Consommateurs et producteurs citoyens
Le Parti communiste a décidé de donner une nouvelle dimension aux ventes de fruits qu’il organise chaque été en commun avec des producteurs et le Mouvement des exploitants familiaux (MODEF). C’est toujours sous le signe de la solidarité que l’action s’organise. À un bout de la chaîne, les consommateurs qui voient sur les marchés et dans les grandes surfaces les prix flamber d’année en année. Au total, surtout dans les familles populaires, on calcule, on prive les enfants de fruits qui sont pourtant indispensables. De beaux esprits dissertent alors sur les changements d’habitudes, de comportements et de consommation. En réalité, la démonstration est faite, à chacune des initiatives de vente de fruits à des prix « corrects », que la demande des consommateurs est bien là. Le seul problème est qu’ils n’ont pas les moyens de payer les fruits aux tarifs pratiqués dans les commerces.
Le PCF et le MODEF se sont une fois encore associés et voient grand pour organiser leur vente solidaire de fruits. Ils démontrent qu’on peut pratiquer des prix d’achat rémunérateurs pour la production paysanne et des prix de vente accessibles aux familles populaires. Les ventes se dérouleront du 18 au 22 août, le 18 dans la région parisienne. À la Bastille à Paris, dans 5 villes en Seine-et- Marne, 13 villes en Seine-Saint-Denis (où 8 tonnes de fruits ont été commandées), à Nanterre et à Gennevilliers dans les Hauts de Seine. Dans le Val-de-Marne, ce seront 15 tonnes de fruits qui seront proposés dans quarante points de vente.
Lors de ces actions concrètes très attendues dans les cités de la région parisienne notamment, les communistes veulent poser en termes de solidarité les problèmes de la crise des prix agricoles. Une crise qui risque de faire plus de dégâts encore qu’en 2003 et 2004 et de se traduire par la disparition de milliers d’exploitations agricoles. Affirmant que les productions des paysans français ne couvrent que les deux tiers des besoins des consommateurs de la France, le PCF exige une « régulation des importations avec l’Europe et le monde ». Ils demandent « une juste rémunération de tous les acteurs de la filière des fruits et légumes » et dénoncent les pratiques de la grande distribution et de ses centrales d’achat. « Six enseignes et cinq centrales d’achat contrôlent 90 % de la grande distribution », affirme le PCF, qui propose la mise en place d’« un observatoire démocratique pour les prix de revient, les prix d’achat et de vente, à tous les stades ».
À cet effet, le PCF lance une opération vérité jusqu’au 26 août en éditant, à destination des « consommateurs citoyens », une grille qui permet de relever, dans 1 000 magasins, les prix de 5 fruits et légumes. Tandis que les « producteurs citoyens », eux, sont invités à indiquer pour ces mêmes produits les coûts de leurs productions. Une opération qui, selon le PCF, permettra de dévoiler au grand jour les pratiques de la grande distribution, tant vis-à-vis des consommateurs que des producteurs.
Article paru dans l’édition du 17 août 2005 dans l’Humanité
Les ventes de fruits et légumes organisées par le MODEF et le PCF connaissent un vrai succès et donnent des idées aux producteurs.
Hier matin, 8 h 30, place de la Bastille à Paris. Du ventre du semi-remorque garé sur le trottoir, des militants badgés du sigle PCF et des producteurs du Lot-et-Garonne sortent les cageots de pêches, de prunes et de tomates. Les palettes croulent sous les sacs de pommes de terre. La « vente solidaire », organisée par le syndicat agricole MODEF et le PCF, a débuté depuis 8 heures et plusieurs centaines de « clients » se sont déjà approvisionnés. Alain et Françoise transfèrent les cageots de pêches, de prunes et de tomates, les melons qu’ils ont achetés, dans des cabas. Le jeune couple a appris la nouvelle par l’Huma. « C’est une très belle action du Parti communiste », dit Alain. Il se sent concerné par la solidarité avec les paysans. Françoise relève surtout qu’elle a pu s’acheter des produits frais. « J’ai acheté pour 20 euros. Pour ce que j’ai eu, j’aurais dépensé 15 euros de plus en supermarché. » Elle interroge : « Est-ce le prix coûtant ? » Quand on lui dit qu’à ce prix, les producteurs sont rémunérés pour leur travail et qu’une marge a été calculée pour l’organisation de la vente et notamment la location des camions, elle n’en revient pas.
Il est 9 heures et Guy vient d’acheter un des derniers cageots de pêches. C’est sur Internet qu’il a appris la vente. Il est venu parce qu’il « achète des fruits en supermarché mais seulement en fonction des prix ». Et aussi « parce que je ne peux pas imaginer un pays sans paysans ». Il arrive souvent à Pierrette et Camille de renoncer à acheter des fruits et des légumes. Pierrette est donc heureuse d’avoir pu le faire ce matin. Camille, lui, a une solution radicale : « Ça devrait être toute la classe ouvrière et toute la classe paysanne qui organisent les ventes en direct, par-dessus les intermédiaires. » « De toute façon ça ne résoudra pas le problème, estime Dominique qui s’est glissé dans la conversation. D’ailleurs, ça ne devrait pas être le PC qui fasse ça, ce n’est pas de la politique. »
Il est 9 h 30 et il n’y a plus ni pêche ni salade. Yvonne doit renoncer à l’achat des 3 melons proposés pour 5 euros. « Je suis bien d’accord que pour cette qualité, je ne trouverai pas moins cher. Mais c’est mon porte-monnaie de retraitée qui commande. » « Je joue à la marchande, dit Valérie en riant, ça me rappelle quand j’étais petite. » L’institutrice communiste s’est investie dans cette initiative avec un bonheur visible. « C’est une belle action militante, affirme-t-elle. On voit ce que c’est que la solidarité. Une dame est venue acheter, elle a rempli sa voiture de fruits et légumes. Elle a dit que c’était pour toutes ses voisines de cité. » Valérie est surprise que les gens qui viennent soient si informés des problèmes de l’alimentation et de l’agriculture. Elle, elle est née dans la région d’Agen et elle sait que chez elle, « les petites exploitations ont toutes disparu ».
Dix heures, les dix-sept tonnes de fruits et légumes sont bien entamées. Gilbert Dufourg produit des pommes de terre à Marmande. Il en a apporté dix tonnes pour cette vente en région parisienne. « J’en tire ici 40 centimes le kilo et je m’en sors, y compris le conditionnement et le transport. Les centrales d’achats me les prennent à 10 centimes le kilo. Je ne peux pas y arriver. Du coup, ma récolte a pris un mois et demi de retard, les pommes de terre souffrent. » Cette année, dans son département du Lot-et-Garonne, 230 exploitants ont arrêté et dix seulement ont pris le relais. « Tous les ans et sur tous les produits c’est la crise, affirme Gilbert. On ne peut se rattraper sur rien. On envisage de se regrouper pour organiser ces ventes directes une fois par mois en région parisienne, avec des associations ou autrement. Sinon, on ne s’en sortira pas. » « Oui, il faut qu’on fasse la nique à la grande distribution, approuve Sylvie Mayer, responsable de la commission du commerce équitable au Parti communiste. Et il faut qu’on favorise cette démarche car les consommateurs et les producteurs, s’ils s’organisent, représentent une force. »
Il est 11 heures, la vente et les discussions se poursuivent depuis trois heures. En moyenne, en trois heures ce sont neuf exploitations agricoles qui disparaissent en France.
Article paru dans l’édition du 19 août 2005 de l’Humanité.