Le film Même la pluie de la réalisatrice Icíar Bollaín, choisi par l’Espagne pour la représenter dans la course à l’Oscar 2011 du Meilleur Film Étranger est une œuvre ambitieuse, qui ose, s’adossant à l’histoire, aborder un sujet qui s’imposera dans un avenir proche comme la principale source de bouleversements et de conflits sur toute la planète, de la Bolivie à l’Espagne en passant par la Palestine et l’Afrique : l’accès à l’eau potable. Entre la découverte des Amériques et notre époque actuelle, l’or bleu a remplacé l’or jaune et la vision romanesque du passé rejoint le cynisme d’une mondialisation dévastatrice de vies humaines et prédatrice de ressources naturelles.
MÊME LA PLUIE raconte le tournage d’un film d’époque dans une Bolivie déchirée par les conflits de l’eau : Quand Sebastian, jeune réalisateur passionné, arrive avec producteur et équipe de tournage dans le décor somptueux des Andes boliviennes pour évoquer la conquête espagnole, l’évangélisation et la mise sous tutelle des Indiens pour leur voler leur or et leur force de travail… il a la tête pleine de ses héros indiens, résistant à l’envahisseur. Le budget dont il dispose n’est pas énorme pour un film dit d’époque, et la minceur des salaires proposés aux autochtones a été un argument pour convaincre la production de déplacer une équipe dans un coin aussi perdu. Dès l’arrivée, on comprend que les recrues locales ne sont pas du genre à se laisser aveugler par la magie du cinéma, la tension est palpable et Sebastian, à la recherche de figurants, remarque un Indien au regard intense qui semble exercer un ascendant sur tous les autres. Il sera dans le film celui qui s’oppose et résiste. On comprendra vite que son charisme en fait aussi un leader au présent dans le conflit qui est en train de se nouer autour de l’eau. « La lutte du peuple contre le pouvoir c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli » Milan Kundera Le film s’inspire de faits bien réels : en avril 2000, à Cochabamba, la troisième ville de Bolivie, une multinationale obtient la privatisation et le monopole de l’eau (sur les recommandations de la Banque Mondiale). Creuser son puits devient alors un délit et tous, même les plus pauvres, se voient imposer un tarif que beaucoup ne peuvent pas payer. Des premiers heurts opposent les ouvriers qui viennent cadenasser les puits des habitants, puis des manifestations s’organisent, et le pouvoir ne cédant décidément pas, des barricades bloquent la ville. Le président bolivien décrète l’état d’urgence, la police intervient violemment, il y a de nombreux blessés, un tué… la rue finira par obtenir gain de cause, le pouvoir redoutant une propagation à tout le pays reprendra la main sur la gestion de l’eau. (Gwenael Prié et Lionel Goujon, animateurs du blog Les voyageurs de l’eau sur Libération reviennent sur cet événement. Je vous invite donc à lire leur article intitulé « A Cochabamba, l’après-guerre de l’eau » en cliquant ici.) Mêlée bien malgré elle à cette agitation, l’équipe de tournage va d’abord d’abord s’acharner à finir le film quoi qu’il arrive, mais ne peut s’empêcher de vivre au rythme de la situation : difficile de rester de bois quand les situations du film où vous jouez répondent aussi fort à l’actualité. Si certains sont révoltés par ce qui se passe, d’autres ont surtout peur et veulent s’échapper avant que les remous ne les atteignent… c’est qu’entre temps des liens se sont noués entre les figurants et l’équipe du film, et la tourmente ambiante ne les laisse pas indifférents… Le message véhiculé par ce film pourrait se résumer ainsi : « changer le monde commence par changer soi-même. » La réalisatrice Icíar Bollaín [[Iciar Bollain. Née à Madrid en 1967, elle réalise son premier long métrage, Hola, estás sola, en 1995. Ce film est récompensé lors de la 40e Semaine Internationale de Cinéma de Valladolid, par le Prix du Meilleur Réalisateur, le Prix du Public ainsi que la Mention Spéciale du Jury de la Jeunesse. Son deuxième film, Flores de otro mundo, obtient le Grand Prix de la Semaine Internationale de la Critique en 1999.]], à propos de son film, raconte : « Réaliser ce film était un véritable défi, cela revenait à réaliser trois films en un : tout d’abord un film d’époque, mais aussi un film sur un conflit récent, et enfin un film sur le tournage d’un film d’époque. Maintenir la tension et faire progresser le récit à travers les trois histoires en maintenant l’intérêt du spectateur était un challenge. Mais en réalité la complexité du projet était un cadeau : un réalisateur a rarement l’occasion de travailler un matériau aussi original et riche, ayant de surcroît une telle résonance avec un des conflits les plus cruciaux de notre époque. Etant donné la complexité du scénario, il était essentiel de mettre en exergue le personnage de Costa et l’évolution de sa relation avec Daniel[[Daniel est un des leaders de la rébellion populaire mais aussi la personne choisie pour incarner le chef indien Hatuey.]], interprété par l’acteur bolivien Juan Carlos Aduviri, qui le changera profondément. Pendant le tournage puis pendant le montage, j’ai essayé de trouver les moments clés de cette évolution – parfois un simple regard, un silence. J’avais l’intime conviction que l’émotion du film naîtrait du conflit entre ces deux personnages et de la prise de conscience par Costa de la réalité dans laquelle vit Daniel : un monde bien plus dur que le sien ». La réalisatrice conclut : « MÊME LA PLUIE est de loin le film le plus compliqué que j’ai réalisé. Plus qu’une aventure, un défi pour chacune des personnes engagées dans ce projet. Comment manger un éléphant ? Morceau par morceau. Comment faire un film avec autant de figurants, de personnages, d’action ? Plan par plan. C’est comme ça que j’ai pris les choses, en planifiant minutieusement chaque scène, en choisissant et en dirigeant chaque figurant, en travaillant phrase par phrase avec les acteurs qui pour certains n’avaient jamais joué auparavant, en me reposant sur des équipes techniques et artistiques espagnoles comme boliviennes remarquables ».
Même la pluie de Icíar Bollaín : la guerre de l’eau a débuté en Bolivie
Loin de la légèreté et de l’humour du cinéma français, ICIAR BOLLAIN embrasse l’Histoire et la Politique, au sens noble du terme, avec un indéniable lyrisme qui nous emporte, nous subjugue et nous questionne.
L’Art ne peut se résoudre à n’être qu’un menu bricolage esthétique. Pour rencontrer la Vraie Vie, il doit affronter les réalités de la survie, se laisser détourner, transgresser par son « objet » et se mettre en crise comme il met en crise son objet.
Quelle que soit la perfection formelle de « Même la pluie » on ne peut ignorer que la figure (celle de l’Indien, celle du film) choisie est celle de l’ardeur.
A travers un personnage combattif de notre temps, c’est l’image généreuse de LAS CASAS lui-même qui transparaît, infatigable combattant du respect humain et de l’antiracisme dont les hommes d’aujourd’hui pourraient tirer, s’ils se livraient à un profond examen de conscience, tirer le meilleur profit !
Même la pluie de Icíar Bollaín : la guerre de l’eau a débuté en Bolivie
Attention, les faits relatés dans ce film se passent en 2000, depuis le nouveau président Évo Morales « a rectifié le tir » :
Article issu de Wikipédia.fr :
Les différentes mobilisations sociales liées à la question de la gestion de l’eau (guerres de l’eau à Cochabamba en 2000 ou à El Alto en 2005) l’ont constituée en enjeu important de la vie politique bolivienne. La mise en place d’un système de gestion public de l’eau dans la capitale La Paz et sa banlieue El Alto figuraient ainsi parmi les propositions défendues par Morales lors de la campagne présidentielle. Un Ministère de l’eau est institué en janvier 2006. En janvier 2007, l’entreprise publique sociale d’eau et d’assainissement (Epsas) se substitue à la compagnie Aguas de Illimani, une filiale du groupe Suez dont le contrat de concession est rompu, moyennant une compensation financière[3].