Alors que le COP28 se déroule depuis une semaine avec comme priorité la sortie des énergies fossiles, les Amis de la Terre France alertent, dans un rapport sur la dépendance de notre système agricole et alimentaire à ces énergies fossiles. Inflation des prix des denrées alimentaires, dépendance au gaz ou pétrole et aux pays autoritaires producteurs de ces énergies, impacts sur le climat, l’environnement, la santé publique, gouffre financier pour l’État et les agriculteurs : l’addiction de notre agriculture aux engrais de synthèse n’est plus tenable. Alors que les engrais azotés sont identifiés comme un problème pour le climat, la solution proposée par les industriels et acceptée par l’État – les engrais décarbonés – est une illusion. L’hydrogène, la captation et la séquestration du CO2 (CCS), … : les techniques pour décarboner les engrais sont incertaines, inefficaces, coûteuses et ne remettent pas en cause la dépendance aux ressources fossiles.
Les Amis de la Terre France publient aujourd’hui un rapport exclusif sur les liens entre notre système alimentaire et les énergies fossiles, intitulé « Énergies fossiles dans nos assiettes, la face cachée des engrais ». Le constat est alarmant. Dans leur quasi-totalité, les engrais azotés industriels sont encore aujourd’hui fabriqués à partir d’énergies fossiles, si bien que 30 % de la consommation mondiale d’énergie alimente notre système agricole et alimentaire [[Food and Agriculture Organisation, “‘Energy-smart’ agriculture needed to escape fossil fuel trap,” 29 novembre 2011.]]. Résultat, les engrais sont devenus une bombe climatique : en France, ils représentent près d’¼ des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole [[Émissions liées aux engrais en 2018 en France, au stade de la production et du transport 7,5 Mteq CO2 et au champ 13,5 Mteq CO2 (source : S. Menegat, A. Ledo, R. Tirado, “Greenhouse gas emissions from global production and use of nitrogen synthetic fertilisers in agriculture”, in Scientific Reports, 12:14490, 25/8/2022. Emissions au champ liées à l’agriculture dans son ensemble : 83,7 Mteq CO2 en 2018 (source : Citepa, rapport Secten édition 2020) soit 22,6 % du total pour les engrais.]]. De plus, cette dépendance aux engrais chimiques coûte très cher à la société car notre capacité à produire de la nourriture et à nous alimenter dépend des aléas du marché des énergies fossiles ; marché qui a explosé à la hausse depuis l‘agression russe en Ukraine. Ainsi, le prix des engrais était en 2022 à son niveau le plus haut depuis 1997. La hausse des prix des engrais azotés est donc un des facteurs clé dans l’inflation des produits alimentaires. Ces fluctuations de prix pèsent très fort sur les consommateurs, les agriculteurs et les finances publiques, alors même que du côté des industriels des engrais, elles permettent d’engranger des superprofits. Les coûts des engrais supportés par les pays importateurs, et en partie par la puissance publique à travers les soutiens mis en place suite à l’inflation des prix, ont été multipliés par trois en deux ans [[Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) & GRAIN, “The fertilizer trap”, 8/11/2022.]]. Dans le même temps, les plus grands producteurs d’engrais ont réalisé des bénéfices record en 2021 et 2022 [[Ibid]] Yara a augmenté de manière spectaculaire son revenu net : de 384 millions de dollars en 2021, il est passé à 2,78 milliards en 2022 [[Chiffres issus des rapports annuels de Yara : bénéfices en milliards de GUSD]].Sarah Champagne, chargée de campagne Agriculture aux Amis de la Terre, alerte : « Face à ce système à bout de souffle qui nous appauvrit collectivement et qui nous place dans une situation d’insécurité alimentaire, les multinationales tentent de verrouiller le système car il leur assure des profits croissants. Pour cela, elles ont forgé le mythe des engrais décarbonés, censés réduire l’impact climatique des engrais. Mais c’est une vaste supercherie. Captation et stockage de carbone, compensation, hydrogène : il n’y a que des fausses solutions derrière les engrais décarbonés. Il y a urgence à ne pas tomber dans ce piège.»Il est parfaitement possible de se défaire des engrais azotés tout en garantissant la sécurité alimentaire, ils sont loin d’être indispensables, car des alternatives naturelles et efficaces existent. A commencer par sortir de l’agriculture intensive et de l’élevage industriel pour retrouver le cycle naturel de l’azote, réformer la Politique Agricole Commune (PAC) et remplacer les engrais azotés de synthèse par les légumineuses. Nous sommes ici face à un enjeu vital de justice climatique et alimentaire. Un choix est à faire entre maintenir notre dépendance aux engrais via un mode de production qui laisse la sécurité alimentaire à la merci des aléas mondiaux et sous le contrôle de quelques multinationales, ou développer des modes de production plus sobres, résistants et autonomes. energies-fossiles-dans-nos-assiettes-vdef4-web.pdf