Les incertitudes sur l’avenir de l’euro et les menaces de récession ne sont pas indépendantes d’une autre crise, tout aussi grave et plus ancienne : celle de notre modèle énergétique. Nous avons reçu ce matin par le service de presse de Martine Aubry, candidate à la primaire socialiste, sa tribune publiée aujourd’hui dans le journal Libération. Intitulée « Je veux voir naître la première génération de l’après nucléaire », nous la publions intégralement car c’est la première fois que la leader socialiste expose aussi clairement sa position sur le devenir du parc nucléaire français.
« Je veux voir naître la première génération de l’après nucléaire » par MARTINE AUBRY candidate à la primaire socialiste Comme en 2008, l’été qui s’achève aura été dominé par la crise économique et financière. N’oublions pas, pour autant, que le précédent avait été celui des catastrophes climatiques de la Russie et du Pakistan. Les incertitudes sur l’avenir de l’euro et les menaces de récession ont beau capter toute l’attention, elles ne sont pas indépendantes d’une autre crise, tout aussi grave et plus ancienne : celle de notre modèle énergétique. Injuste au plan mondial comme national, ce modèle se révèle peu à peu incompatible avec les exigences environnementales. Si nous n’agissons pas maintenant, demain la pénurie, la compétition entre les nations organiseront la production et l’accès à l’énergie. La majorité élue en 2012 aura la responsabilité, au-delà d’un quinquennat et même de deux, de déterminer une politique énergétique à la fois ambitieuse et soutenable pour toute la première moitié du XXIe siècle. Ces choix sont trop importants pour être laissés aux seuls experts. Ils concernent tous les citoyens dans divers aspects de leur vie quotidienne : la sûreté, l’emploi, la qualité de vie, l’impact environnemental mais aussi le pouvoir d’achat, à l’heure où une famille sur six (soit plus de 4 millions de personnes) ne parvient pas à payer ses factures de gaz et d’électricité. La transition énergétique ne se fera pas sans la participation de chacun, à la fois comme consommateur et comme producteur. Le fameux modèle français interroge. Le recours massif au nucléaire était censé garantir notre indépendance ; mais celle-ci est toute relative, nos importations d’énergies fossiles s’élevant à 70 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de notre déficit commercial. L’atome était présenté comme «propre» et sans danger ; cependant, aucune solution durablement satisfaisante n’a vraiment fait ses preuves pour le stockage des déchets et la confiance dans la maîtrise du risque a été encore fragilisée après l’accident de Fukushima. Nos nombreux réacteurs ont certes produit une électricité bon marché ; mais cette abondance a aussi eu des conséquences économiques néfastes (surproduction, surconsommation et gaspillage). Enfin, l’excellence de notre filière nucléaire devait soutenir les exportations ; aujourd’hui, les doutes planétaires sur cette énergie affectent le carnet de commandes. J’en conclus qu’en l’état actuel de nos connaissances, le nucléaire doit être considéré comme une énergie de transition, et non comme une énergie d’avenir. C’est pourquoi je propose d’engager la France dans une sortie progressive mais effective du nucléaire. Je veux voir naître la génération de l’après nucléaire. Ce cap étant fixé, le processus devra être transparent. Chaque étape sera l’objet d’un débat ouvert. Une commission d’experts,intégrant la diversité des points de vue, préparera un livre blanc auquel s’adosseront, dans chaque région, des concertations qui se concluront par une loi d’orientation de la politique énergétique avant l’été 2013. Avant même que la question du prolongement de la durée des centrales ayant atteint 30 ans ne soit débattue, il faudra fermer celle de Fessenheim qui est exposée à des risques spécifiques. L’urgence de la mise à jour de notre modèle énergétique est aussi celle de la lutte contre le changement climatique et de la raréfaction inéluctable des énergies fossiles, dont nous restons trop dépendants. Au lieu d’engager la transition, le Gouvernement actuel a étouffé l’éolien puis le photovoltaïque en multipliant les obstacles et les procédures. Ses revirements successifs et l’instabilité des dispositifs publics ont fragilisé les filières. Les résultats parlent d’eux-mêmes : la production allemande d’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque est déjà quatre fois supérieure à celle de la France. En 2020, si nous ne changeons pas nos objectifs, cet écart restera identique. D’autre part, la duplicité a atteint son comble avec les permis accordés en catimini pour l’exploration et l’exploitation des pétroles et huiles de schiste. Sans la mobilisation exceptionnelle de nombreux citoyens et élus, l’intérêt à court terme de quelques grands groupes aurait encore prévalu sur la plus élémentaire protection des ressources naturelles et des paysages. Après cette décennie perdue, je souhaite proposer aux Français une politique énergétique nouvelle, sérieuse et ambitieuse. Sérieuse, parce qu’elle garantira à chacun l’accès à une énergie sûre et soutenable sans compromettre l’avenir des générations futures ; ambitieuse, parce qu’avec le génie de nos chercheurs, de nos ingénieurs et de nos ouvriers, elle participera à la relance de notre économie en développant de nouvelles filières prometteuses en emplois et en création de richesses. En alliant sobriété, énergies renouvelables et recherche, nous réussirons. La priorité est à la sobriété. Et, contrairement à ce que voudraient faire croire les tenants d’un statu quo mortel pour les générations futures, elle améliorera notre qualité de vie. Entre le gaspillage, souvent contraint et coûteux pour les plus fragiles et le rationnement, il existe une voie: celle de l’efficacité énergétique. La réhabilitation du patrimoine bâti existant est un chantier colossal et devrait assurer aux professionnels du bâtiment une relance importante de leur activité. Nous avons les entreprises et les compétences pour réussir et rayonner, à condition que le marché intérieur soit le premier débouché. De surcroit, j’affecterai un quart des emplois d’avenir pour les jeunes, à la préservation de l’environnement par exemple dans le domaine des diagnostics thermiques des logements. Garantir l’accès à l’énergie pour tous, dans un contexte d’augmentation probable des prix de l’énergie, c’est aussi engager une révolution tarifaire qui allie critères sociaux et vertu de la progressivité, pour encourager le bon usage et pénaliser le gaspillage. Les tarifs d’électricité sont aussi un facteur de compétitivité de nos entreprises qu’il faut protéger: c’est donc en adaptant les tarifs aux usages que nous parviendrons à concilier maitrise de la demande, égalité d’accès et soutien à l’activité industrielle. Pour conserver des leviers d’intervention, l’Etat devra cesser la politique de privatisation des grandes entreprises publiques de l’énergie, qui ont déjà entraîné une augmentation des prix et mis en cause certains de nos intérêts nationaux. Enfin, notre politique énergétique devra s’appuyer sur une ambition industrielle forte. Mise en oeuvre par la banque publique d’investissements et un redéploiement des investissements en faveur des énergies “décarbonées”. C’est en privilégiant les énergies sûres et durables que nous assurerons notre indépendance énergétique à long terme. J’ai confiance dans le progrès scientifique et technologique. La recherche et le développement progressent à grand pas. A côté des énergies renouvelables dont on a déjà identifié le potentiel, se profilent d’autres solutions complémentaires transitoires ou durables : la géothermie, la biomasse et surtout l’énergie des courants marins. Toutes doivent être étudiées sans dogmatisme. Nous devons particulièrement concentrer la recherche sur le stockage de l’électricité qui est probablement le bond technologique le plus attendu. C’est un défi. Il exige de la volonté politique et citoyenne. Il repose sur la certitude qu’un nouveau modèle de développement est l’issue de la crise que nous traversons.Mais nous ne sommes pas seuls, le mouvement est européen et l’Europe née du charbon et de l’acier renaîtra des énergies nouvelles et de la sobriété, mais aussi de la réalisation du stockage et des infrastructures de transport de l’électricité. Dans le domaine énergétique, et plus généralement environnemental, nous devons retrouver le sens de l’avenir. «Un monde plus sûr, disait le physicien Wolfgang Kromy, ne peut être qu’un monde qui respecte davantage la nature et encourage la sobriété plutôt que la satisfaction d’exigences matérielles.» A l’heure où tant de conflits, de famines, de migrations climatiques forcées trouvent leur origine dans une mauvaise répartition de l’énergie et un accaparement sans limite des ressources naturelles, la France et l’Europe ont la responsabilité de promouvoir un modèle énergétique équilibré, facteur de paix et de développement pour tous les peuples. Tribune publiée le 12 septembre 2012 dans Libération