Chantier prioritaire de la planification écologique, la rénovation énergétique des logements accuse un retard considérable. Comment la France peut-elle faire mieux et accélérer les travaux, dans un contexte de crises géopolitique, sociale, économique et écologique ? Dans le dernier numéro de Notre énergie les propositions d’experts et professionnels pour passer à la vitesse supérieure. Biologiste, chercheur à l’INRAE et directeur de l’Institut Michel Serres, Olivier Hamant s’érige contre la notion de performance qui domine dans les réflexions actuelles sur la lutte contre le changement climatique. Sa conviction ? L’avenir de la planète passe par la robustesse.
En matière d’énergie, on parle beaucoup d’efficacité, d’efficience et de performance… Qu’en pensez-vous ?
Pour moi ce triptyque résume parfaitement le phénomène d’emprise dont nous sommes collectivement victimes. Depuis des années nous nous auto-persuadons qu’il n’y a d’autres voies pour freiner le changement climatique que d’optimiser nos systèmes – à commencer par nos systèmes énergétiques pour les rendre toujours plus performants, c’est-à-dire à la fois plus efficaces (visant à atteindre un objectif) et plus efficients (avec le moins de moyens possible). Dans un monde stable et abondant en ressources, cette performance peut faire sens. C’est d’ailleurs ce qu’on observe chez certains parasites. Mais dans le monde extrêmement fluctuant qui est le nôtre, ce dogme nous enferme dans une voie étroite qui est très fragile : la performance réduit le champ des possibles. Il nous empêche aussi d’anticiper les éventuels effets rebonds. Sur ce point, je voudrais rappeler le paradoxe de Jevons : on rend nos outils moins énergivores, mais cela crée de nouveaux besoins, et en fin de compte, on observe que la consommation globale des ressources augmente. Un exemple : c’est en partie les gains d’efficience énergétique des avions qui expliquent le boom des vols touristiques.
Quel modèle proposez-vous au regard de ce constat ?
Inspirons-nous du vivant ! Le modèle que je défends c’est celui de la robustesse qui consiste à maintenir un système stable malgré les fluctuations. La robustesse, c’est le propre du vivant et cela depuis la nuit des temps, c’est la raison de sa subsistance malgré des conditions parfois très hostiles. Comment font-ils ? Les êtres vivants ne sont pas robustes et performants, ils sont robustes parce qu’ils ne sont pas performants. Il s’agit de valoriser les points faibles, de mettre du jeu dans les rouages, bref, le contraire de l’optimisation.
Et comment entre-t-on dans l’ère de la robustesse ?
Au niveau des sociétés humaines, cela implique aussi de prendre le chemin inverse de celui de la performance. La performance aime la précision, le contrôle, la vitesse d’exécution, la standardisation, la planification – toutes valeurs qui réduisent nos options. C’est bien trop fragile quand surgit un événement climatique extrême ou une pandémie mondiale. Dans le monde qui vient, nous devrons cultiver la diversité des savoirs et des pratiques et la circularité comme dans les écosystèmes vivants où le gâchis de l’un est la ressource des autres – une idée très éloignée de l’efficience qui déteste le gâchis, par définition ! Nous devrons aussi retrouver le goût de la lenteur et de l’aléatoire et développer notre capacité à coopérer, en plaçant le bien commun au-dessus des objectifs individuels. Ça n’a rien d’utopique, c’est d’ores et déjà l’état d’esprit de l’agroécologie, de la convention citoyenne pour le climat (dans son déroulement, pas dans les suites qui lui ont été données) ou de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. Placer l’impératif de robustesse d’abord permet simplement d’évacuer les solutions inadaptées à un monde fluctuant, et de s’engager, sans regret, dans un monde nettement plus riche en interactions.
Lutte contre la précarité énergétique avec Slime
12 millions de personnes en France sont touchées par la précarité énergétique. Pour agir concrètement contre ce fléau, le CLER – Réseau pour la transition énergétique pilote depuis 2013 un dispositif clé : le programme national Slime. Depuis 2024, il est désormais éligible à un co-financement par l’État dans le cadre du Pacte des Solidarités
« La rénovation énergétique des logements est un des principaux moyens identifiés par le gouvernement pour atteindre nos objectifs climatiques. La loi de finances 2024 prévoit 1,6 milliard d’euros supplémentaires pour la financer, portant à 5 milliards d’euros le budget total qui y sera consacré l’année prochaine. Il est indispensable d’orienter ce financement vers les rénovations les plus performantes et les ménages les plus modestes. Et bien entendu de cesser d’encourager les mono-gestes de travaux, comme le remplacement d’une chaudière par une pompe à chaleur.
Face à la hausse actuelle des prix de l’énergie, écologie et justice sociale sont indissociables ! La baisse des émissions de gaz à effet de serre doit s’accompagner d’une baisse des factures et de la précarité énergétique. Seule une rénovation globale performante, de type BBC, permettra à la fois de mettre les ménages à l’abri des hausses de prix de l’énergie et d’atteindre nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030. N’attendons plus ! »
Delphine Mugnier, co-présidente du CLER-Réseau pour la transition énergétique