour annuler le poids du gaz russe sur ce secteur. Une idée intéressante pour économiser cette énergie serait de convertir la majeure partie du parc de logements chauffés au gaz à la « pompe à chaleur » ou PAC, identifiée par l’ADEME comme la source de chauffage la plus performante. Ce serait environ 7,5 millions de logements à convertir sur les 11 millions de foyers chauffés au gaz. Si on raisonne au-delà des « économies d’énergie », en incluant la « substitution d’énergie » du gaz vers l’électricité, c’est seulement 20% de la totalité des logements français chauffés au gaz, soit 2,2 millions sur les 11 millions qui devraient passer à la Pompe à Chaleur. A titre de comparaison, la prime « coup de pouce CEE » a permis le remplacement du mode de chauffage d’1 million de foyers en 3 ans. On se rend compte que cet effort de transition de modes de chauffage n’est en rien aussi complexe que celui envisagé par la commission européenne : investir dans la création ou la rénovation de zones de stockage supplémentaires de gaz, ou avoir des réserves permanentes de 90% des capacités de stockage. Il est aussi plus durable, s’il est nécessaire de le rappeler. La proposition de RePowerEU d’autoriser un rabais fiscal de 100% pour l’importation du gaz visant à atteindre ces niveaux de stockage va également à l’encontre de l’effet désiré et prive de capacités de financement la transition énergétique. Si on envisage la rénovation globale des habitations, et non seulement les chaudières, là aussi l’effort est atteignable. Le rythme de rénovation pour la période 2015-2030 est aujourd’hui déterminé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) du Ministère de la transition écologique à 370 000 rénovations globales, et 700 000 pour la période 2030-2050. Nous sommes en retard avec seulement 70 000 rénovations globales par an. Les solutions de financement de la rénovation énergétique et les outils incitatifs sont déjà en place mais nécessitent un renforcement et un statut de quasi « cause nationale » pour permettre à la France d’atteindre ses objectifs climatiques, d’indépendance énergétique et, c’est nouveau, de sécurité nationale. La 5ème période déterminant le volume d’obligations d’achat, et donc les fourchettes de prix des Certificats d’Economie d’Energie par les énergéticiens, doit être beaucoup plus ambitieuse ; de même que les primes « Coup de Pouce » à la rénovation globale. Ce sont ces dispositifs qui rémunèrent les artisans et fabricants et limitent, voire annulent, le coût de la transition énergétique pour les français. Ces prises de conscience budgétaires nous permettraient de rattraper nos objectifs climatiques arrêtés par la SNBC tout en nous affranchissant rapidement de la dépendance au gaz russe sur la part résidentielle. Si l’on suit la trajectoire SNBC, c’est seulement 700 000 rénovations globales sur 3 ans (incluant la conversion gaz vers PAC/ENR) qui nous permettraient là aussi de ne plus importer la part de gaz russe destinée au secteur résidentiel. Enfin, la guerre ayant matérialisé, pour les européens, des craintes précédemment réservées au domaine de la crise énergétique, il est important de se pencher sur les conséquences humaines dramatiques du conflit et le parallèle, là aussi, avec l’urgence climatique. L’exil des civils ukrainiens est, à date, estimé entre 1,5 et 2 millions de personnes déplacées. La France annonce pour l’instant la prise en charge possible de 20 000 de ces exilés. A titre de comparaison, l’Internal Displacement Monitoring Center estime à 700 000 le nombre de déplacés climatiques en Europe sur les 10 dernières années. Le même organisme prévoit, pour la France seule, 30 000 déplacés par an liés à des catastrophes climatiques (incendies, inondations…) sur la décennie à venir. L’actualité et les ordres de grandeur de ces catastrophes humaines soulignent encore un peu plus la réalité de l’urgence à la transition énergétique et écologique. Une filière, celle de la rénovation énergétique, structurée, expérimentée et ambitieuse existe déjà en France. Il lui faut des moyens renouvelés pour atteindre des objectifs qui dépassent désormais, s’il le fallait, les simples enjeux environnementaux. Maxime Jacquier Directeur Général de Leyton Membre de la Convention des Entreprises pour le Climat