La thématique Développement Durable a acquis une visibilité nouvelle dans les stratégies de communication depuis 2008. Globalement, on passe d’une communication qui était plus dans « l’emphase » (grandes prises de parole idéologiques) à une certaine « maturité » qui se traduit notamment par l’utilisation croissante de l’humour. Le fait que l’on retrouve dans ce registre aussi bien les communications des pouvoirs publics, des associations que celles des marques, entraîne une possible confusion des genres…
C’est dans ce cadre que l’ADEME a lancé cette étude, en partenariat avec Adwiser, afin d’éclairer le débat sur l’efficacité, l’acceptabilité et aussi des limites du recours à l’humour dans les stratégies de communication sur le développement durable. Cette étude réalisée par Kantar Media, a bénéficié de l’aide de l’association Act Responsible dans la sélection du corpus publicitaire. En matière de méthodologie, le choix d’une approche qualitative croisant différents niveaux d’analyse (sémiologie sur un large corpus publicitaire / 4 groupes qualitatifs de 8 personnes / interviews d’experts) a permis de mieux comprendre les mécanismes humoristiques, et de formuler des éléments de recommandations tant aux annonceurs qu’à leurs agences. – Télécharger la synthèse de l’étude « L’humour au service du développement durable » (PDF – 2M – 08/09/2011) en cliquant ici.Avis d’experts
INTERVIEW DE BRUNO GENTY, Président de France Nature Environnement & VINCENT LE SCORNET Directeur fédéral en charge de la communication de France Nature Environnement Comment se définit aujourd’hui le Développement Durable ? En quoi la communication et la publicité ont-elles une responsabilité sur les enjeux du développement durable ? FNE : Le problème avec le mot « développement durable », c’est qu’il devient un mot magique et que tout le monde l’arrange à sa sauce. Il faut garder en mémoire la manière dont ce concept a été créé, d’abord par rapport aux impératifs environnementaux et ensuite l’injection de mesures acceptables pour être compréhensibles et acceptées par les pays du Sud. Il faut garder cette définition en tête car aujourd’hui certaines entreprises prennent l’aspect « durable » dans le sens de « on continue comme avant », chacun prend le mot selon l’avantage qu’il en retire. Dès le départ, dans les communications, il y a un risque de dévier vers le greenwashing, il faut se méfier des mots magiques car souvent cela cache un vide sidéral en matière d’action environnementale. C’est un beau mot. On en vient ensuite à dire que le développement durable c’est avant tout l’économie mais avec un peu d’écologie ou de social. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit avant tout de la conciliation des intérêts économiques et sociaux à l’échelle mondiale avec les impératifs environnementaux. Le rôle de la communication vis-à-vis des enjeux environnementaux est fondamental. Les impacts environnementaux sont dus en grande partie à des pratiques humaines et il faut le faire comprendre aux consommateurs. Il faut sensibiliser le public à ce qu’est le développement durable et comment le mettre en pratique, sur les impacts de chacun et comprendre que tout le monde a une responsabilité et qu’on peut agir individuellement, dans les entreprises comme dans son foyer. Il s’agit surtout de faire de la pédagogie auprès des producteurs et des consommateurs, ce qui nous paraît évident à nous spécialistes, ne l’est pas du tout pour 90% de nos concitoyens, il y a donc un gros boulot de la part de la communication pour obtenir un changement de comportement. La place de la publicité dans le processus est quelque chose sur lequel je m’interroge régulièrement, est ce qu’on parle de publicité ou de communication ? Pour moi, la publicité sert à vendre des biens marchands. Quand nous avons fait notre campagne de communication, l’objectif était de mobiliser les citoyens et de créer le débat sur les excès de l’agriculture industrielle sur la place publique. Peut-on parler de publicité dans les deux cas ? Parle-t-on de publicité quand l’Ademe fait une campagne de communication pour générer moins de déchets ? Est-ce plutôt de la communication institutionnelle ? C’est assez important de se poser la question car que l’on vende des savons ou que l’on fasse de la communication pour mobiliser les gens, on va être soumis aux mêmes règles, est-ce que c’est quelque chose d’équitable et de juste ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il y a des enjeux différents selon le type d’acteurs. L’évolution des nouveaux médias et notamment d’Internet a-t-elle fait évoluer les choses ? FNE : Nous l’avons vu sur notre campagne concernant l’agriculture industrielle, Internet a été un vecteur de propagation de nos affiches et notamment celles qui n’ont pas été apposées par la régie publicitaire de la RATP, ce sont les plus connues certes grâce aux médias traditionnels mais surtout à mon avis grâce à Internet. Quelles campagnes vous ont marqué ? Avez-vous remarqué une évolution dans les codes de communication sur le Développement Durable ces dernières années ? FNE : C’est très difficile de répondre à cette question, je suis interrogé fréquemment par les journalistes qui me demandent si je pense qu’il y a de plus en plus de greenwashing. Le problème est qu’il faudrait faire une étude qualitative et quantitative pour le savoir, car auparavant tout le monde se fichait du greenwashing, les gens ne savaient pas ce que ça voulait dire. Aujourd’hui, on a mis la lumière sur cela et forcément on trouve qu’il y en a beaucoup. Ça ne veut pas forcément dire qu’il y en a de plus en plus. Je vais vous donner un autre exemple, des études d’opinion sont régulièrement menées par la Sofres pour demander aux Français s’ils pensent qu’il y a trop d’emballage. Les Français trouvent qu’il y en a de plus en plus alors que les faits prouvent qu’on va vers une stabilisation. Cela prouve que lorsque l’on attire l’attention sur un sujet, on pointe l’attention sur quelque chose de précis, la perception est changée. Pour répondre à votre question, je trouve qu’il y a beaucoup de campagnes qui utilisent abusivement l’argument environnemental mais je suis incapable de dire s’il y en a de plus en plus. Le renforcement de la réglementation n’a-t-il pas permis de limiter l’utilisation abusive de l’argument écologique en publicité ? FNE : Il y a quand même des limites par rapport à cela. La création du jury de déontologie publicitaire et du conseil paritaire de la publicité est une bonne idée mais elles ne vont pas assez loin. Aller au bout du projet, ce serait de mobiliser des moyens pour que les agences de communication soient formées un minimum pour comprendre la recommandation. Ce n’est pas un texte qui est très clair, c’est un langage de spécialistes, je ne suis pas sûr qu’un créatif dans une agence de publicité comprenne très bien ce qui lui est recommandé. (…) Il faudrait (…) des formations dans les écoles, car à partir du moment où [ les communicants] vont commencer à travailler, elles ne vont pas forcément remettre en cause leurs connaissances, et même dans les autres secteurs. Le monde bouge, les contraintes changent et il faudrait une remise à niveau pour gommer les aprioris. Dans certains secteurs de production, c’est flagrant. (…). Il faudrait davantage de formation pour éviter d’utiliser le mot magique développement durable à tort et à travers. Que pensez-vous de l’utilisation de l’humour pour parler du développement durable ? FNE : ( …) On est dans une société où il y a un rapport de force, si [on ] décide de faire passer les écolos pour des babas cools attardés, vous comprenez bien que la réaction des associations et des ONG va être de taper dans le tas. Elles ne vont pas se laisser ridiculiser éternellement. On voit bien que ça peut entraîner des surenchères qui peuvent être dommageables. C’est assez réducteur pour les associations. La question de l’humour a été un point essentiel au sein du conseil paritaire de la publicité. Je refuse que l’on remette en cause la recommandation qui a été établie sous prétexte qu’il faut avoir plus de souplesse dans l’utilisation de l’humour. Ce n’est pas acceptable. C’est un sujet difficile parce que l’humour est très personnel, ce qui fait rire l’un ne fait pas rire l’autre. Dans le cadre de notre campagne sur les excès de l’agriculture industrielle, nous avons plutôt cherché à attirer l’attention pour faire émerger le message. Nous avons titré « Bonnes Vacances » plutôt que « Non à la concentration d’élevages industriels dans les sous-bassins versants exposés aux excédents azotés », ce serait de l’argent gâché de faire cette campagne, personne ne comprendrait rien. C’est assez amusant de voir que ça suscite des réactions (…) alors que dans le même temps, je vois des publicités que je trouve extrêmement choquante quant à l’impact sur l’environnement et personne ne dit rien. Donc, là aussi, c’est dans le rapport de force. Pensez vous que l’humour peut être un levier de communication pérenne sur le développement durable ? FNE : Il est sûr que le rapport de force est ancré. La publicité est la partie visible de l’iceberg, malheureusement ça fige les positions et ça amène à produire des règles un peu plus rigides et ça laisse moins de place à l’humour. On peut le regretter. Ce que je disais au Conseil paritaire de la publicité, c’est pourquoi vouloir à tout prix utiliser l’humour, vous n’êtes pas clown ou humoriste, votre objectif est de vendre des produits. C’est une question intéressante. Pour vous rendre sympathique ? Pour dissimuler une intention première ? Les agences de pub n’ont pas une vocation d’amuseur du public. Ce qu’on n’a pas encore dit, c’est que si on a des règles claires, cela va stimuler la créativité, plus les contraintes sont fortes plus la créativité est importante. C’est à eux de s’adapter à cela.