L’excellent hebdomadaire Courrier International célèbre cette semaine son 1000ème numéro avec 10 scénarios pour le futur. Nous vous proposons d’en découvrir deux. L’hebdomadaire britannique New Scientist a demandé à quelques scientifiques de dessiner le portrait d’un monde ou la température aurait augmenté de 4°C. L’auteur catastrophiste à succès Alan Weisman, à quant à lui, imaginé la fin de la cité du jeu et du gaspillage par excellence, Las Vegas, victime de la sécheresse et des abus. Vous retrouverez également une sélection de 50 couvertures chocs qui traitent aussi bien des peuples, des hommes que des valeurs… Bref un numéro exceptionnel à découvrir cette semaine chez votre marchand de journaux.
– L’ÉDITO de Philippe Thureau-Dangin : « Comment résumer mille numéros d’un journal, mille semaines de travail et de doutes ? Comment dire la passion qui a animé les fondateurs et ceux qui leur ont succédé ? C’est impossible en quelques lignes. Ce numéro le tente pourtant, en revenant sur presque vingt ans d’histoire avec quelque 50 couvertures, parmi les plus fortes ou les plus belles, et 100 petites phrases, comme autant de confettis d’une actualité riche en soubresauts… Mais, à Courrier international, nous n’aimons guère les célébrations, et encore moins l’autocélébration. C’est pourquoi l’essentiel des pages regarde vers l’avenir – notamment en offrant à la réflexion 10 scénarios pour l’an 2050. Comment vivrons-nous alors ? Avec quels corps, avec quels aliments ? Et dans quel genre de société ? Sans attendre le long terme, il faut aussi s’intéresser à l’année qui vient. Bonne ou mauvaise ? 2009, on le sait, fut une année médiocre, qui a suscité plus de déception que de bonheur. En Occident, le krach financier s’est éloigné, mais pas la crise économique. Gaza reste Gaza. En Afghanistan, la réélection d’Hamid Karzai ne promet rien de bon, pas plus que l’arrivée de troupes américaines supplémentaires… Mais l’année se termine par des notes plus nuancées. Le sommet de Copenhague, que beaucoup trouvent raté, marque un tournant, et l’on verra dès cette année de nouvelles initiatives touchant le climat, en Chine et ailleurs. Barack Obama devrait achever la première année de son mandat, le 20 janvier, en signant la loi sur la réforme de la santé (un succès salué ci-contre par le chroniqueur Eugene Robinson). Enfin, ces jours-ci comme en juin, une partie du peuple iranien se retrouve en masse dans la rue. Et le pouvoir de Téhéran, qui a perdu toute force rhétorique, n’a plus que les miliciens bassidjis à lui opposer, ce qui pourrait être bientôt insuffisant. Voilà quelques raisons de croire que 2010 sera une meilleure année pour l’Histoire. En tout cas, toute l’équipe de Courrier international vous la souhaite la plus belle possible, à vous et à vos proches. Et vous propose de rester encore mille semaines en notre compagnie ».10 scénarios pour le futur
Au sommaire de ce numéro spécial de Courrier International, retrouvez notamment 10 scénarios pour le futur. – Quand Ankara et Varsovie feront la loi. Le XXIe siècle s’achèvera sur un nouveau conflit mondial dont la Pologne, la Turquie et le Mexique, devenus grandes puissances, seront les principaux acteurs. La vision du politologue américain George Friedman. – Le modèle européen s’impose partout. Empires en expansion, cités-Etats, épidémies, condottieres : pour le jeune géopoliticien indo-américain Parag Khanna, le xxie siècle sera un nouveau Moyen Age. – L’islam à la conquête du Vieux Continent ? – Voyage en démocratie ultime. Au Pays du peuple, on pratique une forme extrême de la démocratie. Mais tout ne semble pas parfait. Le blogueur chinois Yang Hengjun est appelé à la rescousse. – A la rencontre de l’humanité 3.0. Prothèses sensibles, implants cérébraux, exosquelettes surpuissants : le corps humain va bénéficier de surprenantes avancées technologiques au cours des prochaines décennies. – Saignant, votre steak in vitro ? L’alimentation de demain pourrait comprendre de la viande synthétique produite en laboratoire. Plusieurs équipes de chercheurs travaillent déjà activement sur les processus technologiques à mettre en œuvre. – Si la température montait de 4 °C… Lire le scénario ci-dessous. – Ci-gît Las Vegas, ville postmoderne. Lire le scénario ci-dessous. – Apprendre à respirer sous l’eau. Se battre pour sauver la nature, mise à mal par l’homme, n’est pas inutile. Mais l’heure est aussi venue d’apprendre à vivre dans les conditions climatiques que nous avons créées, pour apprivoiser le futur. Lire le scénario sur le site de Courrier International en cliquant ici. – Les années 2000 dans le rétroviseur. Téléporté en 2039, l’historien britannique Joe Moran constate que la nostalgie des décennies passées est toujours aussi forte.Extrait : Si la température montait de 4 °C…
D’’ici à la fin du siècle, nos descendants évoqueront peut-être avec nostalgie les légendaires cités de Saigon, de La Nouvelle-Orléans, de Venise ou de Bombay… Ce cauchemar pourrait effectivement se matérialiser d’ici à la fin du XXIe siècle, ou même d’ici à 2050, si l’on en croit les scénarios les plus pessimistes du Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). L’hebdomadaire britannique New Scientist a demandé à quelques scientifiques de dessiner le portrait d’un tel monde. Dans le scénario retenu, les déserts prédomineront. Ils envahiront peu à toute la bande située entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, une zone où vit actuellement la moitié de la population mondiale. Le Sahara progressera même, pour certains, jusqu’en Europe centrale. Ce phénomène de désertification sera précédé – et aggravé – par une période de détérioration des moussons dans la zone qui comprend le Bangladesh, l’Inde ou le Pakistan, mais aussi plusieurs régions d’Afrique. Finalement, de larges zones de la planète deviendront totalement inhabitables – une perte qui sera loin d’être compensée par le gain de nouvelles terres habitables, libérées par le recul des glaces au Groenland, en Sibérie, en Scandinavie et peut-être même en Antarctique, régions où d’importantes populations seront amenées à se fixer. L’arrivée massive, en l’espace d’une génération, de milliards de réfugiés climatiques ne se fera pas sans heurts, préviennent les chercheurs interrogés par le New Scientist. Les conflits pour conserver les ressources de base, l’eau et l’énergie, ou y accéder vont s’intensifier. La “sélection” sera si intense que nous ne serons pas plus de 1 milliard à la fin du siècle prochain, n’hésitent pas à affirmer certains scientifiques, dont le célèbre James Lovelock, le père de la théorie Gaïa. La stratégie pour s’adapter à ce nouveau monde est simple, mais révolutionnaire au regard de notre organisation politique et économique actuelle, ajoute le magazine : ne plus penser les ressources énergétiques et alimentaires à l’échelle d’un pays ou d’un continent, mais à l’échelle planétaire. Cela revient à mutualiser les ressources agricoles et la production d’énergie, installée loin des centres de consommation. L’énergie solaire, en particulier, viendra des vastes zones désertiques qui ceintureront la planète. Elle sera complétée par le nucléaire, l’hydroélectricité, l’éolien offshore et la géothermie. Le mode d’alimentation des survivants va également changer. Ils n’auront pas le choix, ils deviendront végétariens : l’acidification des océans va détruire une grande partie des réserves halieutiques, des mollusques, des crustacés. Quant au bétail, il faudra y renoncer. Seule la volaille pourra subsister. Les cultures elles-mêmes devront s’adapter et notamment devenir moins consommatrices d’eau. Pour aller plus loin, consulter le site web de James Lovelock et retrouvez les chercheurs interrogés sur le site de New Scientist en cliquant ici.Extrait : Ci-gît Las Vegas, ville postmoderne
Victime de la sécheresse et des abus, la cité du jeu et du gaspillage par excellence n’est plus, conte l’auteur catastrophiste à succès Alan Weisman. « A la fin des années 2020, les tensions s’aggravent dans le Nevada, et c’est Las Vegas qui cède. La sécheresse chronique qui sévit dans les montagnes Rocheuses a pour conséquence une baisse de la pluviométrie et un recul de la couverture neigeuse. Résultat : le lac Mead ne se remplit plus. Les turbines du barrage qui retient les eaux de ce réservoir artificiel cessent de tourner et donc de produire de l’électricité. Pis encore, quelque 25 millions d’usagers situés en aval, en Californie et ailleurs, réclament à cor et à cri qu’on leur distribue le peu d’eau encore accumulée derrière le célèbre barrage Hoover. Dans un ultime sursaut de vitalité, l’Etat du Nevada se bat pour qu’on le laisse pomper la part des eaux du fleuve Colorado qui, jusque-là, était réservée à l’approvisionnement de Denver. La capitale de l’Etat du Colorado, plaident les responsables du Nevada, pourrait en effet capter les eaux de la rivière Platte, traditionnellement consommée par les habitants du Nebraska et du Kansas, dans la mesure où ces deux Etats pourraient très bien bénéficier des bienfaits du Mississippi… Mais ce formidable ensemble de grands projets en cascade tombe vite à l’eau. D’aucuns prédisent en effet des coûts astronomiques et des discussions sans fin, voire un conflit armé entre Etats de l’Union, chacun veillant jalousement sur ses ressources hydrographiques. Aussi a-t-on décidé d’ouvrir les évacuateurs de crues du barrage Hoover. Et ce qui reste du lac de retenue s’écoule peu à peu vers Los Angeles, San Diego, Phoenix et le Mexique (qui avait menacé de détourner les affluents du Rio Grande s’il ne recevait pas sa part du gâteau). Vegas, la métropole scintillante, tente de construire un réseau de conduites pour récupérer l’eau de puits artésiens situés à plus de 400 kilomètres au nord ! Mais ces ressources finissent elle aussi par s’épuiser sous l’effet d’une sécheresse implacable. Finalement, vers le milieu des années 2030, la ville qui a longtemps eu la plus forte croissance démographique des Etats-Unis doit accepter de rendre les armes. Les pelouses verdoyantes autour du Jardin des dieux de l’hôtel Caesar’s Palace font place à une croûte désertique. Une fois arrêtés les systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte, les lauriers et les cyprès italiens taillés au cordeau d’antan dépérissent. Ils sont remplacés par d’austères arbustes du désert Mojave, comme le créosotier ou l’ambroisie, qui parsèment le paysage mêlés aux hautes tiges du brome rouge. Ce dernier est un intrus venu d’Europe, une graminée particulièrement envahissante qui a été imprudemment introduite par des éleveurs. Le brome rouge pousse dès le début du printemps, accaparant l’eau des rares pluies, sans laisser aucune chance aux espèces autochtones. En ville, les murs en plâtre des casinos à l’abandon se fissurent et pèlent, et des pans entiers de stuc se détachent dans la chaleur du désert, où les températures dépassent désormais régulièrement les 50 °C en juillet et en août. (Même si Las Vegas est vidée de ses habitants, la chaussée crée toujours le phénomène dit d’îlot de chaleur, goudron et béton retenant suffisamment de chaleur la nuit pour aboutir à des températures diurnes de plusieurs degrés supérieures à celles du désert environnant.) Les foules humaines cèdent la place aux reptiles – iguanes du désert et chuckwallas massifs – qui pullulent dans tous les recoins. Les tortues du désert, autrefois si tragiquement vulnérables face aux automobilistes pressés, sont également de retour. Curieusement, la source hydrographique originelle de Las Vegas fait elle aussi une modeste réapparition : les pluies sporadiques dans les montagnes entourant la ville alimentent progressivement de nouveau les anciennes sources artésiennes. Alors, les revoilà qui rejaillissent et, sous leur pression, la chaussée craquelée se casse et des fissures se forment, provoquant le gondolement et l’effondrement de plusieurs sections de l’échangeur de l’autoroute I-15 et de la route nationale 95. C’est là que s’arrêtent les autocars qui font en une journée le trajet depuis Los Angeles, pour laisser descendre les touristes qui, poussés par la nostalgie ou par une curiosité morbide, se rendent toujours à Las Vegas, non plus pour s’adonner au jeu, mais pour s’extasier devant cette étrange ville fantôme postmoderne. Privée de ses enseignes criardes, de ses plantes tropicales importées et de ses néons, dans la lumière éblouissante du désert, Las Vegas n’est plus que l’ombre d’elle-même, incarnation biblique du surnom officiel qu’elle avait osé se donner : “Sin City”, la ville du vice et du péché. La colère qui avait détruit Sodome et Gomorrhe n’a pu laisser un champ de ruines plus désolant que celui de Las Vegas ». – Pour en savoir plus : Alan Weisman est l’auteur du best-seller The World Without Us (Le monde sans nous), publié en France chez Flammarion en 2007 sous le titre Homo disparitus. Consulter notre article sur ce livre en cliquant ici.Une sélection des meilleures unes de Courrier International
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