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Un essai de Gilles Rotillon aux éditions L'harmattan

Faut-il croire au développement durable ?

Si le développement durable envahit les discours, les dégradations environnementales s’accentuent et les inégalités s’accroissent. Malgré ce constat largement partagé, il n’y a pas de forces sociales suffisantes pour le promouvoir réellement. Ce livre dresse la carte du terrain où elles peuvent prendre naissance et décrit les obstacles qu’elles risquent d’y rencontrer. Il montre que les solutions qu’on nous propose sont loin d’être suffisantes. C’est que le changement de nos modes de production et de consommation ne sera ni facile, ni gratuit. Et comme il ne peut se faire sous la contrainte, il réclame l’adhésion de la population. La thèse qui est défendue ici est que ce sont les États des pays développés qui sont seuls capables de mettre en œuvre les politiques indispensables pour déclencher le processus qui ferait du développement durable une réalité et non un simple vœu pieux.

Introduction par Gilles Rotillon

Le développement durable est à l’ordre du jour. Il est difficile aujourd’hui de trouver une décision publique ou privée qui ne s’y réfère pas, de près ou de loin. Les gouvernements, les entreprises, les institutions internationales, les médias, tous protestent de leur implication dans cet enjeu majeur de ce siècle. Tous rivalisent d’initiatives, les traités prolifèrent, les commissions fleurissent, les discours s’enflamment, les peuples s’éduquent, bref toutes les énergies se mobilisent. Alors à quoi bon écrire encore un livre sur le sujet ? Qui peut douter du succès devant un tel déploiement d’efforts ? Ce sera sans doute difficile, il faudra changer quelques-uns de nos comportements, faire quelques économies, mais nous n’avons pas le choix et nous saurons nous adapter comme nous l’avons toujours fait dans le passé. D’ailleurs, pour ce qui concerne la France n’y a-t-il pas de quoi être optimiste, puisqu’en période pré-électorale, tous les principaux candidats à la présidence de la République avaient signé le Pacte écologique proposé par l’animateur vedette Nicolas Hulot et que le président élu, respectant une de ses promesses de campagne, a organisé un Grenelle de l’environnement à l’automne 2007 avec l’ambition affirmée de placer notre pays à la pointe du combat écologique ? Bien sûr, il existe quelques notes discordantes. Celles que font entendre quelques cassandres qui prévoient la catastrophe prochaine ou quelques apôtres de la décroissance. Mais heureusement ces discours restent minoritaires. Et qui ne voudrait croire Stephen L. Johnson, l’administrateur de l’Environmental Protection Agency (EPA) des Etats-Unis, l’équivalent de notre ministre de l’écologie, qui, lors d’une visite récente à Paris déclarait son espoir de  « progresser vers un futur plus radieux et plus sain » ? Pourtant, ce n’est hélas pas si simple. Si le développement durable envahit les discours, c’est bien parce qu’il ne va pas soi et qu’il semble nécessaire d’en rappeler constamment l’ardente nécessité. Durant les trente dernières années, de multiples signes ont fait prendre conscience des bouleversements que nos modes de production et de consommation faisaient subir à notre environnement. Effet de serre, déforestation, accès à l’eau, épuisement des ressources naturelles, « trou » dans la couche d’ozone, perte de biodiversité,… sont, sans chercher à être exhaustif, quelques uns de ces événements qui, depuis, ne cessent de nous indiquer que notre développement actuel risque bien de ne pas pouvoir se poursuivre de la même manière, autrement dit, de ne pas être durable justement. Encore n’est-ce ici que le « pilier environnemental » du sujet, puisque celui-ci possède trois piliers, les deux autres étant le pilier social et le pilier économique. Il ne s’agit pas de dire que tous ces discours, toutes ces initiatives, ne servent à rien. Elles sont sans doute pour la plupart nécessaires, mais en aucun cas suffisantes et en rien à la hauteur des problèmes que nous devons résoudre dans les trente ou quarante prochaines années. En fait, elles donnent surtout bonne conscience, donnant ainsi le « droit », puisqu’on a trié ses déchets, d’aller ensuite prendre un billet d’avion pour faire le tour du monde ! Pour avancer, on ne peut guère imaginer imposer aux pays en développement de freiner leur croissance actuelle (pour ceux qui en ont une) quand ils commencent à en récolter les fruits. Même si ceux-ci risquent de devenir amers, pour l’instant ils leur semblent justifier leurs choix. Il revient donc aux pays développés de montrer l’exemple. Et là encore, malheureusement, la situation est inquiétante. Ainsi, on sait que notre économie est très fortement dépendante du pétrole. Que deviendraient les échanges de marchandises, le tourisme en pleine expansion, l’agriculture grosse consommatrice d’engrais (tirés du pétrole), l’industrie utilisant le plastique pour tant d’objets de consommation… si le pétrole devenait beaucoup plus cher ? Il n’est que de voir au début de janvier 2008, quand pour la première fois le prix du baril de pétrole a dépassé la barre « symbolique » des 100$, les plaintes qui se sont élevées devant ce qui était présenté comme une catastrophe naturelle pour avoir une idée de ce qui se passerait si ce prix doublait. Six mois plus tard il atteignait les 140$ déclanchant les protestations des pêcheurs et des transporteurs routiers soutenus par la majorité de la population. Pourtant, tant qu’on utilisera du pétrole, son prix ne pourra à terme qu’augmenter du simple fait qu’étant une ressource épuisable, son extraction en diminue la disponibilité future. La seule façon de limiter son coût, c’est d’apprendre à s’en passer, ce qui ne sera pas facile. En écrivant ce livre, j’ai moins voulu apporter des solutions, (qu’au demeurant il serait bien illusoire de prétendre posséder tout seul !), que poser les termes du problème qui est devant nous en en soulignant les enjeux principaux, sans tomber ni dans le volontarisme, ni dans l’angélisme auxquels se réduit souvent la littérature sur le sujet. J’en veux pour preuve cette forte déclaration de Serge Lepeltier au journal gratuit Metro du 30 mai 2005 : « La définition du développement durable, c’est le développement économique dans la durée, qui favorise le progrès social tout en préservant l’environnement et le renouvellement des ressources énergétiques » (dont le pétrole ?). Quand on sait que Serge Lepeltier a été ministre de l’Ecologie, on peut comprendre qu’avec une telle orientation pour boussole les progrès réalisés aient été infinitésimaux. Car, à part lui, on ne peut en effet qu’être frappé par le grand écart qui existe entre le constat, majoritairement partagé, d’une impossibilité à poursuivre notre développement actuel sur le modèle des pays les plus riches, et l’impuissance à mettre en œuvre des politiques réellement efficaces. Pour ne prendre qu’un exemple, en France, bien que depuis plus de vingt ans la proportion de nitrates dans l’eau augmente régulièrement du fait des pratiques agricoles, la nouvelle loi sur l’eau (adoptée en décembre 2006 après de nombreux atermoiements) ne taxe pratiquement pas les agriculteurs, ne leur donnant aucune incitation à modifier leurs pratiques. Et on pourrait allonger la liste montrant que sur des secteurs stratégiques pour le développement durable, les politiques mises en place s’apparentent plus à des placebos ou à des effets d’annonce qu’à un début de solution. Peut-on en rendre responsable une prise de conscience individuelle insuffisante, qu’il s’agirait alors de stimuler par une éducation mieux faite et plus sensible à ces questions ? Mais comment, dans ce cas, expliquer que c’est justement dans les pays développés qui ont un niveau d’éducation jamais atteint par le passé, où jamais autant de gens ne sont allés aussi longtemps à l’école, que les comportements nuisibles à notre environnement se sont eux aussi multipliés et aggravés ? Descartes nous voulait « maîtres et possesseurs de la nature », nous ne le sommes peut-être plus pour très longtemps ! On peut chercher aussi à en appeler aux comportements responsables sur une base morale, en s’appuyant sur l’évidence de la montée des préoccupations environnementales dans l’opinion publique. Ces dernières n’existaient pas il y a quelques décennies et elles seules expliquent aujourd’hui l’intérêt des politiques pour les problèmes écologiques et de développement. Mais s’appuyer sur la morale n’a jamais suffit à fonder une politique et cela ne dispense pas de faire l’analyse de la réalité. Et si l’indignation morale peut déclencher l’action militante, rien ne dit que la pression ainsi exercée sera suffisamment forte pour que les adaptations indispensables se fassent à temps sans crises majeures. George Bush père avait déclaré, justifiant par anticipation la position de retrait des Etats-Unis sur le protocole de Kyoto, que le mode de vie des américains ne se négociait pas. Il avait ainsi suscité de nombreuses réactions scandalisées, en particulier en Europe. Sans doute parce que la vérité est souvent scandaleuse quand elle ne fait pas plaisir. Malheureusement George Bush a sans doute raison et il met l’accent sur le fond de la difficulté. Car si solution il y a, elle réside certainement dans la « négociation » de notre mode de vie, non seulement celui des américains, mais celui de beaucoup de pays développés. Si nous pensons vraiment que nous ne pourrons pas continuer longtemps à produire et consommer comme nous le faisons, il faut le faire autrement. Et pour l’instant, il n’y a pas de forces sociales suffisamment puissantes qui soient porteuses de cette exigence au niveau où elle entraînerait nos politiques à s’attaquer vraiment aux problèmes. Tel est me semble-t-il l’écueil principal. C’est pour mieux en cerner les contours que j’ai entrepris d’écrire ce texte. L’idée m’en est venue à la suite de ma participation en 2006 à un séminaire de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) réservé aux directeurs de ses agences régionales et consacré au développement durable. On m’avait demandé d’introduire le sujet à partir d’une double interrogation : qu’est-ce que le développement durable ? Comment le mesurer ? J’avais justement construit mon exposé autour de cette contradiction que je percevais entre les discours et les actes et dont ce livre reprend et développe l’argumentation. A la fin de mon intervention, deux orateurs qui me succédaient, hauts responsables travaillant sur le développement durable respectivement à l’OCDE et au Ministère de l’écologie et du développement durable, et qui devaient présenter les actions de leur institution sur le sujet, viennent me saluer et me féliciter pour le ton « décapant » de mon discours. Connaissant la littérature consensuelle produite par ces institutions, je suis agréablement surpris de recevoir l’approbation d’acteurs politiques importants dans le domaine, mais je reviens vite les pieds sur terre en les écoutant. De commissions en comités chapeautés par les plus hautes instances, nous pouvons être tranquilles, les dossiers sont pris à bras le corps et les politiques agissent conscients de l’urgence de la situation. Un premier temps sidéré, j’avoue que je savoure la suite tant elle illustre à merveille la contradiction que j’avais soulignée dans mon introduction. Les questions qui suivent, montrent que je n’ai pas été le seul à percevoir le décalage entre ce qui vient de nous être dit et mon propre exposé. Mais si je raconte cette anecdote à l’origine de ce livre, ce n’est pas pour épingler deux hauts fonctionnaires pris en flagrant délit de double langage. Car ce qui me semble être la leçon à tirer de cet événement c’est que ce double langage n’est justement pas le signe d’une hypocrisie consciemment contrôlée, mais plutôt le symptôme d’une schizophrénie structurelle [[Note de l’auteur :Par structurelle (ou systémique), je ne veux pas dire génétique mais résultat d’un effet de structure qu’il s’agit justement de comprendre.]] qui nous caractérise tous à un degré plus ou moins grand et qui constitue l’écueil que je soulignais ci-dessus. Il y a d’un côté le citoyen qui voit bien l’écart entre les discours et les actes et qui vient me signifier son accord avec mes propos, et, de l’autre côté le haut fonctionnaire, qui, une fois qu’il a coiffé sa casquette institutionnelle, ne peut faire autrement que de réciter la parole officielle et d’y croire. Comme il y a le citoyen qui proteste contre la pollution tmosphérique ou les délocalisations et le consommateur qui refuse toute augmentation des taxes sur l’essence, fut-elle à pression fiscale constante et qui va acheter un vélo fabriqué en Chine parce qu’il est moins cher. C’est cette contradiction que je voudrais chercher à analyser, qui fait le sujet de ce livre et qui me fait m’interroger sur la crédibilité qu’il faut accorder au développement durable, présenté aujourd’hui comme une nécessité pour la survie de l’humanité. Pour cela, je procéderais en quatre étapes. Un premier chapitre traitera de la préhistoire du développement durable et de sa vulgate. Il vise à replacer l’interrogation actuelle sur la possibilité d’un développement durable dans son contexte historique et à présenter le discours plus ou moins officiel et/ou médiatique qu’il suscite. Le second chapitre illustre la contradiction entre la vulgate précédente et un certain nombre de faits qui caractérisent notre développement actuel et font largement douter de sa permanence. Le troisième chapitre traite des solutions qui sont avancées ici et là pour promouvoir un développement durable. Car si le constat des problèmes posés par notre mode de développement actuel est pour l’essentiel largement partagé, les propositions qui sont faites pour changer d’orientation sont au contraire marquées par la plus grande diversité, de ceux qui proposent une rupture franche avec toute idée de progrès à ceux qui y voient au contraire la seule issue possible. Une telle disparité ne facilite pas la coordination des efforts pour sortir de la crise actuelle et il est important de bien comprendre les logiques sous-jacentes à ces propositions. Enfin, le quatrième chapitre analyse les comportements des principaux acteurs du développement durable : consommateurs, entreprises et Etats et les contraintes auxquelles ils font face pour chercher à déterminer leurs marges de manœuvre. Ce faisant, je ne me propose pas d’avoir la démarche normative classique de l’économiste qui explique ce qui doit être fait, mais bien plutôt de baliser le champ des possibles en adoptant une démarche plus descriptive qui se propose de montrer ce qui est pour mieux comprendre quelles sont les contraintes qui pèsent sur les acteurs. La thèse que je défend ici consiste à dire que l’instance décisive se situe au niveau politique. Plus précisément, que ce sont les Etats des pays développés qui sont seuls capables de mettre en œuvre maintenant les politiques indispensables. Et comme, dans ces Etats, c’est plus ou moins la démocratie parlementaire qui caractérise les institutions politiques, l’adhésion des citoyens aux réformes est une nécessité. Si aujourd’hui je ne vois pas de forces sociales qui soient porteuses des transformations nécessaires avec suffisamment d’exigence, ce n’est pas dire que de telles forces ne peuvent un jour se manifester. Un des objectifs de ce livre est de dresser la carte du terrain où elles peuvent prendre naissance et de décrire les obstacles qu’elles peuvent y rencontrer.

Sommaire

1 Le développement durable et sa vulgate – Petite histoire du développement durable – La nature comme contrainte dans l’histoire de la pensée économique – De l’écodéveloppement au développement durable – La vulgate du développement durable 2 Des intentions aux faits – L’aide au développement – La crise de l’eau – La concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère – Les catastrophes naturelles – L’augmentation du niveau de la mer – La déforestation – La perte de biodiversité – L’état des ressources halieutiques – L’évolution des stocks de pétrole – Le développement durable dans l’union européenne 3 Quelles solutions pour le développement durable ? – Les solutions conceptuelles : des forces sociales inexistantes – Les apôtres de la décroissance : Paul Ariès : la décroissance comme projet politique – Serge Latouche : la décroissance comme pari pascalien – La décroissance : questions utiles et réponses discutables – Le catastrophisme éclairé : Les francs tireurs : Michel Soriano – Christian Coméliau – Hubert Kempf – Dominique Bidou – Les solutions politiques : des forces sociales insuffisantes : L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas – L’éco-économie de Lester Brown – ATTAC et le développement durable – Les solutions pragmatiques : des forces sociales introuvables : Les mille petits gestes – Le Grenelle de l’environnement – Les indicateurs de développement durable – A quoi servent les indicateurs ? – L’empreinte écologique – Les solutions corporatistes : des forces sociales partisanes : La solution technologique – Le capitalisme vert – Les négationnistes – Des solutions aux acteurs 4 Les acteurs du Développement durable – Le consommateur/citoyen : De la responsabilité du consommateur – Pour une télévision vraiment différente – Un consommateur bien désarmé – Les entreprises – Les gouvernements : Le protocole de Montréal – La sécurité routière et la lutte contre le tabagisme – La fiscalité environnementale, outil de protection de l’environnement – Le dilemme du politique – Changer les règles du jeu politique

Références de l’ouvrage

Références : Faut-il croire au développement durable ? de Gilles Rotillon – Editeur : L’harmattan – Parution : novembre 2008 – ISBN13 : 9782296064454 – Prix public : 21,00 €

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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