Suite à l’initiative de Nicolas Hulot et de l’Alliance pour la Planète s’adressant aux candidats à l’élection présidentielle, l’Association 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable) et l’ODP (Observatoire de la Décision Publique) avaient animé un atelier et transmis aux candidats du second tour « 8 préconisations institutionnelles pour gouverner le développement durable ».
Avec le lancement du Grenelle, ces deux associations ont poursuivi leurs travaux sous la forme d’un groupe de veille destiné à assurer le dialogue entre les différents acteurs du Grenelle, à capitaliser et analyser les propositions, encourager la participation citoyenne. En s’appuyant sur le principe de transparence affirmé lors du lancement du Grenelle, ces associations, rejointes par l’ADELS (Association pour la Démocratie et l’Education Locale et Sociale), ADOME (Association de développement des outils multimédias pour l’environnement), ACIDD (Association communication et information pour le développement durable) et Villes Internet, ont décidé la création d’un site Internet pour que chacun ait accès aux éléments du débat.
Cet appel souligne l’importance des avancées démocratiques nécessaires à un changement durable des comportements collectifs et individuels, et celle d’une mobilisation en faveur d’un prolongement du processus, pour les sujets qui n’ont pas abouti.
La France ne part pas de zéro. La SNDD (Stratégie Nationale du Développement Durable), traduction de la
SEDD (Stratégie Européenne du Développement Durable) comportant objectifs stratégiques et instruments,
programmes d’action et indicateurs, doit être révisée en 2008. La France a fait du MEDAD (Ministère de
l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement Durables) le seul ministère d’Etat et de son titulaire le
numéro 2 du gouvernement.
Dans ce cadre existant, le Grenelle de l’environnement constitue une avancée majeure pour la France.
Saluant l’intérêt de l’initiative de la société civile et de la décision du Président de la République qui ont
permis la confrontation de points de vue très divers et l’esquisse de nombreuses propositions, les signataires
s’inquiètent des délais imposés pour débattre de sujets d’une telle importance, délais difficilement
compatibles avec les exigences d’une élaboration concertée, sérieuse et soignée de mesures à la fois
ambitieuses et réalisables. Le Grenelle a ouvert une voie nouvelle au débat collectif et généré une
dynamique. Il sera un succès politique, si et seulement si, des engagements concrets sont actés, assortis de
calendriers précis de mise en oeuvre et de vrais moyens affectés.
La question écologique constitue un défi inédit dans l’histoire humaine. Le changement climatique, et les
questions sociales qu’il sous-tend, la pollution de l’environnement, la gestion de ressources épuisables et de
la biodiversité, nous confrontent à :
– Un enjeu global, planétaire et à résolution obligatoire car il y a sur ces questions un impératif de
solidarité de tous sous peine d’échec de chacun,
– Un enjeu humain individuel car la réponse se trouve également au coeur de nos comportements
quotidiens,
– Une nécessité de prise en charge active au plan territorial à la fois au plan de la construction d’une
démocratie participative, par rapport aux investissements à engager, et à leur durée de vie.
En découle l’ardente obligation d’une avancée démocratique inédite dans l’histoire humaine. Une
démocratie à tous les étages, de la personne à la planète. Cela exige à la fois parole collective, patiente, vision
partagée du futur, recherche permanente de l’adhésion, justice dans la répartition des efforts et enfin de
grandes capacités de réflexion, de décision et d’action.
Les signataires souhaitent que le Grenelle de l’environnement adopte des objectifs ambitieux ouvrant une
réorientation majeure des modes de vie, des modes de production et de consommation et de l’organisation
des territoires.
Les mesures déterminantes
Des débats ont émergé des mesures concrètes détaillées dans les rapports qui doivent faire l’objet de
décisions rapides, dont :
1. Un progrès généralisé de la qualité énergétique des bâtiments neufs visant le bâtiment à énergie
positive par le durcissement de la réglementation thermique pour imposer dès 2010 un maximum de
50kWh/m² et par un programme progressif d’isolation du bâti existant (habitat et tertiaire) pour
ramener la consommation énergétique à la norme de 80 kWh/m².
2. Le renforcement significatif pour y parvenir de la formation professionnelle pour garantir la bonne
réalisation de ces programmes et la mise en place de financements permettant aux ménages
modestes et aux bailleurs sociaux d’effectuer les investissements sans pénaliser le pouvoir d’achat.
3. L’adoption avant fin 2008 d’une loi de programmation pour les transports précisant les mesures et
orientations pour atteindre en 2020 une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre du
secteur. Cette loi devra définir les moyens mobilisés pour rénover le réseau ferré et favoriser le
transfert modal des voyageurs et des marchandises.
4. L’instauration d’une redevance poids lourds au kilomètre parcouru sur l’ensemble du réseau routier
et autoroutier et la promotion, lors de la Présidence française de l’Union européenne, de son
extension européenne. Sa recette sera affectée aux infrastructures ferroviaires.
5. Un programme de développement des énergies renouvelables décentralisées afin d’assurer au
moins 20% de l’approvisionnement énergétique en 2020 et de maîtrise de la demande d’énergie,
ainsi que l’ouverture d’un débat prospectif sur la structure du mix énergétique (au-delà des 20% de
renouvelables) pour lever les freins au développement des renouvelables.
6. La systématisation de l’élaboration de Plans climat, opposables, coordonnés par les Régions, mis en
oeuvre avec les autres collectivités, en particulier les grandes villes à engager d’ici fin 2009 date
probable du prochain traité international sur le climat et visant le facteur 4 pour 2050.
7. La restauration de la qualité des eaux associant des mesures de protection des bassins versants et la
mise aux normes accélérée des stations de traitement des eaux usées
8. L’instauration d’une trame verte nationale pilotée par les acteurs locaux dans le cadre de schémas
régionaux de gestion de la biodiversité en cohérence avec le cadre garanti par une Agence nationale
regroupant les différents établissements intervenant sur ce sujet.
9. L’adoption avant la fin 2008 d’un nouveau plan santé environnement renforçant les efforts de
surveillance et de prévention notamment en matière de santé au travail.
10. Une réduction rapide de 50 % des quantités de pesticides utilisés en France et un programme de
restauration de la qualité des eaux associant la protection des bassins versants et la mise aux normes
accélérée des stations de traitement des eaux usées.
11. Un développement de l’agriculture biologique pour atteindre au moins 10% de la surface agricole
cultivée en 2012.
12. Un moratoire sur la culture commerciale d’OGM pendant le temps nécessaire au débat public pour
l’adoption d’une loi encadrant les responsabilités en cas de contamination des cultures
conventionnelles.
13. Un programme de réduction de la production de déchets à la source et de renforcement de leur
recyclage pour atteindre 40% de matières recyclées d’ici 2012 et dépasser 60% en 2020 afin de réduire
le recours à l’incinération.
Les moyens à affecter
Des moyens nouveaux doivent être affectés à la mise en oeuvre effective des objectifs, manifestation concrète
de la sincérité de la démarche politique :
14. Une taxation de l’énergie à contre-cycle. Du fait des prix hauts actuels des énergies, ce qui importe
n’est pas de les rendre plus chères, mais de donner le signal que les prix des énergies ne baisseront
plus et de stimuler ainsi les investissements de maîtrise de l’énergie et de réduction des émissions de
gaz carbonique.
15. Une loi de finances rectificative dégageant dès le début de l’année des moyens supplémentaires au
budget 2008
16. Un programme massif de formation à la fois en direction des professionnels, des jeunes mais aussi
de tous les adultes, seul moyen pour que les acteurs s’approprient les démarches nécessaires,
améliorent la qualité de leurs projets et s’engagent dans l’action.
Des processus démocratiques structurants
Les processus qui suivent doivent faire l’objet d’un mandat complémentaire pour la Commission Balladur
sur la réforme des institutions.
17. Une réforme du Conseil Economique et Social et des CESR pour y assurer la prise en compte du
développement durable avec une représentation des collectivités locales, un renforcement de la
représentation et des moyens des associations environnementales, des acteurs de l’économie sociale
et solidaire et du développement durable, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la parité, de la
place des jeunes et de l’interculturel.
18. Encourager dans les entreprises des relations de dialogue, ouvertes aux salariés, aux riverains, aux
collectivités, aux associations, aux services de l’Etat, sur les thèmes des risques, de l’environnement,
du développement durable et leur lien avec les questions sociales et de partage des ressources, en
reprenant le modèle des Citizen advisory panel.
19. De nouveaux droits sociaux avec introduction de l’environnement et du développement durable
dans les missions des comités d’entreprises et des CHSCT qui deviennent CHSCTE et protection
juridique du donneur d’alerte en matière d’environnement et de santé.
20. Une clarification du rôle des différentes collectivités territoriales pour dépasser la confusion sur la
répartition des compétences et entrer dans une logique d’articulation et de contractualisation entre
différents niveaux de pertinence territoriale. Cela implique la mise en cohérence progressive des
documents d’urbanisme et des politiques d’agglomérations, départementales et régionales autour
des Contrats de Plans Etat-Régions.
21. La mise en place d’indicateurs du développement durable dans les instruments de pilotage des
politiques publiques et des lois de finances en prenant mieux en compte les dispositions de la LOLF
(dès la loi de finances pour 2009).
22. La Réforme des procédures d’enquête publique pour favoriser les contre-expertises, notamment via
l’accès à des financements publics, imposer l’analyse des alternatives et introduire le critère de
réversibilité dans l’étude des projets.
23. La prise en charge institutionnelle d’une véritable politique du débat public sur le développement
durable
24. Promouvoir dans l’éducation, tout au long de la vie, le développement d’une capacité critique par
rapport à la publicité, encourager les initiatives de travail collaboratif pour un meilleur discernement
des activités de production et consommation favorables au développement durable.
25. Intégrer dans la réflexion et l’action l’émergence de civilisations numériques, l’impact des nouvelles
technologies sur les changements de rapport au temps et à la nature, et de modes de gouvernance.
Et des sujets à approfondir et développer
Le processus du Grenelle a soulevé des questions centrales sur lesquelles les débats de fond n’ont pu avoir
lieu faute de temps. Dans quatre domaines cruciaux, il ne faut pas prendre le risque politique de laisser le
débat retomber et les blocages dégénérer. Il faut poursuivre le processus amorcé et prendre le temps
nécessaire.
– D’abord, la question de la relation entre environnement, activité économique et emploi. Les visions
sont très éloignées entre décroissance, gains d’efficacité et poursuite de la croissance économique ;
cette question sera à aborder notamment à l’occasion d’un débat sur les indicateurs de richesse et de
bien-être et la comptabilité nationale
– Cette question se prolonge par celle de la régulation par l’action publique du fonctionnement du
marché dans un cadre européen et national ;
– Ensuite, les choix énergétiques de long terme avec les deux questions déterminantes de la
production électrique et des transports ;
– Enfin, la maîtrise des utilisations de la génétique notamment pour des applications alimentaires ou
médicales.
Enfin les signataires conscients du bénéfice d’une approche concertée s’engagent à :
– poursuivre le dialogue et le travail en commun pour suivre la mise oeuvre des mesures qui sortiront
du Grenelle,
– approfondir ensemble les débats qui ne l’ont pas été suffisamment faute de temps,
– expérimenter, dans le cadre légal et règlementaire, les propositions qui, ayant reçu l’accord des
parties prenantes, n’ont pas été retenues au plan national parmi les décisions finales du Grenelle.
En conclusion, le Grenelle de l’environnement dont il convient de saluer la pertinence et l’audace, est une
première étape, ouvrant un chantier à la fois vital et enthousiasmant. Les obstacles sont nombreux mais
c’était un des propos de ce processus novateur de s’y attaquer. Il a fait naître un immense espoir. Nos
concitoyens, inquiets de tout ce qu’ils savent ou devinent de la situation de la planète, sont prêts à agir. Il
revient aux responsables politiques de tenir leur parole et d’ouvrir les voies nouvelles d’un développement
durable. Les organisations signataires entendent y veiller.