Dans la famille Rue89, je demande le papier. Le numéro 3 de Rue89 Le Mensuel est sorti ce mercredi. Le dossier principal est consacré à la croissance, ou plutôt à une question taboue : « Et si la croissance ne revenait plus ? » Alors que tous les partis fondent leurs hypothèses politiques sur une croissance plus forte qu’aujourd’hui, on peut légitimement se poser la question, et regarder du côté des décroissants s’ils incarnent une alternative crédible. De nombreux livres édités ces derniers jours vont dans le même sens. Alors, peut-on vraiment dire adieu à la croissance ? Petit tour d’horizon pour entamer un nécessaire débat de société.
Tim Jackson : « La prospérité réinventée »
Je vous invite notamment à lire dans ce numéro de Rue89 l’entretien avec Tim Jackson qui affirme que nous sommes « au bord du gouffre écologique » [[ Vous pouvez également lire cet entretien directement sur le site de Rue89 en cliquant ici.]]. L’économiste anglais Tim Jackson est un peu devenu le « gourou » des théoriciens de la fin de la croissance. Face à l’urgence écologique, il remet en cause l’idée que la croissance verte pourrait suffire. Professeur en développement durable au Centre for Environmental Strategy (CES) de l’université du Surrey, Tim Jackson a rendu en 2009 un rapport explosif au gouvernement britannique. Le livre qui en est issu, « Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable » (le livre est disponible sur CDURABLE.info en cliquant ici), bouleverse la macro-économie traditionnelle. Traduit en français en mai dernier aux éditions de Boeck, il connaît un grand retentissement sur le net, mais assez peu dans les médias traditionnels. Tim Jackson part d’un constat presque enfantin : « une économie en croissance constante répartie sur une planète finie ne marche pas », et propose une prospérité où seraient décuplés les investissements durables et retrouvé l’épanouissement personnel. En résumé, les pistes de Tim Jackson sont :- La réduction de la consommation (ce qui suppose un changement dans les valeurs, les modes de vie, la structure sociale pour « se libérer du consumérisme »).
- L’abandon de la course pour la productivité du travail par le développement de services à la personne et de l’économie solidaire.
- des investissements massifs dans l’énergie propre, les économies d’énergie (ce qui ne pourra être financé que si l’on accepte de réduire sa consommation).
- Le partage du temps de travail.
- Et pourquoi pas un revenu d’existence, rétribuant l’apport de chaque habitant à la société.
Paul Ariès : « Les décroissants ne sont pas des talibans verts »
Longtemps spécialiste des sectes contre lesquelles il s’est fortement engagé, puis parti en guerre contre la malbouffe comme symbole de la mondialisation, le politologue et écrivain Paul Ariès est aujourd’hui la figure la plus en vue du courant, très divers, de la décroissance. Ultra-minoritaire dans un pays où la quasi totalité des partis politiques fondent leurs hypothèses sur un retour de la croissance, ce courant a longtemps été associé à l’idée d’une régression, d’un retour à la bougie et au puits, avant de commencer à entrer dans le champs du débat politique. Paul Ariès reconnaît que la décroissance a longtemps été négative avant de commencer à devenir une force de proposition. Dans un entretien, réalisé en complément du dossier du numéro 3 de Rue89 Le Mensuel, « l’objecteur de croissance », comme il se définit, évoque l’hypothèse, non encore tranchée, d’une candidature à la présidentielle de 2012 pour avancer ses idées. Pour lire cet entretien, cliquez ici.Jean Gadrey : « Adieu la croissance »
Jean Gadrey, collaborateur d’Alternatives Économiques, professeur émérite à l’université de Lille-I, également membre du conseil scientifique de l’organisation altermondialiste Attac formule dans « Adieu la croissance » une remise en cause du culte de la croissance, concept, selon lui, attaché à un monde en voie de dépérissement. Ce que dit le livre : La croissance : un remède à tous les maux ! Telle est la doxa depuis des décennies. La solution pour réduire le chômage ? La croissance ! Régler le problème des retraites ? La croissance ! Idem pour la dette publique, les inégalités ou la faim dans le monde. Et la crise écologique ? Eh bien… la croissance – mais « verte » ! Ce livre défend une thèse opposée : la croissance n’est pas la solution, c’est un problème. Elle est aujourd’hui devenue un facteur de crise, une menace pour la planète et un obstacle au progrès. L’homme qui affirme cela n’est pas un aimable farfelu, mais un économiste des plus sérieux. Il ne prône pas l’austérité punitive mais une société qui privilégie le « mieux être » sur le « plus avoir ». Et souligne que l’équation croissance = emploi est désormais caduque, démontrant, a contrario, qu’une baisse de productivité peut résorber le chômage par la création d’emplois de la « durabilité ». Et puisque les mots sont importants, soulignons que Jean Gadrey n’emploie pas le terme de « décroissance » pour décrire son projet d’avenir, préférant la formule d’« a-croissance » ou de « post-croissance », comme on parle d’athéisme ou de post-capitalisme. « Nous avons encore le choix d’une société civilisée et heureuse, mais le temps presse », avertit-il. – Références : Adieu la croissance de Jean Gadrey – Co-édition Alternatives Economiques/Les petits matins – date de parution : 7 octobre 2010 – 192 pages – Prix public : 15 € – Achetez l’ouvrage Adieu à la croissance chez notre partenaire Amazon.fr pour 14,25 € en cliquant iciGeneviève Azam : « Le temps du monde fini : vers un postcapitalisme civilisé »
Geneviève Azam est économiste à l’Université Toulouse II. Co-présidente du conseil scientifique d’Attac, elle collabore notamment à Politis. Vous pouvez d’ailleurs lire dans le numéro 1119 de Politis en date du 23 septembre 2010 un long entretien avec l’auteure. Pour elle, « l’effondrement du modèle occidental sous l’effet de dérèglements multiples requiert une créativité sociale et politique aussi inédite que les problèmes à affronter ». Ce que dit le livre : « Le temps du monde fini commence » écrivait Paul Valéry en 1931. Pourquoi cet appel n’a-t-il pas été entendu ? Comment faire de la conscience de cette finitude un commencement ? Près d’un siècle s’est écoulé et la globalisation économique a accéléré la clôture du monde et celle de l’imagination. Les vainqueurs laissent une Terre épuisée et un monde commun miné par les inégalités, le déracinement et la violence. Ce monde-là, assigné à la rentabilité immédiate, s’effondre. Les crises mettent à nu la promesse empoisonnée de réaliser la liberté et la justice par le « libre » échange, la croissance et la consommation, elles dévoilent l’illusion scientiste qui repousse à l’infini les limites de la Terre et l’espoir fou de s’affranchir de la matérialité de l’existence. Elles heurtent aussi les forces « progressistes ». S’inscrire dans le temps du monde fini, c’est s’échapper de l’enclos et écouter les voix, souvent celles des vaincus, qui, au Nord et au Sud, expriment plus que leur défaite ; elles disent que la Terre et ses éléments sont un patrimoine commun vital et inaliénable ; elles opposent le « bien vivre » au « toujours plus », les mondes vécus aux abstractions expertes ; elles luttent pour conserver les biens communs qui les protègent et les enracinent, réinventent la démocratie et l’aspiration à l’universel. Sous les décombres souffle un autre imaginaire, fait de coopération au lieu de concurrence, d’attachement à la Terre au lieu d’arrachement, d’une propriété-usage au lieu de la propriété-appropriation, d’une liberté retrouvée face à la « raison » économique et à l’asservissement de sujets renvoyés à eux-mêmes. – Références : Le temps du monde fini de Geneviève Azam – Editeur : Les Liens qui Libèrent – Date de parution : août 2010 – 224 pages – Prix public : 18 € – Achetez l’ouvrage Le temps du monde fini chez notre partenaire Amazon.fr en cliquant iciDaniel Tanuro : « L’impossible capitalisme vert »
Daniel Tanuro est ingénieur agronome et environnementaliste. Il collabore au Monde diplomatique et a fondé l’ONG belge « Climat et justice sociale ». Ce que dit le livre : D’un côté, trois milliards de gens vivent dans des conditions indignes de l’humanité. Enseignement, santé, énergie, eau, alimentation, mobilité, logement : individuellement leurs besoins sont modestes mais, au total, ils sont énormes. Les satisfaire n’est possible qu’en augmentant la production matérielle. De l’autre côté, deux cents ans de productivisme ont mené le système climatique au bord de l’infarctus. Éviter que les changements climatiques s’emballent et frappent des centaines de millions d’êtres humains impose de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre. Donc la consommation des énergies fossiles nécessaires aujourd’hui à la transformation des ressources prélevées dans l’environnement. Donc la production matérielle. Comment stabiliser le climat tout en satisfaisant le droit légitime au développement de celles et ceux qui n’ont rien, ou si peu… et qui sont en même temps les principales victimes du réchauffement ? C’est le casse-tête du siècle. Dans ce livre, Daniel Tanuro propose de réconcilier l’écologie et le projet socialiste, parce que le capitalisme ne saura rien résoudre. Contre les sceptiques, il montre le fonctionnement exemplaire des scientifiques au sein du GIEC, mais aussi comment les gouvernements sous-estiment en permanence ses recommandations. Il montre aussi que le marché du carbone a pour principal résultat d’enrichir et de renforcer les grands pollueurs, ceux qui ont intérêt à brûler des combustibles fossiles le plus longtemps possible. Si l’on n’est pas capable d’articuler les luttes économiques et le combat pour la protection de l’environnement, le capitalisme causera des catastrophes sociales et environnementales de grande ampleur. Quelles erreurs ceux qui se réclament du socialisme ont-ils commises pour que cette articulation semble aujourd’hui si difficile ? – Références : L’impossible capitalisme vert de Daniel Tanuro – Éditeur : La Découverte – Collection : Les Empêcheurs de penser en rond – Date de publication : août 2010 – 308 pages – ISBN : 9782359250251 – Prix public : 16 € – Achetez l’ouvrage L’impossible capitalisme vert pour 15,20 € chez notre partenaire Amazon.fr en cliquant iciNotre sélection de la semaine
De nombreux autres livres vont paraître ces prochains jours, on vous en parle dès la semaine prochaine sur CDURABLE.info. En attendant, je vous conseille de lire aussi « Des abeilles et des hommes : passerelles pour un monde libre et durable » ou l’intelligence collective au secours de la crise par Thanh Nghiem. « Ce livre, résume Nicolas Hulot, met en lumière une multitude de passerelles pour édifier une société plus durable. Contre l’impuissance et la résignation, il explore des solutions concrètes, portées par des « passeurs » qui s’activent sur le terrain. Thanh Nghiem prône la nécessaire « pollinisation des idées » favorisée par le web, des territoires intelligents et des « communautés apprenantes » pour développer une intelligence collective au service d’une société libre et durable ». Pour découvrir ce livre cliquez ici. Enfin, ne ratez pas Le Casse du siècle de Michael Lewis : le livre sur la crise qui enflamme les États-Unis. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Et si la croissance ne revenait plus ? Enquêtes sur un tabou
J’avais écris début 2010 un court essai au titre presque identique: « et si la croissance ne revenait pas? ».
Les personnes intéressées peuvent lire un résumé de cet article sur le blog de Paul Jorion http://www.pauljorion.com/blog/?p=8447 ou accéder directement au texte intégral (PDF) en cliquant sur le lien suivant http://www.pauljorion.com/blog/wp-content/uploads/Etsilacroissancenerevenaitpas.pdf
Bonne lecture
Et si la croissance ne revenait plus ? Enquêtes sur un tabou
Il faut impérativement relire les pages fulgurantes écrites par Nicholas Georgescu-Roegen, et tout d’abord les cent premières pages de « La Science économique : ses problèmes et ses difficultés » (Dunot, 1970) et « La Décroissance : entropie, écologie, économie » (3e éd. revue, Sang de la Terre/Ellébore, 2006) et particulièrement le chapitre « L’énergie et les mythes économiques » p. 85-166, article paru en anglais en 1975.
Malheureusement, Dunot n’a jamais voulu réimprimer, et les économistes se sont toujours contentés d’ignorer Georgescu-Roegen, même quand ils le citent. Tim Jackson comme Jean Gadrey y font référence, mais il s’agit toujours d’une simple citation, jamais d’une analyse ou d’un commentaire.