Pour la première fois, dans le cadre d’une collaboration internationale, une équipe de recherche du Laboratoire d’Océanographie de Villefranche sur Mer (LOV, Sorbonne Université/CNRS) a rassemblé un immense jeu de données sur le zooplancton acquis par des caméras sous-marines à l’échelle globale. Son analyse[[Faite dans le cadre de la thèse de Laetitia Drago au LOV.]] a permis de modéliser la composition et la biomasse océanique du zooplancton. Les estimations montrent des valeurs de biomasse maximales dans les zones productives équatoriales, tempérées et polaires, ainsi que des valeurs minimales au niveau des déserts océaniques. Les résultats de cette étude ont été publiés dans Frontiers of Marine Science le 9 août 2022.
Le plancton constitue l’ensemble des organismes vivants à la dérive dans les compartiments aquatiques et marins du globe terrestre. Il est extrêmement diversifié et joue un rôle central dans les chaînes trophiques marines et les cycles géochimiques. Ces organismes peuplent toute la colonne d’eau et sont fondamentaux à nos sociétés car ils apportent d’importants services écosystémiques tels que la pêche et la séquestration du carbone. Il est primordial de pouvoir quantifier rapidement leur diversité et leur biomasse dans les océans.
Si les satellites peuvent observer le plancton autotrophe[[Le plancton autotrophe désigne les organismes planctoniques capables d’utiliser la lumière et les nutriments de l’eau pour transformer le CO2 en biomasse par le processus de photosynthèse.]] à l’échelle globale, ils ne peuvent le faire que dans les premiers mètres de surface. Quant aux navires d’expédition, ils peuvent obtenir des données en profondeur mais uniquement localement. De plus, le traitement des échantillons ramenés à bord est souvent long et fastidieux. La biomasse globale du zooplancton est ainsi très mal connue.
Récemment, des chercheuses et chercheurs du LOV ont développé et commercialisé une caméra numérique sous-marine dont l’utilisation par des dizaines de collègues internationaux[[En France ces travaux ont impliqué des scientifiques du laboratoire Takuvik (CNRS/Université Laval), du Laboratoire d’océanologie et de géosciences (CNRS/Université de Lille/Université du Littoral-Côte d’Opale), de l’Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/IRD/Aix-Marseille Université/Université de Toulon), de l’observatoire Stations marines (CNRS/Sorbonne Université)]] a déjà permis d’obtenir une observation globale du zooplancton entre 1 et 50 mm dans les océans mondiaux sur plus de 3 500 sites. Des algorithmes de reconnaissance utilisant l’intelligence artificielle ont pu identifier des millions d’images considérant la biomasse de 30 catégories de macro-plancton.
En utilisant des algorithmes de Machine Learning, l’équipe de recherche a associé les conditions environnementales (température, salinité, nutriments et oxygène…) à la biomasse en carbone estimée des organismes afin de prédire globalement les biomasses de ces catégories de plancton. Les sorties de modèles estiment la biomasse a minima à 0.403 gigatonne de carbone entre 0 et 500 m de profondeur soit du même ordre de grandeur que l’ensemble des poissons dans l’océan (Bar-on et al., 2018).
Les cartes d’estimation de biomasse planctonique montrent la distribution spatiale des organismes en fonction des conditions environnementales (température, salinité…) et peuvent désormais servir à la modélisation du climat ou à la quantification des ressources pour les poissons. Ces cartographies permettent également d’évaluer, pour la première fois, la biomasse du plancton à partir de millions d’images collectées dans les océans.
Le LOV équipe désormais ses flotteurs autonomes de cette technologie d’imagerie afin d’obtenir des informations dans des régions océaniques où les bateaux naviguent rarement. Un déploiement international de ces caméras sur des flottes de robots sous-marins autonomes est attendu dans le cadre de l’observation[[Le projet Biogeochemical-Argo (BGC-Argo) soutient la contribution française à la mise en place du réseau global de flotteurs- profileurs biogéochimiques du programme international BGC-Argo, dont le plan scientifique et d’implémentation a été publié en 2016.]] supportée par les Nations Unies.