« Investissements bas carbone : comment les rendre rentables ? » À la suite du rapport de Pisani-Ferry et Mahfouz (2023), cette Note d’analyse de France Stratégie a pour objectif d’affiner l’estimation des investissements nécessaires à la transition climatique, de quantifier la part rentable pour les ménages, entreprises et collectivités parmi ces investissements ainsi que les montants nécessaires pour rendre rentable ce qui ne l’est pas, et enfin d’évaluer les contraintes financières qui pèsent sur les ménages.
Sur environ 85 milliards d’euros d’investissements bruts nécessaires en moyenne chaque année entre 2024 et 2030 dans les bâtiments et les transports routiers, seul un tiers serait rentable sans intervention publique, si les prix de l’énergie restent à leur niveau de 2024. Leur rentabilité s’améliorerait dans le temps, en particulier dans les transports, notamment grâce aux avancées technologiques dont bénéficient les véhicules électriques.
En revanche, dans le bâtiment, les rénovations énergétiques, et en particulier l’isolation thermique, ne seraient généralement pas rentables avec nos hypothèses, sauf intervention significative du secteur public. Seul le changement de système de chauffage du fioul et du gaz vers des pompes à chaleur offrirait une rentabilité notable.
Pour rendre rentables les investissements non rentables, des transferts d’environ 19 milliards d’euros par an seraient nécessaires entre 2024 et 2030 (à comparer avec un volume de subventions estimé à environ 8 milliards d’euros dans le budget de l’État 2024 – sans compter les dispositifs non budgétaires telles que les CEE).
Pour limiter l’impact sur les finances publiques, des incitations réglementaires, des malus sur l’achat d’actifs bruns ou l’usage de taxes carbones pourraient être privilégiés pour réduire le coût pour les finances publiques. Lorsque des subventions sont nécessaires, elles devraient être adaptées aux revenus des ménages pour restreindre les effets d’aubaine et inciter les ménages les plus modestes à participer à la transition.
Néanmoins, même si la rentabilité est assurée, certains ménages font face à des contraintes financières qui les empêchent de réaliser ces investissements. Beaucoup ne disposent pas de liquidités suffisantes et pourraient rencontrer des difficultés à accéder au crédit. Par exemple, les remboursements d’un crédit pour l’achat d’une voiture électrique neuve dépasseraient 21 % des revenus pour la moitié des ménages français. Les ménages les moins aisés, en particulier, auront donc besoin d’un soutien supplémentaire pour financer ces investissements.
Investissements bas carbone : comment les rendre rentables ?
Conclusion
À la suite de Pisani-Ferry et Mahfouz (2023), France Stratégie estime qu’environ 85 milliards d’euros d’investissements verts bruts seront nécessaires en moyenne chaque année entre 2024 et 2030 dans le secteur du transport routier et du bâtiment. De son côté, I4CE a récemment estimé des besoins d’investissements verts bruts de 206 milliards d’euros en 2030. La Direction générale du Trésor envisage elle un besoin supplémentaire (c’est-à-dire net) de 110 milliards d’euros en 2030 par rapport à 2021. Néanmoins, ces montants ne sont pas directement comparables aux nôtres, notamment parce qu’ils couvrent un périmètre bien plus étendu que celui de cette note.
Dans notre scénario central, qui se fonde sur des prix de l’énergie stables et ne prend pas en compte les mesures de soutien existantes, un tiers de ces investissements verts bruts nécessaires seraient rentables. Ces investissements rentables concernent principalement le changement de mode de chauffage et l’adoption de véhicules électriques par les ménages, tandis que la rénovation thermique des bâtiments s’avère bien moins rentable.
Environ 19 milliards d’euros par an seraient nécessaires pour rendre rentable l’ensemble des investissements pour les ménages et les entreprises. Ce montant ne compense pas entièrement l’écart entre les investissements totaux et ceux qui sont rentables, car il est calibré pour rendre les investissements verts rentables grâce à des transferts aux ménages et aux entreprises et non pour couvrir l’ensemble de ces investissements.
Pour limiter l’impact sur les finances publiques si ces aides prenaient la forme de subventions, nous suggérons de les ajuster en fonction du revenu des ménages (par exemple, avec des montants variables selon les quartiles de revenus), ce qui permettrait de réduire les effets d’aubaine.
Concernant les véhicules électriques, bien que les montants totaux pour favoriser leur adoption devraient être augmentés à 2 milliards d’euros par an, les subventions par véhicule pourraient dans les prochaines années être nettement inférieures aux aides actuelles. Toutefois, l’étude se focalise uniquement sur la rentabilité, sans intégrer d’autres facteurs, à la fois monétaire (absence de trésorerie) et psychologique (incertitude sur les prix futurs, le développement du réseau de charge, etc.), pouvant justifier des subventions plus élevées. Par ailleurs, une annonce explicite indiquant que les subventions diminueront progressivement dans les années à venir pourrait encourager les ménages à accélérer leur transition vers les véhicules électriques.
Les rénovations des bâtiments nécessiteront d’être encouragées significativement pour que la France atteigne ses objectifs à l’aide de transferts de l’ordre de 17 milliards d’euros par an. Aujourd’hui, nous ne partons pas de zéro, loin de là : des soutiens très différents et peu coordonnés coexistent (MaPrimeRénov’, TVA à 5,5 %, CEE en particulier), mais leur efficacité est parfois remise en question. Il serait sans doute judicieux de supprimer l’avantage fiscal bénéficiant aux rénovations thermiques qui réduit la TVA de 10 % à 5,5 %, même si l’économie serait relativement faible (car sa suppression nécessiterait en miroir un soutien plus élevé à la rénovation pour la majorité des ménages).
Le renforcement des incitations pourrait également être de nature réglementaire (par exemple, pour les rénovations tertiaires non rentables) ou se traduire par des malus ou une taxe carbone, ce qui transférerait ce coût vers les ménages et les entreprises.
Par ailleurs, s’il est possible de rendre rentables les investissements grâce à des transferts, il existe aussi des freins non monétaires à l’adoption d’actifs bas carbone que les subventions ne résoudront pas. Pour la rénovation des bâtiments, des frictions peuvent exister au niveau des copropriétés. Pour la mobilité, la crainte d’un manque de bornes de recharge est un autre exemple de frein à l’adoption de véhicules électriques. L’incertitude concernant les prix futurs de l’énergie, des actifs ou le niveau des subventions pourrait aussi jouer.
Les transferts réellement nécessaires devront probablement être significativement supérieurs à ceux calculés dans cette note pour convaincre les agents économiques de réaliser ces investissements. De plus, dans certains cas, ceux-ci nécessiteront des investissements publics complémentaires non pris en compte dans cette étude (réseaux de bornes de charge pour les véhicules électriques, investissement dans les renouvelables pour s’assurer de prix de l’électricité abordable, etc.).
D’autre part, malgré des transferts qui assureraient la rentabilité des investissements verts, une partie de ces investissements pourrait rester difficile à réaliser pour un grand nombre de ménages. En effet, des investissements tels que l’achat d’une voiture électrique ou la rénovation thermique représentent des montants très conséquents. La plupart des ménages ne disposent pas d’une épargne suffisante pour les financer. Dès lors, le recours à l’emprunt devient nécessaire, mais les mensualités pourraient souvent dépasser 10 % du revenu disponible, rendant ces investissements inaccessibles pour certains, malgré leur rentabilité. Ce constat légitime les dispositifs existants tels que le prêt à taux zéro ou le leasing de voitures électriques.