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The Conversation France

Exploitation de lithium dans l’Allier : une mine responsable est-elle possible ?

Un débat déjà tranché ? Quelle importance du passé minier dans l’accueil local du projet ?

Échassières, petit village de 373 habitants de l’Allier, à 60 km au nord de Clermont-Ferrand, devient un atout pour la voiture électrique depuis que l’entreprise française Imerys y a développé un projet d’exploitation des carrières de mica afin de produire du lithium, un matériau clé pour les batteries des véhicules électriques. Pour mieux comprendre les enjeux environnementaux de ce projet, The Conversation France a envoyé la chercheuse Fanny Verrax, spécialiste des métaux de la transition, à la conférence de presse d’Imerys. En mettant en perspective les discours officiels avec son expertise sur les mines, elle tente de répondre à une question essentielle : une mine responsable, est-ce possible ?

Carrière de kaolin d’Échassières, actuellement exploitée par IMERYS, également à l’initiative du projet de mine de lithum. TomTooM03/Wikimedia Commonns, CC BY

A retrouver après cet article :

  • Mieux comprendre, avec le chercheur en sciences politiques Lucas Miailhes, comment le débat public autour de ce projet minier entre en résonance avec les ambitions de l’UE sur les matières premières critiques.
  • Décryptage des engouements et réticences locales avec l’anthropologue Violeta Ramirez qui s’est associée pour cela avec le photojournaliste Valentin Caball.

Exploitation de lithium dans l’Allier : une mine responsable est-elle possible ?

Fanny Verrax, EM Lyon Business School

Pour The Conversation France, la chercheuse Fanny Verrax a suivi la conférence de presse d’IMERYS, l’entreprise qui projette d’exploiter des carrières de mica de l’Allier afin de produire du lithium, un matériau essentiel au déploiement des voitures électriques. En mettant en perspective les discours officiels avec son expertise sur les mines, elle pose une question essentielle : une mine responsable, est-ce un contresens sémantique ou un projet réalisable ?


Difficile d’atterrir à Échassières sans avoir une bonne raison pour cela. Ce village de l’Allier est à 50 km de la première gare Intercités et ne présente, au premier coup d’œil, aucune attraction notable. Mais Échassières est désormais devenue une destination incontournable des journalistes régionaux comme nationaux.

En cette matinée de mars, ils sont une vingtaine à assister à la conférence de presse du groupe Imerys concernant le projet de mine de lithium EMILI (Exploitation de Mica LIthinifère), suivie de la visite de l’actuelle carrière de kaolin, une argile blanche utilisée notamment pour l’industrie papetière et céramique, dont Imerys est ici l’exploitant en plus d’en être le premier producteur mondial.

L’actuelle carrière de kaolin. Fanny Verrax, Fourni par l’auteur

Professeure associée en transition écologique et entrepreneuriat social à l’Emlyon Business School collaborant à The Conversation France, je suis parmi ces journalistes venus de Lyon ou de Paris et j’ouvre grand les oreilles.

Car ce qui se joue à Échassières dépasse largement ses 373 habitants. Ce projet de mine de lithium est présenté comme indispensable à la transition énergétique, ce métal étant principalement utilisé pour les batteries Li-ion des véhicules électriques. S’il se concrétise, ce projet serait également la première mine ouverte en France depuis près de 50 ans dans un contexte de réforme du code minier, et d’assouplissement controversé des garde-fous environnementaux, sanitaires et démocratiques.


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Mine verte ou responsable ?

Conscient des questionnements sur les conséquences environnementales du projet, un représentant d’Imerys commence par concéder devant les journalistes : « La mine verte n’existe pas. Mais avec la mine responsable, nous pouvons néanmoins essayer de minimiser les impacts. »

Fourni par l’auteur

Pour pouvoir se réclamer de ce concept de mine responsable, Imerys met en avant plusieurs engagements volontaires : protection de la biodiversité avec act4nature, et respect de la norme IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), une norme de performance volontaire créée en 2006, ayant le mérite de rassembler toutes les parties prenantes (entreprises minières, acheteurs, investisseurs, ONG, syndicats, communautés affectées).

Seul bémol : la première étape de la démarche IRMA est une auto-déclaration, et une entreprise minière peut donc se réclamer de la démarche IRMA sans se soumettre à un contrôle externe. Par ailleurs, même en cas d’audit externe, s’il est vrai que les auditeurs externes d’IRMA passent plus de temps sur site qu’aucun autre standard de vérification (de l’ordre de 14 jours pour une équipe de 2 personnes), cette durée reste trop courte pour garantir une vérification exhaustive de tous les éléments du standard IRMA.

Si le seul label IRMA ne garantit donc pas de bonnes pratiques environnementales ou sociales, qu’en est-il de la législation française ?

À Échassières, IMERYS ne manque pas de revendiquer une responsabilité environnementale et sociale qui serait garantie par le respect des standards européens, et plus encore, du respect du « cadre réglementaire français, parmi les plus stricts au monde ».

Je ne peux alors m’empêcher de penser à ce rapport de l’OCDE montrant que la France est nettement en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE concernant la sévérité de sa politique environnementale. Je pense surtout au rapport de GEODERIS (Groupement d’Intérêt Public (GIP) constitué par le ministère de la transition écologique et solidaire, le BRGM et l’INERIS) identifiant en France 28 « sites de déchets miniers désaffectés ayant des incidences graves sur l’environnement ou risquant, à court ou à moyen terme, de constituer une menace sérieuse pour la santé humaine ou l’environnement. »

Bref, le seul respect de la réglementation française n’est pas pour me rassurer. Mais justement, l’entreprise affirme aller au-delà du cadre réglementaire, en ayant effectué un certain nombre de « choix structurants » garantissant la qualité environnementale du projet.

Des « choix structurants »

« Si on veut que ce projet fonctionne, on sait qu’on doit le faire différemment. C’est pour ça que dès le début, nous avons effectué des choix structurants » affirme Alan Parte, vice-président des projets lithium du groupe.

D’abord celui d’une mine souterraine répartie autour de trois sites : l’extraction du mica à Échassières, sous l’actuelle carrière de kaolin, et sa concentration à Beauvoir, d’où il est ensuite envoyé 17 km à l’est vers une « plateforme de chargement » près de Saint-Bonnet de Rochefort avant d’être expédié par voie ferrée vers « La Lou », dans l’agglomération de Montluçon, où se trouverait un site de conversion en hydroxyde de lithium.

Pour transporter le concentré de mica entre Beauvoir et Saint-Bonnet de Rochefort, Imerys a fait le choix de canalisations souterraines, ce qui permettrait d’éviter l’équivalent d’une centaine de poids lourds par jour.

Dossier de maitrise d’ouvrage, p. 48. Débat public

Ainsi pensée, la mine souterraine à Échassières présente de fait plusieurs avantages, indéniables, par rapport à une mine à ciel ouvert de taille équivalente : une emprise au sol moins importante, le concassage en souterrain qui permet de limiter les nuisances sonores ainsi que l’impact visuel.

Quant à la gestion des résidus miniers, il n’est pas prévu de mobiliser de surface supplémentaire pour les stocker. Comment cela est-il possible ? En valorisant les sous-produits issus de l’extraction de mica lithinifère (notamment le feldspath pour la filière du carrelage et de la céramique), et en procédant à un remblaiement souterrain progressif de la mine (à hauteur de 800 000 tonnes) et de la carrière de kaolin actuelle (pouvant accueillir environ 500 000 tonnes).

Enfin, concernant le point le plus sensible du projet, l’approvisionnement en eau, l’entreprise explique que grâce à un dispositif innovant, 90 % de l’eau serait recyclée dans un circuit fermé, voire 95 % d’après des chiffres plus récents communiqués par l’entreprise. Pour les 10 % restant, soit 1,2 million de m3 d’eau par an, la moitié serait prélevée de la station des eaux usées de Montluçon, et l’autre moitié (600 000 m3) prélevés chaque année dans la Sioule, une rivière à 30 km d’Échassières, ce qui ne représenterait qu’1/1000ème de son débit moyen, et 1/100ème en cas de sécheresse, un ratio qui a de quoi rassurer les élus et les habitants.

Un transport par canalisation et par fret ferroviaire plutôt que par route, une mine souterraine, des déchets miniers utilisés pour remblayer, et une gestion quasi-circulaire de l’eau : voilà donc les principaux arguments, les fameux « choix structurants » qui permettent à Imerys de qualifier le projet de mine de « responsable ». Ces choix représentent un surcoût d’environ 20 % du coût total des opérations – j’apprendrai plus tard dans la conversation que l’entreprise espère obtenir des subventions publiques a minima à hauteur de ces 20 %, une information qui est peu mise en avant.

Après cette présentation institutionnelle, qui se veut rassurante, vient le temps des questions, dont beaucoup ne trouveront pas de réponse satisfaisante.

Questions sans réponses

Reprenons deux des principaux arguments : une gestion responsable des déchets miniers et de l’approvisionnement en eau.

Quand on parle de déchets miniers, on distingue les stériles, les roches trop pauvres, écartées pour accéder au gisement d’intérêt, et les résidus miniers, qui sont issus du traitement du minerai.

D’après le dossier du maître d’ouvrage, chaque année EMILI génèrerait :

  • 1 350 000 tonnes de stériles et résidus de concentration sur le site de Beauvoir
  • 600 000 à 800 000 tonnes de résidus solides sur le site de l’usine de conversion de Montluçon

Les stériles et résidus de Beauvoir seraient utilisés comme remblais progressif de la carrière de kaolin et de la mine à Echassières. Mais quid des résidus miniers issus de l’usine de conversion de Montluçon, qui seront nécessairement les plus toxiques, puisque leur traitement requiert de grandes quantités d’acide sulfurique ?

Il faut qu’une journaliste pose spécifiquement cette question pour que ces résidus fassent leur apparition dans le discours de l’entreprise. La réponse se veut pourtant toujours rassurante : « Oui, on les acheminera par train, à raison de trois aller-retour par jour ». « Mais vers où ? » – un silence gêné s’installe. « On ne sait pas encore, nous sommes en train de chercher ». Le Dossier du Maître d’Ouvrage ne nous en apprend pas plus, mais précise que ces 600 à 800 000 tonnes annuelles « seraient si possible valorisés ou utilisés en réhabilitation de carrières existantes », qu’il s’agit donc de trouver. Par un tour de passe-passe sémantique, une zone de décharge de résidus miniers toxiques se retrouve ainsi transformée en « réhabilitation de carrière ».

Quant à l’eau, en admettant que le procédé de recyclage à hauteur de 90 % fonctionne, les chiffres annoncés par Imerys permettent de faire le calcul suivant : si les 10 % restant représentent 1,2 million de m3, le volume global d’eau nécessaire devrait être de 12 millions de m3, et l’entreprise devrait avoir un approvisionnement initial en eau de cette taille. Mais d’où viendrait cette eau ?

Je me rapproche pendant le déjeuner du géologue en charge du projet et lui pose la question. Il a l’air surpris et m’assure n’avoir jamais entendu ce chiffre. Il me propose de poser la question à son collègue en charge des études environnementales, ce qu’une collègue journaliste s’empresse de faire. Le salarié semble tout aussi surpris, et affirme : « Je ne sais pas, nous n’y avons jamais réfléchi ».

Deux mois plus tard, l’entreprise publie un complément d’information sur le site de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Il ne s’agit plus alors de 12 millions, mais de 20 millions de m3 d’eau nécessaires au bon fonctionnement de l’usine de concentration, qui seront prélevés sur différents bassins versants, « bien au-delà du massif de la Bosse. » Je ne peux m’empêcher de m’interroger : cette information aurait-elle été communiquée si nous ne leur avions pas posé la question ?

Fourni par l’auteur

De l’ingénierie de la promesse à la rhétorique du projet

Les sciences sociales ont bien documenté une ingénierie de la promesse dans le contexte du renouveau minier, pour décrire la façon dont des acteurs privés utilisent des gammes d’arguments et des narratifs différents pour convaincre tantôt des investisseurs qu’il s’agit de projets rentables, tantôt des populations et des élus qu’il s’agit de projets de développement du territoire soutenables.

Si cette ingénierie de la promesse se retrouve sans aucun doute dans le cas du projet EMILI, on peut lui adjoindre une autre stratégie de communication, que l’on pourrait nommer la rhétorique du projet : chaque fois qu’une question d’ordre environnemental appelant légitimement une réponse est soulevée, l’absence de réponse technique est présentée comme un gage de l’ouverture de l’entreprise et de son adhésion au processus démocratique du débat public : « si on avait réponse à tout, c’est que le projet serait déjà entièrement ficelé ».

Les zones d’ombre les plus inquiétantes doivent donc, tour de passe-passe incroyable, être interprétées plutôt comme un gage que le champ des possibles reste ouvert, et qu’il s’agit bien d’un projet auquel la population peut participer en donnant son avis. Gage qui se matérialise également dans la langue : tous les acteurs font bien attention à parler du projet de mine au conditionnel, et non au futur. Et comme la différence ne s’entend pas toujours à l’oral, la directrice de la communication, Claire Garnier, insiste parfois : « je ferais, A-I-S, hein ? »

Un projet en cours, soit. L’entreprise ne dit rien, en revanche, des intérimaires qui ont parcouru le territoire durant l’été 2023 pour sonder l’acceptabilité sociale du projet auprès des riverains, notamment à Saint-Bonnet de Rochefort, une commune majoritairement opposée au projet.

Banderole à St Bonnet. Fanny Verrax, Fourni par l’auteur

Jacques Morisot, habitant de Saint-Bonnet qui a été interrogé dans ce cadre, explique qu’il s’agissait d’« une technique de « sondage » bien ficelée pour pouvoir argumenter ensuite sur le fait que la population n’est pas vraiment opposée mais, plutôt en attente de quelques réponses techniques. » En effet, les questions fermées ou à choix multiples ne permettent que peu aux sondés d’exprimer leurs doutes. Pour Jacques Morisot, ce « questionnaire partial » commandité par l’entreprise Imerys de façon confidentielle s’apparente à une « transgression au débat public. »

Un débat asymétrique

Après le déjeuner, nous allons visiter la carrière actuelle de kaolin. Une jeune géologue d’Imerys nous montre une carotte de mica lithinifère. Elle est enthousiasmée par le projet, et plus encore, par le fait qu’il soit en France.

« Quand on est géologue, on sait qu’on va devoir partir loin. C’est inespéré pour moi de pouvoir exercer mon métier en France. »

Plusieurs journalistes notent ses propos : la relance minière, c’est aussi ça, relocaliser des emplois pour lesquels la France offre toujours une formation d’excellence, mais peu de débouchés professionnels ensuite, faute de mine.

Une carotte de Mica. Fanny Verrax, Fourni par l’auteur

Un journaliste pose alors une question :

  • Donc ça, c’est une carotte de lithium ?
  • Euh non, pas exactement, c’est une carotte de mica qui contient du lithium.
  • Mais il est où ? Je ne le vois pas !

C’est que, comme pour la plupart des « métaux de spécialité », la teneur en métal est faible. En l’occurrence, le mica d’Échassières contient de l’oxyde de lithium à hauteur d’environ 0,9 %. Le journaliste a l’air déçu, peut-être s’attendait-il à voir des lingots de lithium ? Cette anecdote met surtout en évidence un élément essentiel : l’irréductible asymétrie du débat.

Si Imerys n’a pas l’habitude en effet d’être sous les projecteurs, l’entreprise maîtrise en revanche la partie technique du projet bien mieux que la majorité des parties prenantes, et pour cause : quel journaliste, quel élu, quel riverain peut se targuer de comprendre les aspects techniques du projet au moins aussi bien que des ingénieurs et géologues formés et travaillant à temps plein sur le sujet ?

Si Imerys n’est bien sûr pas responsable de l’asymétrie du débat, on pourrait en revanche attendre de l’entreprise qu’elle avance clairement tous les éléments du dossier, sans attendre la question technique ou critique qui aurait pu ne jamais être posée.

Une conception très étroite de la responsabilité

A la rhétorique du projet et au maintien volontaire d’un débat asymétrique s’ajoute enfin un dernier élément dans la stratégie de déresponsabilisation, puisqu’Imerys refuse d’entrer dans le débat sur les usages du lithium qu’elle commercialisera(-it !).

Au début de la conférence de presse, l’entreprise a commencé par rappeler qu’en France, 30 % des émissions de gaz à effet de serre viennent du transport, et qu’il n’y a « pas beaucoup d’autres possibilités pour la mobilité » que de construire des batteries pour des voitures électriques.

En deux phrases, on a glissé de la description à l’opinion, du registre descriptif au registre normatif. Oui, c’est vrai, la mobilité reposant essentiellement sur des véhicules thermiques individuels comme c’est le cas aujourd’hui est insoutenable, mais non, la seule alternative n’est pas de remplacer toutes les voitures thermiques par des voitures électriques, une option qui n’est de toutes les façons pas viable au niveau mondial, quand on sait qu’il y a près d’1,5 milliard de voitures en circulation.

Imerys ajoute néanmoins que « l’électrification n’est pas antinomique avec une réflexion sur les usages », sans pour autant souhaiter s’engager dans cette réflexion, ni pendant la conférence de presse, ni lors de l’ouverture du débat public qui a eu lieu la veille.

Pour rappel, la justification omniprésente et univoque du projet EMILI est de fournir le lithium nécessaire à 700 000 véhicules électriques par an afin de participer à la transition énergétique.

Ce chiffre a été obtenu à partir d’un poids moyen des véhicules et des batteries actuellement sur le marché. Or on sait que le lithium nécessaire pour une batterie de grosse berline ou de SUV (10 kg) est deux fois supérieur au lithium nécessaire pour une citadine de poids moyen (5 kg). Poids qui est lui-même 100 fois supérieur au lithium nécessaire pour une batterie de vélo électrique (50 grammes). La mine de lithium d’Imerys pourrait ainsi servir à équiper annuellement 700 000 voitures électriques, ce qui en 25 ans représenterait moins de la moitié du parc automobile français à usage constant, ou alors par exemple 500 000 voitures électriques, et 20 millions de vélos électriques, ce qui participerait d’une transition énergétique soutenable au niveau européen et prenant en compte les autres contraintes physiques de la transition (consommation d’électricité, approvisionnement en autres métaux).

Mais ces trajectoires alternatives de la transition sont invisibilisées, et ni l’État, ni Imerys ne souhaitent les mettre en débat.

Dans ce contexte, la position d’Imerys peut bien sûr être considérée en partie comme légitime, dans la mesure où la question des usages finaux concerne les clients des clients d’Imerys, qui, comme l’immense majorité des entreprises minières, commercialise ses produits en « B2B2B2C », c’est-à-dire avec plusieurs intermédiaires entre l’entreprise et le client final. Mais refuser d’entrer dans le débat sur les usages du métal que l’on extrait, c’est participer d’un phénomène de dilution de la responsabilité qui ne peut en aucun cas être considéré comme compatible avec un projet de « mine responsable ».

Si les « choix structurants » opérés par Imerys permettent en effet de réduire une partie des nuisances, notamment sonores et visuelles du projet EMILI, un projet de mine véritablement responsable s’appuierait également sur ces trois autres piliers que sont : une transparence de l’information permettant aux parties prenantes de s’approprier le sujet sans avoir à « débusquer » les éléments techniques les plus problématiques ; des réponses claires apportées sur la gestion de l’eau et des résidus miniers dès le début du débat public, sans dissimuler les zones d’ombre derrière une rhétorique du projet faussement démocratique ; enfin et surtout, une mise en débat des usages du lithium avec tous les acteurs du territoire, et plus largement, au niveau national et européen.


Depuis la publication de cet article, un décret paru au Journal Officiel le 7 juillet 2024 a reconnu le projet de mine de lithium à Echassières comme étant “d’intérêt national majeur” (PINM). Ce régime dérogatoire issu de la loi “Industrie Verte” de 2023 permet notamment à l’État (et non à la mairie) de délivrer un permis de construire, et d’accélérer la mise en conformité, quelle que soit l’intensité ou la légitimité des contestations.

Fanny Verrax, Associate professor in Ecological Transition and Social Entrepreneurship, EM Lyon Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Mine de lithium dans l’Allier : un débat déjà tranché ?

Une page importante du possible renouveau minier de l’Europe se joue aujourd’hui à Échassières. Olivier Chassignole/AFP

Lucas Miailhes, Institut catholique de Lille (ICL)

C’est une rencontre qui suscite pêle-mêle espoir, confusion et défiance. Un de ces participants déclarait même le 4 avril dernier, « je crains que bien des choses […] soient déjà réglées en amont de ce débat ». Ce débat, qui se tient depuis le 11 mars et s’achèvera le 31 juillet 2024, c’est celui de la Commission Nationale du débat public (CNDP) sur le projet de mine de lithium à Échassières, dans l’Allier. Sous fond de tension entre opposants et partisans du projet, il mobilise différents imaginaires sur la transition énergétique.

Car ce projet de mine, baptisé « EMILI » par l’entreprise française Imerys qui en est à l’origine, vise à créer la première mine de lithium en France, un matériau indispensable pour la fabrication de voitures électriques. Avec un investissement d’un milliard d’euros, il prévoit une production annuelle de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium à partir de 2028, en utilisant une méthode d’extraction souterraine.

Fourni par l’auteur

Un débat dans une atmosphère tendue

Sans surprise, avec de tels enjeux, les discussions se déroulent parfois dans une atmosphère tendue où les positions paraissent difficilement conciliables. Mais le débat n’en demeure pas moins fréquenté avec des salles souvent pleines et environ 150 personnes qui suivent régulièrement en direct les réunions par vidéo.

Malgré le travail préparatoire de recherche et d’organisation effectué par la CNDP en amont du débat, plusieurs vices de forme ont cependant été relevés par les participants durant les réunions.

D’une part, la communication d’informations importantes est souvent renvoyée à plus tard. C’est le cas par exemple de l’étude d’impact sur l’eau qui n’a été révélé que tardivement dans le débat.

Lors de la réunion du 26 mars, un participant se plaignait ainsi :

« Ce n’est pas la première fois que cela se produit dans ce débat public : on nous dit que nous aurons les éléments plus tard. Alors, à quel moment la décision sera-t-elle prise ? Est-ce qu’il faudra attendre que toutes les études, qu’elles soient sociales ou environnementales, soient terminées après que les décisions et les orientations du projet soient déjà prises ? […] Peut-être aurait-il fallu attendre d’avoir tous les éléments pour mener ce débat public. »

Imerys s’est alors défendu en invoquant le stade peu avancé du projet qui justifie de ne pas mener les études demandées trop en amont.

Certains ont pu également regretter la nature peu interactive des échanges. Le manque de micros a limité les interactions directes, et les aspects techniques de la retransmission vidéo ont empêché des joutes verbales intéressantes. Autre frustration relevée, les tentatives d’approfondissement des discussions par les opposants ont souvent été renvoyées à plus tard, sous prétexte que ce n’était pas le sujet du moment.

Lors de la réunion du 4 avril 2024, en début de séance, des tracts ont ainsi été jetés dans la salle par les opposants au projet. On pouvait y lire une critique du débat de la CNDP comme une forme de « démocratisme appliqué » visant à désamorcer les conflits réels et vivants.

Dans quelle mesure avons-nous besoin du lithium ?

Tract distribué lors du débat. Fourni par l’auteur

Si la forme de ce débat a donc pu susciter quelques tensions, celles-ci n’ont pas manqué d’émerger non plus dans le fonds des discussions. Les opposants et défenseurs du projet se sont notamment affrontés sur les questions des besoins en matériaux, de sobriété, de dépendance aux importations, d’électrification des transports, etc.

L’enjeu des mobilités de demain a tout particulièrement pris une place centrale dans les discussions car contrairement à d’autres métaux aux usages multiples, le lithium est principalement utilisé pour les batteries des véhicules électriques. La question de l’extraction du lithium est de ce fait étroitement liée à la place de la voiture individuelle dans nos sociétés et à nos modes de mobilité.

Des associations locales de citoyens, à l’instar de Stop Mines 03 ou Préservons la forêt des Colettes, farouchement opposées au projet, ont à cet égard mis en doute le bien-fondé de la mobilité électrique et les risques environnementaux de l’extraction minière. D’autres voix comme celle des représentants de l’association NegaWatt conditionnent l’exploitation du lithium à la mise en place de mesures de sobriété.

Selon cette perspective, l’exploitation du lithium devrait se conjuguer à une demande et une utilisation raisonnée des matériaux pour ne pas compromettre la transition énergétique. Ces opposants insistent également sur la nécessité de ne pas résumer la transition écologique à la seule question de la réduction des émissions de carbone. L’impact sur l’eau et sur la biodiversité de l’activité minière est à ce titre largement mentionné par les opposants.

Du côté d’Imerys et des citoyens favorables au projet, on affirme que, que ce soit avec sobriété ou sans sobriété, l’exploitation du lithium sera nécessaire. Pour eux, les besoins sont avérés et ouvrir une mine de lithium en France doit se faire au plus tôt compte tenu de l’horizon temporel des projets miniers (plus de dix ans sont nécessaires entre la découverte d’un gisement et le début de l’exploitation d’une mine). Il est aussi impératif, ajoutent-ils, d’électrifier nos transports afin d’espérer atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés dans le cadre du Pacte Vert Européen pour lutter contre le changement climatique.


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Alan Parte, représentant d’Imerys affirme ainsi que « 30 % des émissions européennes viennent des modes de transport et l’électrification est la seule alternative crédible. » Pour répondre aux opposants qui invoquent la sobriété, il ajoute « L’électrification des mobilités n’est pas antinomique avec la reconsidération de nos modes de consommation et de transport, de la taille des véhicules ».

La question de la taille des véhicules dans lesquels le lithium d’Imerys sera utilisé est un autre point sensible du débat. Un rapport de l’ONG WWF France publié le 9 avril 2023 est notamment beaucoup cité par les opposants aux projets car il démontre que les SUV électriques représentent une menace pour la transition énergétique, la construction d’un SUV équivalant à celle de cinq voitures citadines.

Il s’agissait même d’une des premières questions posées aux représentants d’Imerys lors de l’ouverture du débat public le 11 mars. À la question d’un membre de l’association StopMine03, « Pouvez-vous vous engager à ce que cette production de lithium ne soit pas engagée dans un circuit de consommation qui soit celui des véhicules SUV ? », Imerys répond alors qu’elle ne peut prendre un tel engagement.

On touche là au cœur du problème pour les opposants. Si Imerys défend la faisabilité de la transition énergétique à travers l’exploitation de la mine d’Echassières, le lithium qu’elle extrait ne peut, pour les opposants au projet, finir dans des SUV. Car si la demande en lithium explose du fait du poids des véhicules électriques trop important alors nous aurons trop peu de lithium pour électrifier le parc automobile.

Extrait du débat public évoquant la question des mobilités de demain.

La dimension internationale du débat complexifie davantage les choses

Si ce dilemme n’est pas tranché, ces discussions entre opposants et promoteurs du projet sont, elles, fort scrutées, notamment au niveau européen, crucial à prendre en compte pour comprendre ce qui se joue à Échassières.

Car le projet d’Imerys intervient dans un contexte où la sécurité des approvisionnements en minerais critiques est devenue une priorité stratégique en Europe et en France pour assurer la faisabilité de la transition énergétique. En exploitant le lithium sur son sol, la France diminuerait ainsi le risque de tension des approvisionnements sur ce métal qu’elle importe à 100 %.

Le projet d’Imerys apparaît donc comme un dossier qui pourrait faire jurisprudence et déterminer le futur de l’industrie minière européenne. Cette dernière axe depuis longtemps sa communication sur son rôle essentiel pour extraire les métaux nécessaires à la fabrication des technologies bas-carbone (batteries, éoliennes, etc.). En Europe, les organisations professionnelles à l’instar d’Euromines ont régulièrement alerté sur la dépendance aux importations de l’Europe à l’égard de ses métaux qui devraient s’accentuer avec l’explosion de la demande dans les années à venir. C’est un discours qui a largement été relayé par les organisations internationales. Dans son dernier rapport, L’Agence Internationale de l’Énergie met par exemple en garde sur le fait que les projets d’exploitation en cours ne pourront pas répondre à toute la demande en lithium à mesure que l’électrification des transports s’accélère.

« Pour adresser le changement climatique et réduire notre consommation d’énergie fossile pétrolière, charbonnière et gazière, nous avons besoin d’énormes quantités de métaux et de minéraux. Une partie sera obtenue grâce au commerce, mais une autre partie importante devra venir de l’exploitation minière nationale au sein de l’UE » déclare de son côté Jan Moström, président d’Euromines.

Malgré la fermeture de la majorité de ses mines à la fin des années 1990, la France a joué un rôle majeur dans la promotion d’une relance de l’exploitation minière en Europe, poussée par un appel à une approche plus interventionniste pour sécuriser son accès aux matières premières critiques.

En janvier 2022 l’ancien patron de PSA Peugeot-Citroën, Philippe Varin, remettait par exemple pour cela un rapport au gouvernement français sur la « sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales ». Il y préconisait que l’Europe exploite toutes ses ressources minérales nationales de manière « responsable » pour réduire les dépendances stratégiques et soutenir la transition verte.

Enfin, la régulation européenne sur les matières premières critiques (CRMA) proposée par la Commission européenne dès mars 2023 fixait elle l’objectif suivant : 10 % des matières premières consommées en Europe devront être extraites sur le sol européen.

Cette législation a le potentiel d’accélérer le développement de l’industrie minière en Europe après des décennies de léthargie. Car elle vise à désigner certains « projets stratégiques » comme étant d’un « intérêt public supérieur », ce qui, en plus de faciliter l’accès à des financements publics, accélérerait le processus d’autorisation en contournant potentiellement certaines garanties environnementales. Cette notion de projet stratégique pourrait de surcroît autoriser les entreprises à passer outre les préoccupations environnementales et sociales.

Bruno Le Maire a annoncé l’application CRMA à l’échelle nationale en avril 2024. Il assure que cette simplification « permettra de diviser par deux les délais d’instruction et de gagner plus de 6 mois en moyenne par projet. » Bien que la future mine d’Imerys ne soit pas désignée (pour l’instant) comme projet stratégique, le débat offre un avant-goût des tensions qui traverseront les futures ouvertures de mines en Europe.

Aligné sur ses engagements européens, l’État français apporte un soutien ferme au projet Imerys, qui se présente comme un élément clé de la relance de l’industrie minière en Europe.

Ce soutien public pose néanmoins la question de l’utilité du débat avec une multitude d’enjeux qui dépasse largement le cadre du projet. S’exprimant à ce sujet, Antoine Gatet, représentant de France Nature Environnement, se montrait quelque peu amer :

« J’aurais quand même préféré, je le dis parce que ça me choque à chaque fois, que le ministre de l’Industrie n’annonce pas l’ouverture d’une usine de lithium avant de faire le débat public. C’est très difficile pour nous de pouvoir faire vivre le débat démocratique quand les acteurs publics ont déjà annoncé que de toute façon on allait le faire. […] »

Lucas Miailhes, Doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Mine de lithium dans l’Allier : l’importance du passé minier dans l’accueil local du projet

Le village d’Échassières, 370 habitants, est devenu le centre du possible renouveau minier français. Valentin Caball, Author provided

Violeta Ramirez, Université Savoie Mont Blanc

« Tant qu’il y a l’école, il y a de la vie dans un village. Quand il n’y a plus d’école… Les autres villages sont morts aux alentours ». Voici comment Jeanne*, aide à domicile de 53 ans, se rassure quant à la survie de son village, Échassières, une commune de 370 habitants dans l’Allier, à 60 kilomètres au nord de Clermont-Ferrand.

De fait, Échassières ne compte pas qu’une école ; on y trouve aussi un bar-restaurant, une boulangerie, une boucherie, une épicerie, un salon de coiffure et une boutique de vêtements. De quoi susciter l’envie d’autres petits villages. « Une ancienne maire a œuvré pour maintenir les commerces. Et elle a bien fait parce que ça maintient le village et l’école, et ça, ça attire des jeunes un petit peu », explique Jeanne.

Mais un autre facteur entre aussi en ligne de compte pour expliquer la vivacité de ce village : « Il y a beaucoup de minerais ici », reconnaît Jeanne.

Depuis le XIXe siècle, Échassières jouit effectivement des retombées de l’exploitation du kaolin, matériau utilisé pour la porcelaine et le carrelage, extrait du massif granitique de La Bosse. Entre 1913 et 1962, on y a également extrait en galeries souterraines du tungstène, du tantale et de l’étain.

Depuis peu, une nouvelle page minière semble s’écrire. En octobre 2022, Imerys, multinationale spécialisée dans les minéraux industriels, a annoncé l’ouverture d’une mine de lithium. Elle devrait se situer, en souterrain, sous la carrière des Kaolins de Beauvoir, propriété d’Imerys depuis 2005.

Candidement baptisé « EMILI » (pour exploitation de mica lithinifère), le projet s’annonce pourtant titanesque : 2,1 millions de tonnes de roches seront extraites, broyées et traitées chaque année afin de produire les 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium qui serviront principalement à la fabrication de batteries électriques ; pour cela, quatre sites industriels seront nécessaires, répartis sur trois communes ; et l’ensemble des processus appellera, selon le maître d’ouvrage, une consommation de 1,2 million de mètres cubes d’eau par an. De quoi susciter, à minima, quelques questionnements environnementaux sur lesquels s’est construit un réseau local d’opposition.

Mais dans le village d’Échassières, cette mine d’importance européenne fait, en grande partie, l’objet d’un accueil favorable, comme nos enquêtes** respectives ont pu nous le dévoiler. « Je ne vois pas l’intérêt d’aller contre tout. Il faut avancer, on n’a pas le choix. On a quand même voté pour des personnes pour qu’elles prennent les décisions. Bah, on les respecte », affirme Xavier, 33 ans, technicien agricole. Il poursuit :

« De l’eau, il en faut pour tout. Une industrie, n’importe laquelle, consomme de l’eau. Je ne vois pas pourquoi eux [Imerys], ils n’auraient pas le droit. Ce qui compte c’est de ne pas faire n’importe quoi. »

Comme nous l’ont révélé les échanges et entretiens menés sur le terrain, cette adhésion majoritaire au projet d’extraction de lithium de la population d’Échassières ne peut se comprendre qu’en revenant sur l’histoire minière du territoire, qui a profondément marqué sa population.

Le passé minier

Depuis le XIXe siècle, le kaolin est extrait du granite de la Bosse au sein de plusieurs carrières. Au XXe siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale, l’exploitation du tungstène se met en place à travers la Compagnie minière des Montmins et se poursuit jusqu’en 1962.

Kaolins James, autour de 1950. Archive famille Delange

Ces activités extractives permettent aux jeunes générations de familles paysannes d’accéder à de nouveaux emplois, industriels et souvent mieux payés, sans quitter leur village. « On était quand même avantagé avec le statut des mineurs » se souvient André, 95 ans, une des dernières personnes encore en vie à avoir travaillé à la mine de tungstène.

« On avait droit au chauffage, on avait droit à l’indemnité de transport, on avait droit à des avantages qu’il n’y avait pas trop dans d’autres sociétés », poursuit-il.

Sept bistrots, trois classes d’école, de nombreux commerces et huit cents habitants : l’époque de la mine résonne comme un âge d’or pour le village, qui compte aujourd’hui moitié moins d’habitants et plus qu’une seule classe d’école.

Avec l’agriculture, l’activité minière a fait vivre économiquement et socialement le village. Elle a intégré l’identité culturelle de ses habitants, comme l’atteste Sylvie, 83 ans, qui déclare « notre identité, c’est la richesse du sous-sol ». Le récit des travaux et des hauts-lieux de la mine (les galeries, les anciennes carrières, l’extraction, le transport, la laverie) a été transmis par les mineurs à leurs filiations, et l’ensemble de la population s’est approprié cet héritage.

Cette mémoire a engendré une vision locale de ce qu’est l’identité du territoire, centrée autour de la richesse minéralogique. Elle est partagée par les familles anciennes mais aussi par celles et ceux qui, arrivés plus tard, accueillent cette histoire – et les bénéfices qui en résultent.

Un musée vient couronner cette patrimonialisation, Wolframines, situé au sommet du massif de La Bosse, où on raconte et illustre la minéralogie du secteur et l’histoire de son exploitation. Echassières, janvier 2023. Valentin Caball, Author provided

Car l’exploitation minière a laissé un autre héritage à la commune : une certaine aisance financière permettant un dynamisme local. Grâce aux taxes professionnelles des différentes exploitations, la commune a pu investir dans l’achat des bâtiments des commerces et faciliter leur continuité. Néanmoins, la propriété foncière n’assure pas la pérennité de ces commerces ; elle dépend de la clientèle, c’est-à-dire du nombre d’habitants.

La ruralité en péril

Or, suite à la chute des cours du tungstène, la mine des Montmins ferme en 1962, produisant une forte baisse démographique de la population du village.

En parallèle des fermetures de la mine et de certaines carrières, la modernisation du monde agricole n’a pas aidé à retenir les populations actives dans les campagnes. La mécanisation de l’agriculture a réduit les besoins en main-d’œuvre ; l’agrandissement des exploitations a resserré le nombre de propriétaires. Des douzaines de familles paysannes que comptait Échassières dans la seconde moitié du XXe siècle, il n’en reste qu’un tiers environ.

Dans la campagne aux alentours d’Echassières, il n’est pas rare de croiser des corps de ferme abandonnés, vestige d’une époque où les familles paysannes étaient plus nombreuses. Echassières, février 2024. Valentin Caball, Author provided

Certes, Échassières, comme les autres communes voisines, accueille quelques nouveaux habitants, surtout depuis la pandémie de Covid-19, mais cela se fait au compte-goutte. La plupart d’entre eux viennent chercher en zone rurale le calme et la (re)connexion avec la nature qui manquent en ville, certains étant même engagés dans des projets de production écologique. Ces habitants se trouvent souvent du côté de ceux qui contestent le projet de mine de lithium.

« On voulait partir à contre-courant de ce monde, en se disant qu’on ne pourrait pas le combattre dans un milieu urbain. On s’est dit qu’ici [Echassières] on allait avoir une vie simple, plus proche de la nature. Et on se prend la grosse claque de se dire que ça va être l’endroit le plus pollué qu’on a choisi », explique Florence, 41 ans, installée récemment avec sa famille à Échassières après une vingtaine d’années passées dans une grande métropole.

Ce type de migration choisie, ainsi que l’activité touristique autour du patrimoine et du paysage montagneux locaux, pourraient être impactées si le projet de mine aboutissait.

Cependant, pour la plupart des Échassiérois et Échassiéroises, l’ouverture d’une nouvelle mine représente l’espoir de voir de nouvelles familles s’installer, qui feront vivre les commerces et inscriront leurs enfants à l’école. Imerys a de fait annoncé la création de 1 500 emplois dans l’Allier et le Puy-de-Dôme, dont plusieurs centaines localement. Une communication convaincante puisque, d’après les échanges que nous avons eu avec la population locale, l’envie de perpétuer la vie villageoise compte bien plus dans l’accueil optimiste du projet, qu’un espoir dans la transition énergétique et dans l’électrification de la mobilité. Ce groupe d’habitants relativise les inquiétudes environnementales suscitées par le projet.

Tous les matins, des habitants se réunissent au Ris Blanc, le café-restaurant du village. Pour la plupart, ils ont grandi à Echassières et y vivent toujours. Echassières, juin 2023. Valentin Caball, Author provided

Les contestations à la mine et l’autre héritage minier

Pourtant, le passé minier du village n’a pas seulement laissé comme trace celle d’une richesse relative, il a aussi confié aux habitants un autre héritage. Au Mazet, là où se situent les ruines de la laverie, les sols ont été sévèrement pollués à l’arsenic, selon un rapport émis par Géodéris. Par endroits, les taux de concentration sont sept fois plus élevés que le seuil prévu par la Haute Autorité de Santé. Une pollution qui persiste, soixante ans après la fermeture de la mine, pourtant minuscule en comparaison de celle à venir (en une cinquantaine d’années d’exploitation, la Compagnie minière des Montmins a produit 6000t de concentré de tungstène).

La Dune : un tas de résidus miniers chargés en arsenic. Il a été abandonné à la nature suite à la fermeture de l’ancienne mine de tungstène. Aujourd’hui d’une quinzaine de mètres, la Dune était autrefois deux à trois fois plus haute d’après les habitants du village. Elle a été en partie balayée par les vents. Echassières, novembre 2022. Valentin Caball, Author provided

Certes, il existe bel et bien un mouvement d’opposition locale au projet de lithium, organisé principalement autour de l’association Préservons la forêt des Colettes et des collectifs Stop Mines 03 et Chargement de Lithium à St Bonnet de Rochefort, Non Merci !

Panneau à Saint Bonnet de Rochefort, juillet 2023.  Violeta Ramirez, Author provided

Lors des rencontres de l’actuel Débat Public au sujet du projet EMILI, ces organisations, ainsi que d’autres du ressort national telle que France Nature Environnement, font entendre leurs craintes par rapport aux impacts environnementaux. Elles exigent des réponses en ce qui concerne la consommation d’eau, la pollution des sols, et la perturbation du sous-sol et du paysage ; et contestent également « la mine et son monde », c’est-à-dire, les besoins en lithium et la ruée minière résultant d’un mode de vie trop consumériste.

Rencontre du Débat public à Echassières le 26 mars 2024. Des représentants de la DREAL, de la Commission Nationale du Débat Public et d’IMERYS font face aux questions du public, principalement habitants d’Echassières et des communes autour. Violeta Ramirez, Author provided

Mais qu’il s’agisse des exploitations futures ou des exploitations passées, la vision dominante à Echassières met à distance la question des conséquences environnementales. Dans ce village, très peu sont celles et ceux qui évoquent spontanément les pollutions liées à l’ancienne mine de tungstène ; on préfère se remémorer cette période comme l’âge d’or du village ; quant au futur, on accepte plutôt facilement l’idée d’une mine réinventée et responsable. Toutefois, il est légitime de se demander si EMILI, le fer de lance du renouveau minier en France, permettra à son tour de préserver la vie villageoise ou, au contraire, la mettra en péril.


*Les prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat des propos.

**Les auteurs ont mené, de manière séparée, des enquêtes de terrain à Echassières depuis le début de 2023 jusqu’à aujourd’hui. Violeta Ramirez a mené une enquête ethnographique filmée dans le cadre du projet de recherche TRAM du Labex ITTEM ; enquête qui a donné lieu au documentaire Transition sous tension (2024, 52 minutes). Valentin Caball a réalisé un photoreportage sur la culture locale de cet ancien bassin minier, duquel il a tiré sa série photographique « Wolfram, la bave du loup ».

Violeta Ramirez, Anthropologue, chercheur postdoctoral sur la transition et la sobriété énergétiques, Université Savoie Mont Blanc

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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