Nous avons tous besoin des paysans. De paysans et non pas de petites mains de la chimie agricole précisent José Bové et Gilles Luneau qui publient aux éditions Alternatives Changeons de cap, changeons de Pac. Vers une agriculture paysanne au service des citoyens.
« Parce que sous nos latitudes favorisées nous mangeons trois fois par jour et que sans agriculteur digne de ce nom nous n’aurions dans l’assiette que malbouffe aux pesticides ou aliments génétiquement manipulés » poursuivent José Bové et Gilles Luneau. Pour répondre à la faim de 500 millions d’Européens il faut suffisamment de paysans et une organisation de la production et de sa commercialisation : c’est le rôle de la Politique agricole commune (Pac). La Pac qui s’achève mérite un bilan que tout le monde évite. Il révèle d’une part la perte de l’autosuffisance alimentaire de l’Union européenne, d’autre part sa dépendance à l’égard de l’industrie pétrochimique et biochimique. La prochaine Politique agricole commune se discute maintenant. « Les enjeux sont considérables et divergents : le pouvoir à tendance totalitaire des firmes agroalimentaires, le contrôle accru de la chimie et du génie génétique sur le vivant, la liberté de cultiver en respectant l’écologie d’un territoire, celle de semer et d’échanger les graines de son choix, la nature des échanges agricoles internationaux et, pour les citoyens que nous sommes tous, la souveraineté alimentaire. Des questions trop importantes pour les laisser résoudre aux seuls groupes de pressions constitués à Bruxelles » justifient les auteurs de ce manifeste. Autant de questions qui méritent un débat public. Débat où les paysans ont besoin de l’avis et du soutien de celles et ceux qu’ils nourrissent. Les paysans ont besoin des citoyennes et des citoyens pour définir l’agriculture européenne de demain. D’où ce livre, pour mettre sur la table tous les éléments du débat. Pour choisir l’agriculture qui va nourrir vos enfants. José Bové changera la Pac au salon de l’Agriculture … ou du moins présentera ses idées, avec Gilles Luneau, à propos de la Politique agricole commune contenues dans ce livre. Rendez-vous Porte de Versailles, Stand Irqualmin, Hall 1 / G67 le jeudi 1er mars à partir de 11 h. Références : Changeons de cap, changeons de Pac ! de José Bové et Gilles Luneau – Editeur : Editions Alternatives – Date de publication : février 2012 – 208 pages – ISBN : 978-286227-683-0 – Prix public : 16 €Extrait : Avant-propos
Par José Bové et Gilles Luneau « En 2012, la Politique agricole commune (Pac) fête les soixante ans de sa mise en oeuvre. Elle est non seulement l’une des plus anciennes, mais surtout la plus importante des politiques ayant construit et continuant de bâtir l’Union européenne. Comme toute réalisation politique, la Pac est critiquée, souvent à juste raison : inéquitable dans ses soutiens aux paysans, agent de désertification de nombreux territoires, écologiquement insoutenable par bien des pratiques promues, agressive et destructrice dans les relations commerciales qu’elle a induites avec les pays tiers, d’Afrique en particulier. On le verra dans ce livre, sous le vocable de Politique agricole commune se sont dissimulées plusieurs politiques. À l’origine, en 1962, la Politique agricole commune est une vraie stratégie politique au service du bien commun des peuples européens : la paix et l’autosuffisance alimentaire. Une vision ambitieuse, accompagnée des moyens nécessaires. Ses réformes successives ont obéi aux contingences immédiates, sans hauteur de vue. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, l’audace présidant à l’intégration rapide des pays de l’Est européen fut très fortement temporisée par la marche forcée vers la libéralisation du commerce mondial. Les réformes furent souvent des empilements techniques, fruits des compromis avec les différents lobbies en cours à Bruxelles et à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet abandon progressif de l’intérêt commun nous dépose aujourd’hui au pied d’une réforme d’importance. La politique de 1962 concernait six pays et 170 millions de personnes, celle à mettre en oeuvre pour 2014-2020 touche vingt-sept pays et plus de 500 millions d’Européens. La nature même des enjeux a changé : préservation des ressources naturelles, santé publique, réchauffement climatique, fin des énergies fossiles pour ce qui est de l’héritage anthropique du dernier demi-siècle. S’y ajoutent les défis du présent immédiat : • La concurrence, pour une surface cultivable mondiale limitée, entre cultures nourricières, cultures de rente et cultures d’agrocarburants, raréfie les possibilités de nourrir les peuples dans le monde entier. Depuis 2007, la spéculation boursière sur les matières premières agricoles provoque à chaque hausse des cours des émeutes de la faim. La ruée des pays riches vers les terres fertiles des pays pauvres installe une nouvelle forme de colonialisme, avec son lot d’exclusion et d’esclavage. • L’allongement des voies commerciales (maritimes, aériennes, routières) alourdit le bilan carbone de beaucoup de nos aliments. Tout comme l’offre surabondante de la « grande distribution » et de la restauration hors domicile qui, en plus, entretient un scandaleux gaspillage alimentaire. De tels enjeux sociaux, économiques, écologiques, réclament une Politique agricole et rurale commune suffisamment puissante pour structurer l’Europe en tenant compte de ses responsabilités internationales. Une politique en rupture radicale avec celle qui agonise aujourd’hui. Une politique qui renoue avec le bien commun. Une politique de souveraineté alimentaire, basée sur des modes de production écologiques et des échanges commerciaux équitables. Il ne suffit pas de « verdir » la Politique agricole commune avec des « mesures environnementales » mais de refonder une stratégie agricole, alimentaire et sociale pour les prochaines années. Depuis une vingtaine d’années, des mouvements paysans, ruraux et citadins multiplient les expériences alternatives à l’agriculture intensive, à la grande distribution, à la restauration collective industrielle, à la façon d’habiter un territoire. Des recherches scientifiques explorent la microbiologie des sols, les subtilités des écosystèmes, les impasses de la modification génétique. Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir puiser dans ces bilans concrets pour penser l’avenir. Il suffit d’en faire le choix. Une autre Politique agricole commune est non seulement possible, mais indispensable à l’épanouissement des peuples européens. Nous vous en offrons ici nos clés ». – Retrouvez d’autres extraits sur Le blog compagnon du livre.Extrait : Une rupture historique
« L’évaluation de cette réforme de la Pac 2003-2013 est prévue à mi-parcours, en 2008. La Commission et le Conseil européen dressent alors un « bilan de santé » de leur oeuvre qui tend à une banalisation de l’agriculture au rang d’acte commercial au même titre que la production de chaussures ou une prestation de service. Au regard du résultat, décision est prise de découpler totalement les aides de la production, de supprimer l’obligation de jachère et les quotas laitiers en 2015 mais d’ici là, pour calmer la colère des plus gros éleveurs laitiers, d’augmenter ces derniers de 1 % l’an. Comme si de rien n’était. Explosion du prix des céréales Pourtant, la situation mondiale a bien changé. Les prix des céréales sur les marchés mondiaux atteignent en 2007 et 2008 des niveaux très élevés. Les raisons de la hausse sont multiples : développement des agrocarburants qui détournent 40 % de la récolte de maïs aux États-Unis, apparition d’une classe moyenne dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud) qui change ses habitudes alimentaires notamment en consommant plus de viande (et le bétail est élevé aux céréales), entrée des fonds d’investissement sur les marchés des produits dérivés des produits agricoles, baisse structurelle des stocks. Le blé augmente de 130 %, le soja de 87 %, le riz de 74 % et le maïs de 31 %. Ces hausses vertigineuses ont deux effets néfastes importants. D’une part, les éleveurs européens ne peuvent plus payer l’alimentation de leurs animaux, d’autre part, les populations les plus pauvres des pays les plus pauvres n’ont plus accès à leur nourriture de base et se révoltent19. Les grands gagnants sont les « céréaliers », c’est-à-dire les agro-industriels des grandes cultures, sur grandes superficies. Ils font de jolis bénéfices grâce aux prix mondiaux élevés… et passent une deuxième fois à la caisse avec les primes qui leur sont toujours versées, toujours calculées en fonction des prix très bas qui prévalaient en 1992. La Commission et le Conseil européen ne les remettent pas en cause quand ils dressent le bilan de santé de la Pac en 2008. Ils avaient le pouvoir de rééquilibrer les soutiens publics. Ils laissent la situation en l’état. Cet acte politique mérite d’être éclairé : il souligne une victoire et une rupture. La victoire du lobbying des grandes cultures et des industries agroalimentaires qui leur sont liées (meunerie, alimentation animale, huileries, agrocarburants…). La rupture profonde entre céréaliers et éleveurs. Depuis ce 20 novembre 2008, jour du Conseil européen à Bruxelles, on ne peut plus parler d’agriculture au sens où l’entendait Olivier de Serres au tournant du XVIe siècle et avec lui toutes les générations d’agronomes et de paysans qui ont suivi : une activité qui entre labourage et pâturage conduit harmonieusement une ferme. Maintenant, les céréaliers font leurs affaires et négocient leur part du gâteau directement avec la Commission ou dans les cabinets ministériels, sans les éleveurs. Ces derniers n’ont que leurs yeux pour pleurer devant les factures de céréales et d’oléagineux et de protéagnieux que leur tendent leurs anciens compagnons de syndicat. Les éleveurs sont maintenant seuls face au rouleau compresseur du marché. La fracture qui s’opère ce jour-là est énorme, à la hauteur de la déchirure paysanne. Un séisme culturel dont on n’a pas encore mesuré toute la portée. L’agriculture, de par la spécialisation à outrance, n’existait déjà plus beaucoup d’un point de vue agronomique, mais les paysans, ou du moins les éleveurs, croyaient encore être de la même famille que les céréaliers. Ce n’était qu’un mensonge de la terre, entretenu le temps pour les éleveurs de servir de fantassins aux céréaliers quand ils avaient encore besoin de « manifestations paysannes » pour pousser leurs pions à Bruxelles. C’est fini. Les divergences d’intérêts ont pris le dessus. Les céréaliers négocient à l’OMC autant qu’à Bruxelles. Le masque est tombé, culturellement, l’agriculture française n’existe plus. La confirmation de cette fracture aux allures définitives a pu se lire dans le conflit du lait en 2008-2010 qui a vu les structures syndicales traditionnelles délaissées au profit d’une organisation transversale, régionale et européenne des éleveurs laitiers… et pas un céréalier dans les manifestations des éleveurs accablés par l’effondrement de leur revenu. Fracture visible aussi dans l’élection, en 2010, du céréalier et président de Sofiprotéol (Lesieur), Xavier Beulin, à la tête de la FNSEA contre la candidature de Dominique Barrau, éleveur de l’Aveyron. Tout un symbole ». – Retrouvez d’autres extraits sur Le blog compagnon du livre.