Grenelle de l’environnement, Protocole de Kyoto, Prix Nobel de la paix à Al Gore et au groupe intergouvernemental d’expert pour le climat (Giec), Pacte mondial, norme ISO 26 000, Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), Principles for Responsible Investment (PRI), Carbon Disclosure Project (CDP),.. : le thème du développement durable a le vent en poupe, et les sociétés de gestion entendent bien surfer sur cette vague verte. L’investissement socialement responsable (ISR) ne relève pas de la philanthropie, mais vise précisément à trouver un équilibre entre optimisation des profits d’une part et enjeux éthiques, environnementaux, sociétaux et de gouvernance d’entreprise d’autre part. L’approche ISR consiste à intégrer aux critères financiers usuels de l’analyse fondamentale un filtre développement durable.
C’est l’application du principe de développement durable à la gestion. L’incorporation de critères extra-financiers, qui sont souvent plus qualitatifs, permet ainsi une meilleure appréhension du couple rendement/risque, source de création de valeur à moyen/long terme. Plusieurs approches ISR cohabitent:Approche négative ou exclusive
Fonds éthiques. C’est la démarche historique : on exclut de l’univers d’investissement les secteurs et les sociétés qui ne sont pas conformes aux normes éthiques que l’on se donne. On parle de « sin stocks » ou valeurs du péché. Au départ, seuls des secteurs étaient visés, comme la pornographie, le tabac, l’armement, le jeu, l’ alcool,…. Aujourd’hui, analyses et champs d’étude se sont sophistiqués. Peuvent être exclues les sociétés qui ne respectent pas les traités internationaux ou celles qui réalisent des affaires dans des domaines ou des pays controversés. Les premiers fonds éthiques sont apparus aux Etats-Unis dans les années 1920 pour le compte de protestants. En France, le premier fonds de ce type a été créée en 1983 par la société de gestion Meeschaert. La Banque postale fut également un des pionniers de la gestion dite « éthique » en lançant un fonds en 1997 à destination de congrégations religieuses. Allianz Global Investors France gère actuellement le fonds d’exclusion Ethica pour la conférence des Evêques de France. En Europe, les Britanniques, les Suisses, mais aussi les Scandinaves restent attachés aux critères d’exclusion. « La référence à l’éthique ou aux valeurs morales ne fait pas peur en Suisse ou en Grande Bretagne, alors qu’en France, on a tendance à considérer que cela relève de la religion », confirme Emmanuel de La Ville, le directeur général de l’agence de notation indépendante Ethifinance.Approche positive ou sélective
Fonds « best in class ». Très attaché à la laïcité, la France a donc développé une gestion ISR un peu différente. Certes, les fonds d’exclusion existent aussi dans l’Hexagone. Mais le moteur de l’ISR en France reste une approche positive visant à sélectionner les meilleures entreprises dites « best in class » selon des filtres environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise au sein de chaque secteur. On parle de critères ESG. Ainsi en matière d’environnement (E) l’analyste ISR scrutera par exemple les émissions de gaz à effets de serre (CO2), la pollution ou encore le respect de la biodiversité. Sur le plan social (S), il pourra observer le turn over, les politiques menées contre travail des enfants et les discriminations, la protection sociale des salariés, les mesures en faveur des préventions des accidents ou de lutte contre la corruption. Pour la gouvernance d’entreprise (G), il se concentrera par exemple sur la qualité de la communication financière, la stabilité et diversité de l’actionnariat, les pouvoirs et contre-pouvoirs en place dans l’entreprise, l’existence d’administrateurs indépendants,… Une valeur n’ayant pas franchi le filtre éthique de l’approche exclusive peut être incluse dans un fonds « best in class » ce qui peut être source de confusion. « Un gérant privilégiant cette approche peut mettre en portefeuille une valeur comme Total pour saluer ses efforts en matière de développement durable. En revanche, il restera à l’écart de son concurrent ExxonMobil, réputé être indifférent aux questions environnementales », explique un spécialiste de l’ISR. Les critères ESG sont les piliers de l’approche « best in class », mais d’autres éléments peuvent être intégrés. L’agence de notation extra-financière Vigeo, ajoute ainsi l’engagement sociétal, le comportement vis-à-vis des clients et des fournisseurs et le respect des droits de la personne. Fonds « best efforts ». Certaines sociétés de gestion mettent aussi l’accent sur les acteurs dont la notation extra-financière ESG s’améliore constamment, ceux qui font les meilleurs efforts ou « best efforts ».Approche activiste
Fonds activistes. La gestion « activiste » consiste à faire pression sur les entreprises en faveur d’une responsabilité sociale et environnementale accrue par le dialogue direct et l’exercice des droits de votes. C’est une approche en vogue aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Suisse. La Fondation Ethos, qui regroupe les intérêts de 78 fonds suisses, n’hésite pas à proposer le vote de résolutions en assemblée générale et à batailler avec les conseils d’administrations si le dialogue préalable n’a pas permis d’obtenir les résultats espérés. La direction de la Banque UBS en a fait les frais récemment.Approche thématique
Fonds thématiques. Les années 2006 et 2007 ont vu les sociétés de gestion développées des gammes thématiques. « L’offre thématique se développe dans tous les pays européens. C’est la que se portent les souscriptions et les innovations en ce moment », confirme Benoît Magnier, co-fondateur d’Altedia Investment Consulting. L’approche thématique consiste à bâtir un fonds en privilégiant un thème précis : les questions climatiques, le respect des droits de l’homme, l’eau, les énergies renouvelables, traitement des déchets… Attention tous les fonds thématiques ne sont pas ISR et la confusion règne parfois. Il ne suffit pas d’être un « fonds vert » positionné sur les énergies renouvelables pour être ISR. Pour cela, il faut également satisfaire aux critères extra-financiers ISR. Novethic a ainsi étudié 22 fonds verts l’an passé sur le marché français, pour conclure que seuls 7 d’ entre eux présentaient une véritable approche ISR. Les autres relevaient plus simplement de la catégorie des fonds sectoriels.Approche solidaire et de partage
Fonds solidaires. Les fonds solidaires ont pour point commun de financer directement des projets socialement utiles, qui n’ont pas accès au financement bancaire classiques. Activités d’insertion, de créations d’emplois, microcrédit, aide au logement : les possibilités sont nombreuses. Pour qu’un fonds soit qualifié de « solidaire » il faut qu’au moins 5% à 10% de l’épargne collectée servent à financer des projets solidaires. Le Label Finansol a été créé en 1997 pour aider les investisseurs à sélectionner les fonds répondants à ces critères d’investissement .Un des fonds ISR solidaire pionnier est Insertion Emplois de Natixis Asset Management. « Grâce à nos investissement, nous avons créé 16 000 emplois depuis la création de notre fonds Insertion en 1994 » explique ainsi Patrick Savadoux. Fonds de partage. Avec les fonds de partages, les sociétés de gestion vont plus loin en reversant à leur frais une partie des commissions de gestion à des organisations non gouvernementales (ONG) ou des associations caritatives. C’est le cas de Federal Action Finance, du Crédit mutuel Arkéa, ou d’Actions Nord Sud Alcyone Finance. Pour ce dernier fonds, la gestion est focalisée sur une préoccupation particulière : la réduction de la pauvreté dans les pays du Sud. Aussi le choix des valeurs est-il réalisé en concertation avec l’ONG Care France, grand réseau humanitaire » souligne Stéphanie Giamporcaro, responsable de la recherche ISR à Novethic. En contrepartie, les souscripteurs de ces fonds bénéficient d’un crédit d’impôts. Pour bénéficier du label Finansol, ces fonds doivent reverser au moins 25% de leur performance. Les fonds solidaires et de partage, ne sont pas nécessairement ISR. Ils doivent en plus des critères Finansol passer le crible des critères extra-financiers ISR.Tendances actuelles
Un marché en constante progression. L’ISR ne procède ni d’une démarche humaniste, ni d’une stratégie purement marketing. La gestion ISR vise à créer de la valeur sur le moyen/long terme en adjoignant aux variables et ratios financiers d’analyses classiques un filtre extra-financier pour optimiser la construction d’un portefeuille. Malgré la crise actuelle, l’ISR est en constante progression. Selon EuroSIF, l’ISR pesait 2 665 milliards d’euro d’encours en Europe à fin 2007, contre 1 033 milliards fin 2005 et 336 milliards fin 2002. Un besoin de clarification. Il n’existe pas de définition unique de l’ISR. Plusieurs approches ISR coexistent. La frontière entre ces différentes approches n’est pas imperméable. Certains gérants mêlent approche exclusive et « best in class », d’autres thématique et activiste, …Hétérogène dans ses pratiques, la gestion ISR pose un problème de lisibilité et de transparence pour les investisseurs et un réel défi aux consultants et analystes qui souhaitent hiérarchiser ses produits. C’est pourquoi Novethic a lancé une réflexion en interne visant à encadrer le marché de l’ISR. S’il se concrétise, ce projet déboucherait l’an prochain sur un « label » basé sur des critères de construction de portefeuilles et de communication financière. « Depuis 7 ans, l’univers ISR est passé en France d’une trentaine de fonds à plus de 200 produits, détaille Anne Catherine Husson-Traore, la directrice générale de Novethic. Il est donc devenu important d’apporter un éclairage sur ses caractéristiques. Faute d’un référentiel adapté, d’une méthodologie et de repères clairs et de garanties quant à l’engagement réél des sociétés de gestion, l’ISR ne parviendra pas à s’imposer durablement ». Professionnalisation de la gestion ISR. Aux côtés des agences de notation extra-financières, bon nombres de sociétés de gestion développent leurs propres cellules d’analyse ISR en interne. Appréciant la complémentarité des filtres financiers et extra-financiers, certaines sociétés de gestion songent même à généraliser l’approche ISR à l’ensemble de leur gestion. « L’ISR apporte, en effet, une dimension complémentaire et une réelle valeur ajoutée à la gestion fondamentale. » confie Michel Lemonnier, responsable de la recherche ISR chez Groupama AM. La gestion ISR comme force de rappel pour les marchés financiers. Perte de confiance, court-termisme, absence de morale, débâcle boursière, certains voient même en ses temps de crise la gestion ISR comme une force de rappel nécessaire pour les marchés financiers.