Alors que l’environnement devient un enjeu central de la présidentielle grâce à Nicolas Hulot, les intellectuels français, eux, restent absents du débat. Pourquoi un tel silence ?
L’écologie, tout le monde en parle. Vous, moi, vos voisins, vos médias et même – si, si ! – vos politiques, depuis qu’un certain M. Hulot a mis les pieds dans le plat de la campagne présidentielle. En 1995, le sociologue Emmanuel Todd avait alerté sur la « fracture sociale » ; au tour de Nicolas Hulot de déclarer l’« urgence écologique » et de déclencher une avalanche verte : livres à la pelle, couvertures de magazines comme s’il en pleuvait, émissions télé et expos de sensibilisation – dont la dernière en date à La Villette, « Changer d’ère ». Mais bizarrement, les intellectuels restent assoupis, quasi absents du débat public dans un pays qui a pourtant fait de la pensée « engagée » un label maison. Hulot lui-même s’en désole. « Où sont-ils donc ? Pourquoi sommes-nous seuls à porter ce discours ? Du coup, on nous demande d’assumer toutes les missions : alerter, agir, théoriser et repenser le monde. Peut-être sommes-nous des crétins absolus mais qu’on nous le dise ! »
On a voulu partir à la recherche des intellectuels perdus. Un matin, au Press Club, à deux pas des Champs-Elysées. Naïvement, on s’était dit que ce jour-là ils y seraient, forcément. Nicolas Hulot et son comité de veille lançaient leur Pacte écologique, adossé à un livre de propositions concrètes et éminemment politiques. Il y avait là beaucoup de journalistes, des représentants d’ONG, un bon panel d’experts et de figures de l’écologie comme l’astrophysicien Hubert Reeves, l’agroécologue Pierre Rabhi ou le photographe Yann Arthus-Bertrand. Et puis, last but not least, une brochette artistico-people : Luc Besson, Mathieu Kassovitz, Pascal Obispo, Julien Clerc, Florent Pagny. Et puis ? Et puis rien. Tandis que, lyrique et efficace, Nicolas Hulot appelait à la tribune à redonner du sens au progrès, à inventer un nouvel humanisme, on s’est dit qu’il était bien là, le chaînon manquant : dans ce silence des intellectuels, en décalage flagrant avec une société de plus en plus sensible, elle, aux enjeux environnementaux (neuf Français sur dix préoccupés par la question, selon un sondage Ifop de novembre).
Bien sûr, on pourrait voir là l’énième signe d’une époque obnubilée par les médias, où les deux seules figures capables de mobiliser l’opinion sur l’« urgence écologique » sont Nicolas Hulot et, dans une moindre mesure, Yann Arthus-Bertrand, soit deux baroudeurs télégéniques, comme le fut déjà leur aïeul au bonnet rouge, le commandant Cousteau. Drôle d’époque où il faut qu’Hulot menace de se présenter à l’élection présidentielle pour que – enfin ! – l’écologie devienne un thème de campagne sérieux. Et que Yann Arthus-Bertrand passe un coup de fil à Jean-Louis Debré pour que ce dernier organise une projection à l’Assemblée d’Une vérité qui dérange, le docu d’Al Gore sur le réchauffement climatique.