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La Cour des Comptes dévoile les coûts de la filière nucléaire

Dans cette période de campagne présidentielle, la politique électronucléaire de la France est devenu un thème de débat majeur mais qui reste relativement confus. Aussi le rapport que la Cour des comptes vient de publier sur « les coûts de la filière électronucléaire », et qu’elle a préparé en réponse à une demande faite par le Premier ministre au lendemain de Fukushima, est-il particulièrement intéressant. Cette étude approfondie et très documentée permet de comprendre comment sont calculés les coûts du nucléaire mais aussi de porter un jugement sur la fiabilité des chiffres utilisés et de relativiser le poids des incertitudes par rapport au coût global. Elle met aussi en lumière l’importance stratégique de la durée de fonctionnement des réacteurs actuels et la nécessité de définir rapidement une stratégie explicite en matière de politique énergétique.

Que dit le rapport ?

La Cour des Comptes a rassemblé dans ce rapport de plus de 400 pages toutes les données factuelles disponibles actuellement sur les éléments qui constituent les coûts, passés, présents et futurs, de la production d’électricité nucléaire en France, sans prise de position ni sur le niveau souhaitable de cette production, ni sur les modalités de son financement. Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, présente ce document comme « Une base de données factuelles à la disposition des responsables politiques et des citoyens. » Une estimation fondée sur les chiffres fournis par les industriels, les organismes de recherche et les budgets alimentés par l’Etat des organes de contrôle et de surveillance. Dans ce travail, la cour estime que « tout a été identifié », il n’y a donc pas de coûts cachés, même si ceux qui concernent des activités futures ne sont pas tous « certains » par nature. Le coût de la déconstruction des cinquante-huit réacteurs du parc français était évalué, fin 2010, à 18,4 milliards d’euros. Chiffre que la Cour dit ne pas être en mesure de valider , « en l’absence d’études approfondies ». « D’ici la fin de l’année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur 40e année de fonctionnement », et à moins de prolonger leur durée de vie, « il faudrait un effort très considérable d’investissement permettant de construire 11 EPR d’ici 2022 », a déclaré mardi dernier Didier Migaud lors de la présentation de ce rapport. Selon le premier président de la Cour des Comptes, un tel effort « paraît très peu probable, voire impossible, notamment pour des considérations industrielles », et faute d’avoir pris des décisions « explicites » en ce sens, la France devra faire durer les centrales existantes au-delà de 40 ans, à moins d’investir massivement dans les énergies renouvelables, ou de réduire la consommation d’électricité. « Ne pas décider revient à prendre une décision qui engage l’avenir, et il est souhaitable qu’une décision explicite soit prise », a plaidé M. Migaud. Synthèse du rapport Un investissement initial lourd. Le montant total de construction des installations nécessaires à la production d’électricité nucléaire s’est élevé à 121 Md€ (hors construction de Superphénix). La construction des 58 réacteurs actuels, qui représentent une puissance installée de 62 510 mégawatts (MW), a coûté 96 Md€. Il faut ajouter à cet investissement initial, pour 6 Md€, le coût de construction de la première génération. En outre, les investissements nécessaires au cycle du combustible, en particulier la mise en place de la filière de retraitement qu’exploite aujourd’hui AREVA, représente un coût pour la France de 19 Md€. Un coût de construction au mégawatt qui progresse dans le temps. Le coût de construction initial, ramené à la puissance des réacteurs, progresse dans le temps, de 1,07 M€/MW en 1978 (Fessenheim) à 2,06 M€/MW en 2000 (Chooz 1 et 2). Avec un coût de construction estimé à 6 Md€ pour l’EPR de Flamanville (tête de série) et une puissance de 1 630 MW, le coût au MW est de 3,7 M€. Des dépenses de recherche importantes. En tenant compte également des dépenses de recherche, publiques et privées, qui représentent 55 Md€2010 (1 milliard d’euro par an en moyenne), et du coût de Superphénix (12 Md€ pour l’investissement, le fonctionnement et l’arrêt), le montant total des investissements passés ressort à 188 Md€. Des charges courantes d’exploitation bien cernées. Ces charges d’exploitation annuelles d’EDF se sont élevées à 8,9 Md€ pour une production de 407,9 terawatt-heure (TWh) en 2010. Ces charges sont bien identifiées et leur chiffrage ne pose pas de problème majeur. Parallèlement, les dépenses sur crédits publics se sont élevées à 414 millions pour l’effort de recherche et à 230 M€ pour les coûts relatifs à la sûreté, la sécurité et l’information des citoyens, soit un total de 640 M€ en 2010. Des charges futures incertaines par nature. Le total de ces charges à fin 2010 est estimé à 79,4 Md€, dont 62 Md€ pour EDF. Parmi ces coûts, les dépenses de démantèlement, c’est-à-dire les dépenses de « démolition » des centrales, sont estimées aujourd’hui à 18,4 Md€, en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs du parc actuel. La Cour considère que les méthodes utilisées par EDF pour ce calcul sont pertinentes mais ne peut pas en valider les paramètres techniques, en l’absence d’études approfondies par des experts. Un autre coût futur important est la gestion à long terme des déchets, pour un coût estimé à 28,4 Md€. Cette estimation est fragile car le projet envisagé pour le stockage des déchets à vie longue, c’est-à-dire leur enfouissement en grande profondeur, n’est pas encore définitif. La Cour conclut de ses investigations que les coûts futurs sont bien tous identifiés par les exploitants, mais ne sont pas évalués avec le même degré de précision. Même si de nombreuses incertitudes pèsent, par nature, sur ces estimations, la Cour estime que les risques d’augmentation de ces charges futures sont probables. Des investissements de maintenance qui vont augmenter. Le programme d’investissements de maintenance d’EDF, pour les années 2011 – 2025, préparé en 2010, s’élevait à 50 Md€, soit une moyenne annuelle d’environ 3,3 Md€, ce qui correspond presque au double des investissements réalisés en 2010 (1,7 Md€). Les investissements à réaliser pour satisfaire aux demandes de l’ASN sont aujourd’hui estimés à une dizaine de milliards d’euros, dont la moitié serait déjà prévue dans le programme initial de 50 Md€. Un coût de production global qui va augmenter. La production d’électricité nucléaire est une industrie très capitalistique à cycle long pour laquelle le coût du capital est une variable qui a un impact très significatif sur le calcul du coût global. En prenant en compte la rémunération du capital, selon la méthode dite du coût courant économique, qui reflète l’ensemble des coûts sur toute la durée de fonctionnement du parc et permet des comparaisons entre modes d’énergie, le coût moyen du MWh produit s’élève à 49,5 € avec les données de 2010. La Cour montre que si l’impact de l’évolution des charges futures liées au démantèlement et à la gestion des déchets est limité, à l’inverse l’évolution des investissements de maintenance est nettement plus sensible, de l’ordre de 10% du coût moyen. Le choix stratégique de la durée de vie des centrales. Davantage que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime, l’analyse de la Cour montre que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d’amortir les investissements sur un plus grand nombre d’années. D’autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d’investissement dans de nouvelles installations de production. Or, la Cour constate que d’ici la fin de l’année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur quarantième année de fonctionnement. Par conséquent, dans l’hypothèse d’une durée de vie de 40 ans et d’un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel, il faudrait un effort très considérable d’investissement équivalent à la construction de 11 EPR d’ici la fin de 2022. La mise en oeuvre d’un tel programme d’investissement à court terme paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu’à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui engage déjà la France : soit à faire durer ses centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d’autres sources d’énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires. Quels que soient les choix retenus, afin de maintenir la production actuelle, des investissements importants sont à prévoir à court et moyen terme représentant a minima un doublement du rythme actuel d’investissement de maintenance. Ce doublement fera augmenter le coût moyen de production de l’ordre de 10 %. La Cour juge souhaitable que les choix d’investissements futurs ne soient pas effectués de façon implicite mais qu’une stratégie énergétique soit formulée, débattue et adoptée en toute transparence et de manière explicite. – Télécharger l’intégralité du rapport en cliquant ici. – Télécharger la synthèse du rapport en cliquant ici.

Réactions du gouvernement

Devant les « nombreuses incertitudes » pointées par les rapporteurs, en particulier sur le prix du démantèlement des centrales et celui de la gestion des déchets radioactifs, la ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, a demandé, mardi, « un audit pour contrôler les devis de démantèlement ». « Il y a un questionnement sur la qualité des devis de démantèlement, estime la ministre. « Le problème est que les devis sont portés par les opérateurs, donc il faudrait y mettre de l’expertise publique. » Des audits sur les devis de démantèlement « ont déjà été lancés » et « seront achevés d’ici à la fin 2012 », a aussitôt répondu le ministre de l’industrie, Eric Besson, soulignant que « la responsabilité » de ces études relève de son ministère. « Les travaux en cours sur la détermination du devis pour le stockage des déchets seront également menés à leur terme d’ici à fin 2012 », a ajouté M. Besson. Plus tôt, François Fillon avait fait savoir dans un communiqué qu’il demandait à la fois à Mme Kosciusko-Morizet et à M. Besson de « procéder aux audits et aux évaluations complémentaires nécessaires » , en vue de « réduire les incertitudes qui pèsent sur les coûts futurs ». Le premier ministre a en outre annoncé qu’« afin que l’exercice de transparence effectué par la Cour se poursuive, le gouvernement a décidé de le reprendre à son compte de façon régulière ».

Analyse du rapport par Sylvestre Huet

Sylvestre Huet, journaliste à Libération et auteur de l’excellent blog sciences2. Co-auteur du livre « Nucléaire : quels scénarios pour le futur ?« , il a participé à un débat sur France Culture hier matin (la Matinale de Marc Voinchet) avec Benjamin Dessus, un économiste opposé à l’usage du nucléaire. A propos de ce rapport et de son intervention sur France Culture écrit sur son blog dans une excellente analyse : « Les chiffres des coûts ne sont guère contestés. Benjamin Dessus va les tirer un peu vers le haut, mais, comme l’indiquait déjà le rapport Charpin/Dessus/Pellat de 2000, le nucléaire aux coûts français demeure le moins cher des moyens de production massifs (charbon, gaz) pour la base d’un système électrique de notre pays. Autrement dit, les propos de Yannick Jadot (EELV) dans Libération, hier, ou d’autres responsables affirmant que ce rapport démonte « le mythe du nucléaire pas cher » ne correspondent pas à la vérité. Comme EDF est bénéficiaire depuis 30 ans sans subventions, a versé des milliards d’euros à l’Etat en impots, taxes, dividendes et autres moyens, et a réalisé des milliards d’investissement à l’étranger tout en réduisant la dette par rapport au pic des années 1990… d’où proviendrait tout cet argent ? Il provient de factures payées par les consommateurs, elles étaient élevées en comparaison européenne il y a 25 ans, elles sont en bas de la fourchette europénne aujourd’hui. » « Il n’en demeure pas moins que ces calculs seraient totalement caducs en cas d’accident majeur se traduisant par une émission massive de radioactivité, comme l’ont montré Tchernobyl et Fukushima » poursuit Sylvestre Huet. « En revanche, un accident de type Three Miles Island (fusion du coeur mais pas d’émission massive) ne les mettrait pas en cause dans leur ordre de grandeur. La logique du rapport est donc de considérer de manière totalement implicite que la sûreté nucléaire, son organisation et sa surveillance par l’Autorité de Sûreté Nucléaire permettront de ne pas dépasser le cas TMI. Il faut noter que l’EPR est conçu et construit de manière à garantir la réalisation de cette hypothèse (fusion du coeur, mais pas d’émission) ».

Présentation du rapport par Orée

Lundi 27 février 2012 de 17h à 18h30 à Veolia Environnement, Orée organise une présentation du Rapport de la Cour des Comptes en présence de Michèle Pappalardo. Depuis mai 2011, Michèle Pappalardo est conseillère maître à la Cour des comptes, affectée à la deuxième chambre et rapporteure générale de l’enquête sur les coûts de la filière électronucléaire. Elle a été présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et Commissaire générale au développement durable du Ministère de l’environnement, du développement et de l’aménagement durables. Accueil et introduction par Ghislaine Hierso, Présidente d’Orée, Directrice auprès du Directeur général adjoint de Veolia Environnement en charge des Collectivités publiques et des affaires européennes. – Inscription gratuite mais obligatoire avant le jeudi 23 février par mail.

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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