Le nouveau livre de Michel Serres vient de sortir. Ce livre s’appelle BIOGÉE. Michel Serres précise « Bio veut dire la Vie et Gé veut dire la Terre, comme dans Géographie. La Vie, on le sait, habite la Terre et la Terre se mêle à la Vie. De même, ce livre mélange des histoires, des légendes, des récits avec des paroles de philosophie ». Avec BIOGÉE, l’écrivain, philosophe et académicien, nous livre un de ses récits les plus personnels. À mi-chemin entre l’autobiographie et la philosophie, ses histoires résonnent de notes mélodiques et d’appels à la préservation d’un monde que nous abîmons.
À propos de son livre, Michel Serres écrit : « Biogée raconte, par exemple, comment certains marins se sauvèrent de tempêtes dramatiques, au Sud de la Crête ; comment des mariniers de Garonne se tirèrent d’énormes inondations ; comment des montagnards chanceux se sortirent de crevasses mortelles, dans les Alpes, et comment un gardien de phare italien dut affronter, du temps de la marine en bois, un envahissement de rats venus, par milliers, d’un bateau, où ils avaient déjà mangé tout l’équipage… Il relate enfin comment d’anciens savants négocièrent, en Sicile, l’éruption de l’Etna et comment tel récent chercheur évita la folie des bombes atomiques, en disparaissant de sorte que nul jamais ne le retrouva. Toutes histoires de la Biogée : des quatre éléments de la Terre, d’abord : eaux en furie, vents déchaînés, glaciers maléfiques, feux peu maîtrisables… puis, de la Vie, aussi : bêtes dont le nombre accable… Chaque personnage, ici, vit d’un métier en relation directe, quasi fusionnelle, avec la mer ou le fleuve, les voiles et l’ouragan, la roche et la neige, les fournaises ou les animaux. Alors, et tout à fait continûment, ce livre passe à des récits où les personnages deviennent des arbres, chênes et tilleuls, des plantes, treilles et glycine, des rivières, des chacals et même des bactéries. Que peuvent dire ces choses muettes et ces vivants aboyants, que savent-ils raconter, participent-ils à un dialogue orchestral géant où les humains ne tiendraient qu’un instrument ? Que semblent souffler la brise qui tourbillonne, les fleuves turbulents, le grand hurlement des loups et le silence des microbes qui foisonnent ? Dans quelle langue parle la Biogée ? En quelle histoire survit-elle, évolue-t-elle ? En quelles évolutions multiples et racontables plongeons-nous avec elle, dans le même temps qu’elle ? Peut-on vraiment dire des récits où l’héroïne, où le héros, humains, laisseraient leur place aux autres habitants de la Biogée, vivants ou inertes ? Oui, car les Fables, les Métamorphoses, où le rapport au monde se fait glissant, continu, tout aisé, où les personnages sont à la fois Fourmi et vieille ladre, Cigale et jeune guitariste écervelée, et, mieux encore, où tel amant devient chêne ou telle amoureuse tilleul, pour que, passé leur mort, ils puissent encore, quand le vent se lève, se caresser doucement de leurs branchages… participent d’une antique tradition répétée, encore aujourd’hui, avec émerveillement et gourmandise, par quelques adultes et beaucoup d’enfants. Rien de nouveau depuis Ovide ou La Fontaine ? Si, car il s’agit aussi de sciences nouvelles, de celles qui nous enseignent que, pieuvre ou paramécie, olivier ou porc, cèdre, vieillard cassé ou verte pucelle, nous portons tous un code lisible, le même, universel, susceptible de combinaisons, de compositions, de trouvailles créatrices et d’erreurs fatales aussi compliquées que n’importe quelle association de lettres dans une langue ou de notes dans une partition musicale. Nous savons désormais que nous jouissons d’un codage commun. Nous sommes et vivons comme le monde. Le monde communique entre soi aussi bien que nous communiquons entre nous et avec lui. La Biogée peut désormais avoir une littérature ! Et une musique, et une poésie. Elle calcule, certes, en battant ses élements comme dans un jeu de cartes, mais elle bruit aussi en combinant ses notes : j’entends son chant choral et son orchestration ; je puis comprendre ses légendes et jouir de ses récits, composés de ses lettres ; enfin, je médite en elle et par elle. Avec le plus faste possible, ce livre célèbre une antique et fabuleuse nouveauté : tradition aveugle, enfin clarifiée ; découverte magnifique pour la vie courante et la philosophie. Pour faire entendre donc le bruit de fond du monde et la voix des vivants, leur accompagnement, leurs rencontres, leurs rivalités, leurs amours qui ressemblent tant aux nôtres, j’ai appelé à l’aide l’ensemble de ce que nous permettent nos codes propres : le récit de la nouvelle, l’évocation poétique ou musicale, même les jeux de mots ou de lettres, les raisons juridiques, les expériences ou démonstrations scientifiques, enfin la méditation de la philosophie… en une mosaïque la plus proche possible de la réalité que je vis. J’ai voulu que le livre qui porte son nom émette les mêmes bruits, rie aux même éclats, pleure les mêmes sanglots, sonne des mêmes chants, compose la même musique, dise les mêmes récits, médite à la même profondeur que la BIOGÉE elle-même ». – Lire un extrait en cliquant ici – Références : Biogée par Michel Serres – Éditeur : Editions-dialogues.fr – Date de parution : 9 septembre 2010 – 200 pages – ISBN-13: 978-2918135043 – Prix public : 22 €. Pour tout livre acheté, on retrouve le fameux code 2D, pour obtenir l’ebook idoine, mais cette fois, s’ajoute la version audio du texte, lue par Michel Serres lui-même. – Achetez « Biogée » de Michel Serres chez notre partenaire Amazon.fr pour 20,90 € en cliquant iciCritique : Christiane Frémont nous parle de Biogée…
Michel Serres, philosophe, mais écrivain d’abord et toujours, publie aujourd’hui un livre au titre étrange et beau : Biogée – Bio signifie la vie, Gée désigne la terre. Pourquoi ce titre s’est-il imposé à lui ? c’est que, répond-il, la Vie habite la Terre et la Terre se mêle à la Vie ; c’est aussi – les lignes de Valéry et de Bernanos inscrites en exergue le disent – les choses, comme les vivants, ont un langage, et que l’âme d’un poète sait devenir arbre. Et le philosophe, lui, devient récitant, mêlant légende, histoire, récit, choses vues ou rêvées, avec des paroles de philosophie. A qui s’étonne devant cet objet inusité en philosophie, Michel Serres répond que les sciences de la vie et de la terre sont en passe de prendre la première place dans nos savoirs et nos pratiques. Non seulement parce que nous sommes de plus en plus instruits sur la formation du globe et la fabrication des vivants, mais aussi parce qu’il y a urgence : nous devons nous occuper de la Biogée tout entière que nous avons mise en péril et qui nous met en danger. Il faut rappeler ici les thèmes des précédents livres, Hominescence qui par le concept d’ « objet-monde » mesure le nouveau rapport de l’homme à la Terre, Temps des crises où apparaît le mot « Biogée », puissance incontournable et inquiétante, milieu et partenaire de l’humanité, terme muet – moins qu’on ne croit, on le lira ici – d’un « contrat naturel » nécessaire, jamais écrit. Si surprenant soit ce livre, il est dans le droit fil de l’œuvre, car Michel Serres est l’un un des rares philosophes contemporains à toujours avoir fait entrer le monde dans ses écrits – le feu, les mers et les fleuves, le dessin des continents, le choc des particules, objets de la physique sans doute, mais aussi de la philosophie, comme modèles d’intelligibilité des connaissances et des pratiques humaines : turbulences, flux, passages, îles, crêtes, nuages, chaos…bref, le monde extérieur ne se borne pas pour lui aux maigres notions de matière, d’objet, de chose, de temps et d’espace. La Biogée s’inscrit dans la série des personnages-concepts qui jalonnent l’œuvre (Hermès, le Parasite, la Noise…) concept global cette fois, essentiel en ce qu’il nous est co-naturel, nous nés de lui et lui de nous : la Biogée est la nation , nous y sommes tous nés depuis notre première aurore, disait le philosophe après Copenhague, invitant à la création d’une institution véritablement mondiale. Biogée est une rhapsodie où alternent le conteur et le philosophe, tissant ensemble une puissance verbale encore jamais atteinte, poétique au sens étymologique du terme, et la précision de la pensée ; où les héros sont gardien de phare, savant génial, musicien méconnu ou artiste renommée, gens modestes et figures emblématiques du savoir ou de la sagesse, tous également traversés d’ un flux de vie intense ; mais les lieux du monde, le vent, les eaux, les roches, les paysages, tout ce qui dure ou se meut sur la planète sont au même titre acteurs. Biogée raconte la geste commune aux choses et aux êtres : chaque personnage ici – dit son auteur – vit d’un métier en relation directe, quasi fusionnelle, avec la mer ou le fleuve, les voiles et l’ouragan, la roche et la neige, les fournaises ou les animaux. Histoires d’hommes, de bêtes et de plantes, et des quatre éléments. Le pari est alors le suivant : peut-on vraiment dire des récits où l’héroïne, où le héros, humains, laisseraient leur place aux autres habitants de la Biogée, vivants ou inertes ? La littérature et la poésie ont toujours fait parler la Nature, et dialogué avec elle. Mais ce n’est pas de cette tradition ou de cet artifice qu’il s’agit là. Et pourtant l’auteur écrit bel et bien : « Qui jase de concert ? Les choses du monde. Qui parle au total ? La Biogée soi-même. » (p.139). Lisez par exemple, « Mer dix » (p.87), lisez « Le grand hurlement des loups » (p.114) : dans une expérience personnelle vécue et réitérée par le récit, c’est bien Michel Serres qui parle, mais sans avoir la parole, car il n’en est ni le sujet ni l’objet. En est-il seulement l’intercesseur ? moins qu’un interprète, rien qu’un vecteur… Support, transport – et cela va parfois jusqu’au mélange, jusqu’à la métamorphose –, c’est cela qui est en jeu sous le discours poétique, et qui peut-être fait le sérieux de la poésie. Et sous la poésie, la philosophie, la science : la communication, la traduction – l’objet des premiers Hermès. De ce savoir-là Biogée se fait l’écho : « Nous ne sommes pas les seuls à écrire et à lire, à coder, à déchiffrer les codes des autres, à se laisser décoder par autrui, à comprendre, à muter, à inventer, à communiquer, à échanger des signaux, à traiter l’information, à nous rencontrer… »(p.170). Tel est le langage universel de la Biogée, d’où naquirent nos langues, et les paroles vocales des bêtes, et les signaux chimiques des plantes et des choses inertes : les éléments et les vivants émettent une quantité d’information au moins aussi lumineuse, importante, décisive et intéressante que celle émise par nos semblables qui s’expriment en langage humain – voici le support de ce contrat naturel qui nous lie à la Biogée, expliquait dernièrement Michel Serres. Cela justement permet de ne plus la traiter comme un objet, suivant la tradition de la raison technicienne mais comme un sujet émetteur de sens (ce qui n’implique pas d’y supposer une subjectivité). « Joie » est le dernier mot du livre. Pourquoi ? L’auteur répond : ce livre célèbre une antique et fabuleuse nouveauté…Nous savons désormais que nous jouissons d’un codage commun, nous sommes et vivons comme le monde. Le monde communique entre soi aussi bien que nous communiquons entre nous et avec lui. Gardons-nous de voir là le mythe d’une unité fusionnelle retrouvée avec le grand Tout : c’est plutôt l’idée d’une connivence, d’une familiarité ; et, pour nos savoirs et nos techniques, la compréhension et l’échange. La communication, philosophie douce, seule alternative à la maîtrise ?
Biogée par Michel Serres : une mosaïque de l’expérience positive de la vie
La Bible dit qu’il faut 80 ans pour faire un homme…
Bon anniversaire Monsieur Michel Serres.
Vous pianiste je vous offre un instant de piano :
http://www.youtube.com/watch?v=oOX085aKc2w
(sonorités opposées, dissonances fécondes)…
Vous philologue – qui osez affronter « la bête » – je vous offre ces mots sur l’ « animal langage », celui même que notre Paul Valéry consuma toute sa vie à dresser :
http://theatreartproject.com/langage.html
Enfin, vous qui prouvez que les choses, comme les vivants, ont un langage, l’âme d’un poète sachant « devenir arbre (…) » je vous offre Adonis :
http://www.youtube.com/watch?v=3vrnHR6HKHQ
L’or se doit aux rois, l’encens aux dieux, la myrrhe à l’homme… Adonis fils de Myrrha – l’arbre à myrrhe – le premier fils de l’Arbre.
http://theatreartproject.com/videos.html
L’inceste n’est-il la surexploitation d’une terre-mère unique ?… N’en déplaise à Valéry ce ne sont pas seulement les civilisations qui sont mortelles, mais notre espèce humaine, entière, qui est appelée à disparaître comme une autre, – comme tout