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ÉTUDE ET DÉCRYPTAGE

Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ?

Par Pierre-Marie Aubert, Marie-Hélène Schwoob et Xavier Poux pour l'IDDRI

Fin 2018, l’Iddri a publié les résultats du scénario TYFA (Ten Years for Ecology) à 2050, qui montrent qu’il est possible, malgré une baisse de 35 % de la production agricole, de nourrir plus de 500 millions d’Européens, en satisfaisant aux recommandations de l’OMS en termes de régime alimentaire, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % par rapport à 2010 et en permettant de reconquérir la biodiversité et de conserver les ressources naturelles. Une variante de TYFA, TYFA-GES, a été développée, à partir d’hypothèses plus spécifiquement orientées vers la réduction des GES (pour certaines empruntées à des scénarios neutres en carbone), mais en s’appuyant toujours sur les fondamentaux de TYFA (abandon des pesticides, extension des infrastructures agroécologiques, notamment) : les réductions d’émissions y sont plus importantes que dans TYFA, de même que la baisse du cheptel bovin, et la production de bioénergie est significative.

Ce scénario multi-critères et multi-dimensionnel, exemple de prise en compte conjointe des enjeux de lutte contre le changement climatique, de conservation de la biodiversité et de santé humaine, montre une voie à explorer dans la définition de trajectoires permettant de construire un système agroalimentaire durable, au-delà de la performance sur l’un ou l’autre des enjeux. L’Étude et son résumé (le Décryptage) interrogent, à l’échelle européenne, la contribution potentielle d’un système alimentaire agroécologique extensif à l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il s’appuie sur une comparaison du scénario TYFA (Ten Years For Agroecology in Europe) avec la composante agricole de scénarios « neutres » publiés récemment réalisée par l’intermédiaire d’un tableau de bord multi-critères. L’objectif d’atténuation y est mis en perspective aux côtés des enjeux de santé humaine, de conservation des ressources naturelles et de la biodiversité, et d’adaptation au changement climatique. Et le cadre comparatif fournit une base pour une discussion plus générale sur les trajectoires de transformation vers un système alimentaire durable (y compris l’objectif de neutralité carbone).

Résultats de l’exercise de modélisation TYFA

Afin de comprendre les implications des scénarios TYFA et TYFA-GES en matière d’atténuation du changement climatique et de les comparer avec la composante agricole des scénarios neutres en carbone récemment publiés, un cadre comparatif a été élaboré. Il fournit une base pour une discussion plus générale sur les trajectoires de transformation vers un système alimentaire durable (y compris l’objectif de neutralité carbone).

Messages clés

  • Le scénario TYFA repose, dans une logique de land sharing, sur la généralisation des principes de l’agriculture biologique, l’extension des infrastructures agroécologiques et l’adoption de régimes alimentaires sains pour nourrir 530 millions d’Européens à l’horizon 2050 (malgré une baisse de la production de 35 %). Avec une réduction des émissions de GES de 40 % (35 % pour les émissions directes hors CO2), un potentiel de séquestration de carbone dans les sols de 159 MtCO2eql/an jusqu’à 2035 et une production de biomasse énergie réduite à zéro, il s’agit d’un scénario peu compatible avec la neutralité carbone, mais qui offre de nombreux co-bénéfices : biodiversité, ressources naturelles, adaptation, santé.
  • Une variante de TYFA, dite TYFA-GES (gaz à effet de serre), améliore ces performances en vue de la neutralité carbone, sans remettre en cause les principes de base du scénario : les réductions d’émissions atteignent -47 %, le potentiel de séquestration est similaire, et la production de bioénergie s’élève à 189 TWh/an. TYFA-GES repose sur une réduction plus forte du cheptel bovin (-34 % par rapport à 2010, contre -15 % pour TYFA) et le développement contrôlé de la méthanisation à partir d’herbes de prairies et de déjections animales.
  • En regard, la composante agricole des scénarios neutres repose, dans une logique de land sparing, sur une augmentation des rendements agricoles, libérant ainsi des terres qui sont soit reboisées pour accroître le puits biogénique, soit utilisées pour produire de la biomasse énergie. Les hypothèses de rendements retenues sont cependant très élevées (jusqu’à +30 %) compte tenu de leur stagnation récente en Europe (notamment en céréales) et des impacts potentiellement forts sur la biodiversité et la santé des sols, qui pourraient remettre en cause la capacité productive même des agroécosystèmes et conduire ainsi à une baisse des rendements là où leur hausse est attendue.
  • Cette étude propose un cadre pour mettre en discussion des scénarios conçus dans des optiques distinctes ; in fine, les débats politiques sur les trajectoires de décarbonation du secteur agricole doivent mieux intégrer les enjeux de biodiversité et de santé des sols (au-delà d’une seule métrique carbone) et ainsi reconsidérer les stratégies fondées sur le land sharing et l’agroécologie comme des options crédibles.
Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ?Télécharger l’étude de 52 pages (en Anglais)

Décryptage

Ce Décryptage interroge, à l’échelle européenne, la contribution potentielle d’un système alimentaire agroécologique extensif à l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il s’appuie sur une comparaison du scénario TYFA (Ten Years For Agroecology in Europe) avec la composante agricole de scénarios « neutres » publiés récemment réalisée par l’intermédiaire d’un tableau de bord multicritères. L’objectif d’atténuation y est mis en perspective aux côtés des enjeux de santé humaine, de conservation des ressources naturelles et de la biodiversité, et d’adaptation au changement climatique.

Messages clés

  • Le scénario TYFA repose, dans une logique de land sharing, sur la généralisation des principes de l’agriculture biologique, l’extension des infrastructures agroécologiques et l’adoption de régimes alimentaires sains pour nourrir 530 millions d’Européens à l’horizon 2050 (malgré une baisse de la production de 35 %). Avec une réduction des émissions de GES de 40 % (35 % pour les émissions directes hors CO2), un potentiel de séquestration de carbone dans les sols de 159 MtCO2eql/an jusqu’à 2035 et une production de biomasse énergie réduite à zéro, il s’agit d’un scénario peu compatible avec la neutralité carbone, mais qui offre de nombreux co-bénéfices : biodiversité, ressources naturelles, adaptation, santé.
  • Une variante de TYFA, dite TYFA-GES (gaz à effet de serre), améliore ces performances en vue de la neutralité carbone, sans remettre en cause les principes de base du scénario : les réductions d’émissions atteignent -47 %, le potentiel de séquestration est similaire, et la production de bioénergie s’élève à 189 TWh/an. TYFA-GES repose sur une réduction plus forte du cheptel bovin (-34 % par rapport à 2010, contre -15 % pour TYFA) et le développement contrôlé de la méthanisation à partir d’herbes de prairies et de déjections animales.
  • En regard, la composante agricole des scénarios neutres repose, dans une logique de land sparing, sur une augmentation des rendements agricoles, libérant ainsi des terres qui sont soit reboisées pour accroître le puits biogénique, soit utilisées pour produire de la biomasse énergie. Les hypothèses de rendements retenues sont cependant très élevées (jusqu’à +30 %) compte tenu de leur stagnation récente en Europe (notamment en céréales) et des impacts potentiellement forts sur la biodiversité et la santé des sols, qui pourraient remettre en cause la capacité productive même des agroécosystèmes et conduire ainsi à une baisse des rendements là où leur hausse est attendue.
  • Ce Décryptage propose un cadre pour mettre en discussion des scénarios conçus dans des optiques distinctes ; in fine, les débats politiques sur les trajectoires de décarbonation du secteur agricole doivent mieux intégrer les enjeux de biodiversité et de santé des sols (au-delà d’une seule métrique carbone) et ainsi reconsidérer les stratégies fondées sur le land sharing et l’agroécologie comme des options crédibles.
Décryptage de l’étude « Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ? «  Télécharger le décryptage (en Français) de l’étude « Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ?« 

Les Auteurs

Pierre-Marie Aubert – Chercheur Iddri, Coordinateur de l’initiative Agriculture européenne
Pierre-Marie Aubert
Pierre-Marie Aubert
Pierre-Marie Aubert coordonne l’initiative Politiques publiques pour l’agriculture européenne. Ses activités portent sur les interactions entre développement agricole, sécurité alimentaire et conservation de la biodiversité à trois échelles différentes : nationale, régionale et mondiale. De formation interdisciplinaire, à l’interface entre les sciences biotechniques (agronomie, foresterie) et la sociologie politique, Pierre-Marie Aubert interroge la durabilité des trajectoires de développement agricole au Nord comme au Sud en combinant quatre perspectives complémentaires : la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques ; la gouvernance des filières agricoles et agro-alimentaires mondiales ; la dynamique des systèmes agraires ; et les outils de la prospective. En parallèle de ses activités à l’IDDRI, Pierre-Marie enseigne également à Sciences Po Paris, à AgroParisTech et à l’Université de Paris Sud. Il est également membre du Conseil d’Orientation de la Société Française d’Économie Rurale. – Marie-Hélène Schwoob – Chercheure, Politiques agricoles et alimentaires Marie-He%CC%81le%CC%80ne%20Schwoob%20iddri.png?itok=2QndmEkW Ingénieure agronome et docteure en sciences politiques, Marie-Hélène Schwoob conduit des recherches sur les thématiques de durabilité et de transition des systèmes agroalimentaires. Elle coordonne notamment le projet Trajectoires de Transformation Agricoles (ATPi), qui vise à appuyer les pays dans la formulation et la mise en oeuvre de trajectoires nationales de transformation vers des systèmes plus durables. Conduite en partenariat avec des centres de recherche tels que Wageningen University et sous l’égide de l’UN-SDSN, l’initiative regroupe aujourd’hui sept pays. De formation pluridisciplinaire (AgroParisTech-Sciences Po Paris), Marie-Hélène Schwoob a auparavant assuré la mise en oeuvre du programme Énergie-Environnement du think tank Asia Centre, avant de rejoindre l’Iddri en 2011 pour apporter sa contribution aux recherches liées aux thématiques de l’agriculture et de l’alimentation, en parallèle d’un doctorat au CERI sur la modernisation agricole chinoise (thèse soutenue en 2015). En parallèle de ses activités de recherche, Marie-Hélène Schwoob enseigne également à Sciences Po Paris, à l’Université Paris Dauphine et à l’Université Paris Sud. Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction du Demeter. – Xavier Poux – Chercheur associé
Xavier Poux
Xavier Poux
Xavier Poux a une formation agronomique et a soutenu une thèse en économie rurale sur l’analyse d’un système agraire régional (celui du Plateau de Langres, en amont de la Seine). Il travaille depuis 1992 dans le bureau d’études et de recherches AScA (Applications des Sciences de l’Action), créé par Laurent Mermet. Son expérience professionnelle l’a amené à articuler l’analyse de systèmes agricoles — sous les aspects organisationnels, économiques et environnementaux — et l’analyse des décisions publiques en matière de développement agricole et de gestion de l’environnement. Son parcours l’a par ailleurs conduit à articuler différentes échelles d’analyse et d’intervention, depuis le niveau local du petit territoire à l’organisation de l’agriculture au niveau européen. Il intervient dans les registres opérationnels d’un côté, et méthodologiques et théoriques de l’autre, en visant un enrichissement réciproque. Il a acquis une expérience reconnue dans le champ de la prospective, plus particulièrement appliquée à ses objets d’étude : l’agriculture, les systèmes écologiques anthropisés et les politiques agricoles et environnementales. Il défend l’importance de prendre en compte les enjeux spatiaux et d’évolution des paysages dans les analyses environnementales et dans les politiques publiques. Il s’est impliqué pendant près de 10 ans dans les travaux de l’European Forum on Nature Conservation and Pastoralism, dont il a été membre du conseil d’administration de 2005 à 2016. Il est par ailleurs membre du conseil scientifique du programme de recherche Agriculture, Biodiversité et Action publique (DIVA) du Ministère de l’Environnement (depuis 1999). Il enseigne régulièrement dans les écoles de l’enseignement supérieur agricole (AgroParisTech, Agrosup Dijon, Hepia (Suisse). Il est un observateur impliqué de l’évolution des politiques européennes.

 

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