La jouissance de l’eau sera-t-elle à l’origine des prochains conflits entre les nations ? Beaucoup d’observateurs le craignent. D’autant qu’il n’existe pas d’autorités internationalement reconnues responsables de la gestion de l’eau et que plus de la moitié de la population mondiale dépend de ressources en eau partagées par deux États ou plus. C’est pour débattre de cette question cruciale que la Fondation Chirac, l’Unesco et l’Agence française de développement organisent, ce jeudi 13 novembre, un colloque international à la Maison de l’Unesco sur le thème « L’eau pour la paix, la paix pour l’eau ». Hommes politiques et experts, responsables d’ONG et d’institutions internationales de développement s’interrogeront sur les moyens d’éviter que l’eau soit un jour ou l’autre synonyme de conflits. Lors de ce colloque, Jacques Chirac prononcera un discours que La Croix publie aujourd’hui dans sa quasi-intégralité. L’ancien président propose, comme il l’avait fait pour les billets d’avion, une taxe applicable au transport maritime, pour assurer l’accès à l’eau et l’assainissement.
Extraits du discours de Jacques Chirac à l’occasion colloque international L’Eau pour la Paix – la Paix pour l’Eau dont vous pouvez lire la quasi intégralité dans l’édition du 13 novembre du quotidien La Croix. Cette conférence doit contribuer à la préparation du Cinquième Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra à Istanbul en mars 2009. Trois objectifs ont été définis. Il s’agit d’encourager l’application et l’adoption des instruments juridiques internationaux et régionaux favorisant la coopération, de participer, par des recommandations, au processus politique du Forum d’Istanbul et d’alerter le public sur les tensions, politiques ou armées, liées à l’eau, et sur l’accès à l’eau dans les Etats fragiles ou situation de conflit.L’accès à l’eau est un droit humain universel par Jacques Chirac
Il y a tout juste dix ans, j’appelais la communauté internationale à adopter un programme d’action pour l’eau. Cette initiative, portée par la France et l’Union européenne, constituait, pour moi, une grande priorité. Elle a servi de base à l’adoption des Objectifs du millénaire en matière d’accès à l’eau. Elle a ouvert la voie au processus de Monterrey, au sommet de Johannesburg. Elle a préparé le forum de Kyoto. Elle a permis l’adoption d’un plan mondial pour l’accès à l’eau lors du G8 d’Évian en 2003. Dix ans déjà. Certains engagements ont été tenus, des progrès ont été faits, mais le problème reste là, douloureux, tragique. Neuf cents millions d’habitants de notre planète, 900 millions !, n’ont toujours pas accès à l’eau potable. Pourrons-nous plus longtemps tolérer ce scandale ? Pourrons-nous plus longtemps tolérer que des millions de petites filles soient privées d’école car c’est à elles, trop souvent, qu’incombe la corvée, pénible et parfois dangereuse, d’aller au puits ou à la fontaine, à des kilomètres de leur domicile ? Pourrons-nous longtemps encore tolérer que chaque jour, dix mille enfants meurent d’avoir bu une eau insalubre ? Dix mille enfants, l’équivalent d’une ville, rasée aujourd’hui pour cause de dysenterie, de choléra, de poliomyélite… […] En 2008, la dignité la plus fondamentale de la personne humaine est ainsi toujours niée, en silence, sans bruit, car il est malséant d’en parler : en Afrique, un enfant peut encore mourir d’une simple diarrhée. Et pourtant, les solutions existent, nous les connaissons. Michel Camdessus, cet ami précieux dont je salue une fois encore l’engagement total pour bâtir un monde plus fraternel, avait, dans le rapport sur l’eau qu’il m’avait remis en 2003, dénoncé l’absurdité du système : pour la seule Afrique, le coût annuel du manque d’accès à l’eau ou à l’assainissement, en termes de santé publique et de pertes de productivité, était évalué à une vingtaine de milliards de dollars. Pourtant avec un engagement, garanti et constant, de seulement 1,4 milliard de dollars par an jusqu’en 2025, il serait possible de réaliser l’accès universel à l’eau et à l’assainissement et de faire du droit à l’eau pour tous une réalité quotidienne et tangible. Car ce n’est pas tant la ressource qui manque que les capacités de gestion et de distribution, ainsi que des efforts soutenus de gouvernance mondiale, régionale et locale de l’eau. Pour cela, il faut, bien sûr, poursuivre l’effort de l’aide publique. Je réaffirme solennellement que l’objectif de 0,7 % du PIB consacré à l’aide au développement doit être maintenu. L’effondrement des crédits d’aide, dans la quasi-totalité des pays du Nord, est une honte, une faute morale et une erreur stratégique. Ce que nous ne donnons pas aujourd’hui, nous sera compté demain : faute d’action immédiate, décisive, il nous faudra bientôt affronter, sinon des guerres de l’eau, des émeutes de la soif. Il faut aussi, comme j’y ai engagé la communauté internationale avec la taxe sur les billets d’avion, dégager des ressources stables et pérennes pour le développement, en particulier pour l’accès à l’eau et à l’assainissement. Un mécanisme de taxe applicable au transport maritime de marchandises, notamment sur les voies maritimes les plus congestionnées, et donc les plus soumises au risque de la pollution, pourrait être mis à l’étude. Il faut, enfin, avoir une vision stratégique du partage des ressources. Une vision stratégique qui consacre l’eau comme un bien commun, à l’abri de tout accaparement. Près de 260 bassins fluviaux dans le monde sont partagés entre plusieurs pays. En 1998, déjà, l’ONU avait recensé soixante-dix foyers de tensions liés à l’eau, au Proche-Orient, au Sahel, en Amérique latine, dans le sous-continent indien, en Asie centrale… Faudra-t-il attendre qu’ils s’enveniment ? Jusqu’ici le pire a été évité mais pour combien de temps ? Il est urgent de fixer et de faire adopter des règles de partage et d’arbitrage. La gestion équitable par les pays riverains des eaux transfrontalières, de surface et souterraines, passe en effet par une coopération active et respectueuse des intérêts de chacun. Il faut rappeler les droits égaux des populations de l’aval et de celles de l’amont. La géographie ne doit pas, ne peut pas, être un facteur de discrimination. […] On ne peut pas se contenter de demi-mesures. La crise économique et financière que nous traversons, et à la résolution de laquelle travaillent avec détermination la France et l’Union européenne, doit nous conduire à nous mobiliser, avec encore plus de détermination, sur des objectifs destinés à garantir le futur de notre espèce, et non pas à contribuer à leur déshérence. La crise ne doit pas nous détourner des efforts à accomplir dans l’urgence pour assurer le droit universel à l’eau. Au contraire, elle doit susciter un sursaut collectif global, qui refasse des objectifs de réduction de la pauvreté la charte de la communauté mondiale. Il en va de l’avenir de centaines de millions d’hommes et de femmes sur tous les continents. Il en va de la paix.