Objet particulièrement complexe et difficile à cerner, l’aide au développement est propice à de nombreuses idées reçues. L’aide est souvent accusée d’avoir mis les pays en développement dans une dépendance incitant à la paresse, d’avoir favorisé la corruption ou encore engendré des conflits. À l’inverse, on voit parfois en elle l’instrument qui « sauvera » ces pays de la stagnation économique. D’autre part, cette politique, éloignée de l’opinion à bien des égards, se joue à des milliers de kilomètres, et certains de ses effets ne seront visibles qu’à l’horizon de plusieurs années, voire décennies.
Basé sur des exemples concrets, autour de questions propices à la contradiction et illustratives des débats actuels sur l’aide au développement, cet ouvrage met en regard l’analyse théorique et la description de situations objectives et propose des clés de lecture et des pistes permettant de mieux connaître, et combattre, les idées reçues les plus tenaces : – « L’aide est inefficace » – « L’aide d’urgence des ONG est plus utile que l’aide au développement des États » – « Le FMI et la Banque mondiale sont responsables de la faillite des pays du Sud » – « La microfinance est la solution pour éradiquer la pauvreté » – « Il faut arrêter d’aider les États corrompus » – « Le développement du Sud va détruire la planète »… « Le Baromètre AFD / Ifop 2009 a révélé que les Français expriment un réel besoin d’informations pour mieux appréhender l’aide au développement. Notre ambition ici est d’aider le lecteur à décrypter les enjeux, les outils et les acteurs d’une politique internationale complexe et souvent méconnue du public » explique Jean-Michel Severino, Directeur général de l’AFD.Sommaire de l’ouvrage
À quoi sert d’aider au développement ? – « L’aide est inefficace. » – « L’argent du contribuable français devrait d’abord servir à aider les Français. » – « Toute aide au développement doit rester transitoire. » Des acteurs aux intérêts variés – « L’aide d’urgence des ONG est plus utile que l’aide au développement des États. » – « L’aide bilatérale ne sert qu’aux intérêts des pays donateurs. » – « Le FMI et la Banque mondiale sont responsables de la faillite des pays du Sud. » Des instruments multiples – « L’éducation et la santé sont des conditions préalables au développement. » – « Avec plus d’argent on parviendra au développement. » – « La microfinance est la solution pour éradiquer la pauvreté. » Y a-t-il une éthique de l’aide ? – « L’eau devrait être gratuite dans les pays pauvres. » – « Il faut arrêter d’aider les États corrompus. » – « La dette des pays pauvres est un obstacle à leur développement. » L’impasse du développement ? – « Certaines cultures sont inaptes au développement. » – « Il n’y a pas de développement sans démocratie. » – « La croissance démographique est un frein au développement. » – « Le développement du Sud va détruire la planète. »Références
– Les auteurs : Jean-Michel Severino, Directeur général de l’Agence Française de Développement (AFD), a été directeur du développement au ministère de la Coopération et du Développement et vice-président de la Banque mondiale en charge de l’Asie. Jean-Michel Debrat, Directeur général adjoint de l’AFD, a été conseiller budgétaire au cabinet du ministre de la Coopération et du Développement. – Références : L’Aide au développement de Jean-Michel Severino et Jean-Michel Debrat – Editions Le Cavalier Bleu – Date de publication : 21 janvier 2010 – 128 pages – ISBN : 978-2-84670-298-0 – Prix public : 9,80 € – Ouvrage disponible à l’achat en ligne sur le site de l’éditeur en cliquant ici.Extrait : « Il faut arrêter d’aider les États corrompus »
À quoi bon financer des projets de développement dans des pays où des administrations, des acteurs politiques et économiques corrompus détourneront les fonds à leur profit, au détriment de la réalisation pleine et entière des programmes de développement ? Telle est l’une des questions régulièrement posées aux acteurs de l’aide. Rappelons tout d’abord que le phénomène de corruption se caractérise par son universalité : toute société est touchée. Riche ou pauvre, très bureaucratisée ou non, caractérisée par le pluralisme politique ou régie par la loi du parti unique, aucune n’est à l’abri de la corruption sous ses différentes formes (détournements, dessous-de-table, extorsions par la force, etc.). La corruption n’est en rien l’apanage de tel ou tel continent. Seul point commun partout où elle sévit : c’est bien la population qui est toujours la principale victime. Mais la population des pays en développement se voit bien plus durement frappée par ces phénomènes. Au niveau d’une famille, le pot-de-vin payé au fonctionnaire corrompu sera-t-il pris sur le budget alimentaire, de santé ou encore d’éducation des enfants ? Ce sont bien les populations les plus modestes qui paient proportionnellement le plus lourd tribut à la corruption . Au niveau national, les détournements d’État ont représenté dans certains cas des sommes considérables . La Banque mondiale estime que ce sont entre 20 et 40 milliards de dollars qui sont détournés chaque année dans les pays en développement – l’équivalent d’environ 20 à 40 % de l’aide publique au développement (Star Report, 2007). L’institution estime ainsi que les pays qui mèneraient une lutte efficace contre la corruption pourraient s’attendre, dans le moyen terme, à une augmentation de 400 % de leur PIB. La corruption a par exemple pour conséquence dans certains pays l’augmentation jusqu’à 30 % du prix de raccordement d’une maison à un réseau d’ eau (Transparency International, Global Corruption Report 2008). Du fait des sommes qui manquent dans les caisses de l’État et de l’affaiblissement des structures institutionnelles, certaines dépenses vitales ne peuvent être satisfaites. Ainsi la corruption engendre d’ insidieux ravages sur les systèmes sociaux. Elle peut aussi conduire à biaiser les choix économiques au détriment des projets les plus justifiés socialement. La lutte contre la corruption est donc un enjeu crucial de développement. Si aucun pays n’est à l’abri de la corruption, la crainte de voir détournées les sommes dédiées au développement est légitime. Qu’on en juge : selon l’indice de perception de la corruption publié chaque année par l’ONG Transparency International, celle-ci est massive et endémique dans cinq des dix premiers pays bénéficiaires de l’aide publique, à savoir l’Irak, la République démocratique du Congo, l’Indonésie, le Pakistan et le Vietnam. Ainsi les agences d’aide ont tout lieu de se préoccuper de la corruption, qui risque de compromettre l’efficacité de leur action. Plus largement, c’est la crédibilité même de leurs programmes d’aide qui peut se voir remise en cause. Dès lors, des sanctions s’imposent-elles ? Les agences d’aide doivent-elles cesser d’intervenir dans des pays manifestement corrompus ? Et à quoi bon aider des pays dans lesquels tout décollage économique se voit – in fine – hypothéqué par la corruption ? Avant de trancher, rappelons que la question de l’impact de la corruption sur la croissance mérite quelques nuances. Définir la corruption n’est pas chose aisée, car celle-ci peut prendre des formes très diverses. Il faut pour cela partir de l’analyse du circuit financier : si les sommes concernées sont réinvesties dans le pays lui-même, alimentant des systèmes sociaux informels de base, dès lors la corruption peut remplir certaines fonctions économiques et sociales. Ainsi, nombre de pays en croissance rapide, particulièrement sur le continent asiatique, sont touchés par ce que l’on peut appeler une « petite corruption » [J.- P. Olivier de Sardan 1999]. Dans ce cas précis, la corruption participe à fluidifier l’économie lorsque les bureaucraties formelles ne parviennent pas à s’adapter à la rapidité de la croissance. Cette corruption, moins « maligne » qu’une autre, comme l’a montré l’exemple de la Thaïlande, empêche cependant une allocation adéquate des ressources. En outre elle alimente des phénomènes sociologiques ravageurs, tels que le clientélisme. Reste le cas d’école, où la corruption s’avère systémique, à caractère plus « pathologique ». Elle consiste à obtenir des agents économiques des décisions irrationnelles par des versements financiers illicites (le pot-de-vin). Cette corruption, lorsqu’elle est endémique, conduit à une fuite des capitaux en dehors du pays concerné. En outre, couplée au manque de transparence, elle hypothèque l’adhésion de la population. On le voit, plus encore qu’une question morale, le phénomène de la corruption est un sujet de science sociale. Comment contrer de telles pratiques ? Parfois réclamées par des citoyens ou des organismes soucieux de ne pas appuyer des régimes autoritaires, les mesures de répression consistant à couper les vannes des financements peuvent s’avérer séduisantes au premier abord. Car quel meilleur type de pression pourrait pousser les États corrompus à lutter contre le phénomène ? Cette position de principe s’avère pourtant contreproductive sur de nombreux plans. D’abord parce qu’elle constitue une « double peine » pour les populations pauvres déjà victimes de la corruption et qui se verraient une deuxième fois sanctionnées. S’il est plus « simple » d’aider des pays bien gouvernés, il serait condamnable d’abandonner les populations vivant dans des pays à faible gouvernance. Loin de se refuser à résoudre le problème, les agences de développement peuvent accompagner ces pays, soutenant le renforcement des capacités des administrations, dans le but de les engager vers une meilleure gouvernance. Pour ce faire, les agences s’attachent à mettre en oeuvre des projets de terrain au bénéfice direct des populations (selon un circuit le plus court possible), et à trouver pour chaque cas concret les procédures et modes de gestion permettant d’éviter les cas de fraude (contrôle, évaluation, traçabilité des circuits financiers de l’aide). Il leur revient d’identifier les agents locaux faisant preuve de la transparence nécessaire pour engager avec eux des projets et conduire ainsi des actions efficaces de développement, même au sein d’États corrompus. Au niveau local, un projet de développement comme la construction d’un dispensaire, d’un hôpital ou d’une école, crée un « îlot » dans lequelle système de corruption n’a pas de prise. Les méthodes permettant de s’assurer que l’aide puisse aller aux bénéficiaires finaux sont connues : procédures rigoureuses préétablies à toutes les étapes du « cycle du projet », mise en concurrence systématique, surveillance des appels d’offre, contrôle de l’affectation des ressources, enquêtes approfondies dès le moindre soupçon de fraude, etc. Ainsi le contrôle de l’utilisation des fonds à chacune des étapes du projet financé est une préoccupation centrale des agences d’aide. Les fonds ne sont pas décaissés en une seule fois, mais par tranches successives, dans le cadre de contrôles opérés sur le terrain et au travers de circuits financiers sécurisés. En cas d’irrégularité, le processus du projet peut être suspendu. Bien souvent, c’est leur réseau d’antennes locales présentes dans les zones d’intervention qui permet aux agences de contrôler au plus près chaque action financée. En outre les agences d’aide ont en leur sein des services dédiés au suivi des projets, à la prévention de la fraude et la mise en oeuvre de sanctions dès que des faits de corruption sont avérés. Ainsi la Banque mondiale dispose d’un Comité de sanctions examinant les conclusions d’enquêtes, réalisées en interne comme en externe, sur des situations présumées de fraude ou de corruption concernant des projets qu’elle finance. Depuis 2001, le comité a examiné plus de 3 000 cas présumés, entraînant la radiation de 330 sociétés et individus dont les noms figurent sur son site Internet. Au sein de l’Agence Française de Développement, plusieurs services (contrôle interne et conformité, inspection générale) ainsi qu’un conseiller en charge de l’éthique professionnelle sont responsables des contrôles permettant de lutter contre la corruption, le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme, dans le but de sécuriser l’ensemble des opérations de financement. Toutefois, au-delà de l’aide-projet, il demeure la question de l’aide budgétaire, c’est-à-dire l’aide directement versée, sous forme de ressources centralisées, au Trésor national d’un État. Depuis une quinzaine d’années les donateurs ont tendance à privilégier cette forme d’aide, qui a l’avantage d’accroître l’appropriation et la responsabilisation par les pays partenaires, et permet à ces derniers de sélectionner les programmes qu’eux-mêmes jugent prioritaires. Dans certains pays cet appui budgétaire peut représenter jusqu’à 20 % de l’aide. Mais les donateurs doivent faire preuve dans ce cadre d’une vigilance accrue : l’aide budgétaire suppose que les circuits de la dépense publique soient transparents et contrôlables. S’il est souhaitable d’accorder ce type d’aide dans de nombreux pays (comme au Ghana, au Burkina Faso ou en Tanzanie pour ne citer que quelques exemples) dans d’autres, où la transparence et la responsabilité financière sont très faibles, c’est l’aide-projet, mieux sécurisée, qui sera privilégiée. Pour évaluer le risque fiduciaire (du latin fides : la confiance) intrinsèque au soutien budgétaire, les donateurs établissent des classements d’éligibilité selon plusieurs critères (la fiabilité des procédures comptables du pays, la qualité des contrôles externes, etc.). La corruption est un phénomène tout à la fois social, politique et économique, d’une extrême complexité. Si elle soulève des questions éthiques incontestables, celles-ci ne peuvent être résolues selon une simple logique de sanctions. C’est bien à travers une approche pluridisciplinaire et partenariale que des solutions efficaces pourront être trouvées.