Sécheresse en Afrique australe, inondations en Amérique latine, mousson très faible en Asie du sud-est : El Niño, phénomène océanique et atmosphérique issu d’une anomalie de température du Pacifique tropical, sème le désordre dans le climat mondial. Tous les deux à sept ans, ses répercussions socio-économiques et environnementales à l’échelle du globe peuvent être dramatiques. Malgré d’importantes avancées dans la compréhension de ce réchauffement cyclique des eaux du Pacifique tropical, sa prévision à long terme reste encore un défi.
Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires [[Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec des chercheurs de la Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC), de l’Université de Tokyo, et de l’IFREMER.]] viennent d’identifier un élément essentiel et encore méconnu du déclenchement d’un tel événement : le « dipôle de l’océan Indien », une anomalie climatique équivalente à celle du Pacifique. Ce phénomène module la circulation atmosphérique Indo-Pacifique ainsi que les vents sur le Pacifique équatorial. Sa disparition rapide à la fin de l’automne favorise le développement d’un El Niño, qui atteindra son apogée environ 14 mois plus tard. La prise en compte du dipôle de l’océan Indien permet ainsi de mieux prévoir l’arrivée et l’intensité de ce dernier. El Niño, l’« Enfant Jésus » en espagnol, ainsi nommé car il culmine peu après Noël, perturbe le climat de l’ensemble de la planète : sécheresse dans des régions généralement humides, inondations dans des zones habituellement désertiques. Aujourd’hui, les scientifiques prévoient relativement bien, 8 à 10 mois à l’avance, l’évolution de ce phénomène, appelé également ENSO (El Niño Southern Oscillation). Pour remonter plus loin dans le temps, il est essentiel de mieux identifier les mécanismes responsables. Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires viennent de montrer le rôle décisif du « dipôle de l’océan Indien » dans la naissance d’un événement. La prise en compte de cette anomalie, équivalente à El Niño dans cet autre océan, permet d’étendre la portée des prévisions à plus d’un an en amont.El Niño délivre peu à peu ses secrets
El Niño trouve sa source dans les interactions entre océan et atmosphère dans le Pacifique tropical. Les mécanismes qui contrôlent le développement et la fin d’un épisode ENSO sont maintenant relativement bien compris[[Parfois, les vents d’est au-dessus du Pacifique, nommés alizés, faiblissent, voire s’inversent. Les eaux chaudes, véritable « pompe à chaleur » de la planète, qu’ils poussent généralement vers l’ouest, refluent alors vers le continent sud-américain. L’ensemble du climat du globe s’en trouve perturbé.]] et illustrés par des modèles théoriques. De même, son évolution est relativement prévisible. En revanche, de nombreuses questions se posent encore sur les mécanismes responsables de l’initiation des événements et sur ses précurseurs potentiels. L’océan Indien était auparavant perçu comme relativement passif du point de vue climatique et essentiellement « esclave » de l’océan Pacifique. Avec la découverte du dipôle de l’océan Indien il y a une dizaine d’années, cette perception a évolué.L’océan Indien préconditionne El Niño…
Grâce à des analyses d’observations et de sorties de modèles, les chercheurs ont identifié des mécanismes responsables de l’influence de l’océan Indien sur le développement d’un El Niño l’année suivante. L’histoire commence dans l’océan Indien, avec la mise en place d’un dipôle dit négatif, caractérisé par des températures des eaux de surface supérieure à la moyenne près de l’Indonésie et inférieures à la moyenne vers les côtes africaines. Dans cette configuration, le sud-est de l’océan se réchauffe et cette anomalie chaude atteint son maximum à l’automne. Or, à cette saison, la circulation atmosphérique est maximale sur le sud-est de l’océan Indien (voir figure 1) : de petites variations de température de surface du premier océan peuvent alors fortement influencer l’atmosphère au-dessus du second. Ainsi, au moment du pic automnal du dipôle, les vents d’est (voir encadré Le saviez-vous ? ) sont intensifiés dans le Pacifique (voir figure 2) et favorisent donc l’accumulation d’eaux chaudes à l’ouest de cet océan : un préconditionnement efficace pour le développement futur d’un El Niño.… et le déclenche…
A la fin de l’automne, l’anomalie positive de température à l’Est de l’océan Indien disparaît rapidement. D’où un relâchement brusque des anomalies de vents d’est dans le Pacifique. Cela conduit à des anomalies de courant vers l’est en hiver et au printemps, et donc au déplacement du réservoir d’eaux chaudes du Pacifique Ouest vers l’est. À partir de février-mars, on entre dans le scénario « classique » d’El Niño où le couplage océan atmosphère favorise la croissance des anomalies : les anomalies chaudes dans le Pacifique central entraînent des anomalies de vent d’ouest, qui renforcent les anomalies chaudes et ainsi de suite…… tous les deux ans.
Les chercheurs proposent également une explication possible de la tendance biennale d’ENSO[[Combinée à la tendance quadriennale liée au processus de recharge-décharge en eaux chaudes du Pacifique équatorial, celle-ci expliquerait la large plage de période d’ENSO (de 2 à 7 ans).]]. Un dipôle de l’océan Indien négatif favorise l’apparition d’un El Niño dans le Pacifique l’année suivante. Or, des travaux précédents ont montré que ce dernier engendre souvent un dipôle positif synchrone (température des eaux de surface supérieure à la normale à l’ouest de l’océan Indien et inférieure à la normale à l’est). Selon le scénario proposé, ce dipôle positif tend lui-même à favoriser par la suite un épisode La Niña[[La Niña est la phase dite « froide » de l’oscillation thermique du Pacifique. Elle est caractérisée par une température anormalement basse des eaux du Pacifique équatorial.]], qui à son tour, entraîne un dipôle Indien négatif, et ainsi de suite … Cette étude apporte un élément important, et jusqu’alors méconnu, dans la compréhension du déclenchement de El Niño. Elle souligne l’importance de l’océan Indien pour prévoir l’arrivée d’un épisode et prévenir ses conséquences. Elle incite aussi à approfondir l’étude des interactions Indo-Pacifique et à développer dans l’océan Indien tropical un réseau d’observations à l’instar de ceux existant déjà dans l’océan Pacifique et l’océan Atlantique. Le saviez-vous ? Pour les vents, l’appellation indique leur provenance : un vent d’est vient … de l’est ! En effet, les terriens sont intéressés par ce que les vents amènent avec eux (nuages, pluie, etc.). En revanche, pour les courants marins, le nom indique vers où ils se dirigent : un courant est va vers l’est , car les marins s’intéressent au lieu où les courants emmènent leur bateau. Les océanographes ont conservé ces dénominations. Rédaction DIC – Gaëlle CourcouxComprendre le changement climatique en vidéo
La conférence internationale sur le climat qui vient de se tenir à Copenhague a montré l’importance de bien connaître les phénomènes qui entrent en jeu dans les systèmes climatiques de notre planète . En effet les politiques doivent pouvoir s’appuyer sur des données fiables afin de prendre des décisions pour l’avenir. Et c’est le rôle de la science que d’apporter des réponses sur le fonctionnement de notre climat et envisager des modèles pour le futur. C’est dans ce contexte que les chercheurs de l’IRD et de leurs partenaires sont aujourd’hui sollicités. Car mieux comprendre les phénomènes climatiques dans la zone intertropicale, c’est mieux appréhender les changements climatiques et mieux définir le climat du futur. Une des clés de la compréhension du changement climatique se trouve dans la connaissance du rôle essentiel joué par l’océan dans les mécanismes complexes qui régissent le climat. El Niño est l’un des grands perturbateurs du climat. Comprendre quelle sera l’influence de l’activité humaine sur son évolution, est une question au cœur des préoccupations sociétales compte tenu de son large impact dans de nombreuses régions du monde. Durée : 11’01 Photos : base indigo, Jérome Vialard, CNES, Nasa Vidéos : Bertrand Gobert, Marcel Delaise CNRS IMAGES Animation 2d : Luc Markiw Musiques et habillage sonore : Luc Markiw Réalisation et montage : Luc Markiw