"Il faut bien comprendre que ce que l’on mange, ce que l’on achète, a des conséquences immédiates sur les ressources en eau", a souligné Stéphanie Blenckner, porte-parole de l’Institut international de l’Eau (Siwi), tout en rappelant que l’exploitation des ressources naturelles est vouée à s’intensifier pour satisfaire la demande croissante de biens, services et aliments et combattre la pauvreté dans le monde.
"Cinq mille enfants meurent chaque jour de diarrhée à cause du manque d’hygiène et de toilettes décentes", a ajouté Mme. Blenckner, mettant l’accent sur la question de la propreté hygiénique et sanitaire qui ne peut être dissociée du développement. Le président malgache Marc Ravalomanana - une des 2500 personnalités conviées à la 18ème édition de la Semaine de l’Eau - s’est montré du même avis et a déploré l’absence de sensibilisation quant aux risques de décès dus à la précarité des infrastructures et au manque d’hygiène, ce pourquoi son gouvernement a récemment instauré un ministère de l’Eau. Le professeur anglais John Anthony Allan, qui a reçu cette année le Prix de l’Eau de Stockholm, a pour sa part attiré l’attention sur la consommation d’eau requise par les agro-carburants. Le WWF a quant à lui présenté un rapport sur les plus grands consommateurs d’"eau virtuelle" - Italie, Grande-Bretagne, Brésil, Mexique, Chine et Japon -, à savoir les importateurs de produits comme les aliments, l’habillement et autres biens pour lesquels une importante quantité d’eau doit être utilisée.
Dans les pays du Sud, l’arme de la honte
Quelque 1,2 milliard de personnes dans le monde, privées de toilettes, déféquent dans la nature. Les travailleurs humanitaires tentent depuis des décennies d’empêcher les populations de ces pays en voie de développement de déféquer dans les champs, les forêts et autres espaces ouverts en raison de potentielles contaminations et maladies en leur fournissant toilettes, systèmes d’eau, pompes ou encore subventions. Mais en dépit de leurs efforts, de nombreux pauvres continuent cette pratique, en particulier en Asie et en Afrique, ont expliqué les experts réunis à Stockholm.
Dans ces pays, les habitants estiment que les toilettes, mises à leur disposition, sont l’objet le plus précieux qu’ils possèdent. Ils l’utilisent donc comme une espèce de sanctuaire religieux ou bien comme réserve, à l’abri de l’humidité, pour le bois à brûler, explique Kamal Kar, consultant en développement international.
Ces dernières années, les experts se sont aperçus que la méthode la plus efficace pour arrêter cette pratique était de faire en sorte que les gens se sentent honteux.
En Inde, où 48% de la population pratiquent toujours la défection dans la nature, soit 665 millions de personnes, "nous faisons des marches de la honte, explique Clarissa Brocklehurst, qui dirige le programme eau, environnement et sanitaire de l’Unicef. On prend un groupe de personnes et on marche aux alentours en leur disant : « regardez voici des crottes humaines ici et quelqu’un d’autre a dû chier là « et on fait en sorte que cette communauté retrace les endroits où tout le monde va et dise où il a déféqué. » Les cartes montrent alors que les défections sont réparties dans toute la communauté.
"On leur fait prendre conscience combien c’est répugnant de vivre dans un environnement complètement contaminé", ajoute-t-elle. Le sentiment de honte fait que les membres de la communauté veulent reprendre le contrôle de leurs vies et installer des toilettes.
En Europe, manque d’hygiène et corruption
Au sein même de l’Union européenne, vingt millions de personnes n’ont pas accès à des installations sanitaires décentes. Les pays de l’ancien bloc de l’Est, nouvellement membres de l’Union Européenne, sont les premiers concernés, mais des cas isolés existent également en Europe occidentale, en France, en Irlande ou encore dans les pays méditerranéens.
En Bulgarie, 42% de la population habite dans des zones rurales où seulement 2% des foyers sont reliés au tout-à-l’égout. En Roumanie, ce sont 10 millions de personnes qui vivent sans canalisations. Dans les campagnes, seuls 15% des habitants ont l’eau courante.
"Dans beaucoup d’écoles de campagne, les enfants refusent d’aller aux toilettes tellement elles sont sales", souligne Diana Iskreva, de l’organisation bulgare Earth Forever. Dans ces zones rurales, les toilettes se résument souvent à un trou creusé dans le sol qui n’est jamais nettoyé.
Les conséquences sur la santé sont énormes, les excréments accumulés finissant par infiltrer la terre et polluer l’eau des puits et des cours d’eau. Cette eau est ensuite utilisée pour la consommation courante.
Cela provoque des maladies comme l’hépatite A ou la maladie du bébé bleu, due à un taux élevé de nitrates dans l’eau. Le taux de nitrates autorisé est de 50 mg/litre d’eau. Dans certaines zones de Roumanie, ce taux atteint 500 mg/litre.
Le problème n’est pas un manque d’argent. Pour les cinq prochaines années, l’Union Européenne va allouer 336 milliards d’euros aux états membres les plus nécessiteux dont 18 milliards destinés à l’amélioration des conditions sanitaires. Selon Sascha Gabizon, présidente de l’ONG Femmes en Europe pour un futur commun, "moins de 480 millions seraient nécessaires pour une solution immédiate".
"La corruption omniprésente au sein de la classe politique bulgare bloque l’argent qui devrait aller aux gens pauvres des campagnes", a aussi précisé Diane Iskreva. Installer le tout-à-l’égout dans les campagnes ne semble donc pas être une priorité et les organisations se battent sur place pour trouver des solutions.