Le projet « Entre Deux Eaux » est à l’initiative de deux diplômés de l’Ecole supérieure de commerce de Lille (ESC lille), option management de projet, Emeline HASSENFORDER et Benjamin NOURY. « Entre Deux Eaux » est un projet de recherche itinérant au service de l’eau. Afin d’aider les porteurs de projets futurs, Emeline et Benjamin souhaitent analyser les projets de coopération transfrontalière existant dans 11 bassins hydrographiques qu’ils ont préalablement identifiés. Cette analyse leur permettra de comprendre pourquoi ces projets ont réussi ou échoué, quels ont été les obstacles et les risques à leur développement et, finalement, quelles leçons en tirer pour les projets à venir. Dans un deuxième temps, faire prendre conscience au grand public, par l’intermédiaire d’un livre présenté sous forme de carnet de voyage, de l’importance de coopérer autour des ressources en eau : économiser l’eau domestique est une chose, mais accepter que des centaines de migrants climatiques arrivent dans les pays développés parce qu’ils sont victimes de sécheresse ou d’inondation est une problématique d’une autre ampleur. Une prise de conscience facilitée par les témoignages et découvertes de ce voyage Entre Deux Eaux …
Le Jourdain. Quel fleuve plus politique, religieux, idéologique et historique que celui-là ? Au Moyen-Orient, les guerres font rage, dont nombre sont liées à la situation hydrologique de la région. Partagé par cinq pays (Liban, Syrie, Israël, Palestine, Jordanie) aux richesses en eau diverses et variées, le bassin d’un des fleuves les plus connus au monde est aujourd’hui quasiment asséché. D’où viennent ces tensions, qu’impliquent-elles, que vont-elles devenir ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre après deux mois et demi passés dans la région à ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et à noter ces précieuses informations et témoignages dans notre petit carnet bleu… AU SOMMAIRE DE CE MOIS-CI : L’eau au Moyen-Orient – Etat des lieux Le Jourdain, un lourd passé Les problèmes de gestion des ressources dans chacun des 3 pays : Israël, Palestine, Jordanie. Comment vit-on au Moyen-Orient sans eau ? Imaginez-vous ouvrir le robinet et que rien ne coule… La mainmise israélienne sur l’eau palestinienne – Les accords d’Oslo et de Gaza-Jéricho (1994) – Les puits et tuyaux, largeurs non autorisées – Les settlements Les relations hydropolitiques entre Israël et ses voisins (Turquie, Syrie, Liban, Jordanie) Les projets de collaboration en cours Conclusion : Comment faire avancer le débat ? Les quelques conseils que nous avons retenu…Le Jourdain : attention eaux politiques !
Le Jourdain. Quel fleuve plus politique, religieux, idéologique et historique que celui-là ? Au Moyen-Orient, les guerres font rage, dont nombre sont liées à la situation hydrologique de la région. Partagé par cinq pays (Liban, Syrie, Israël, Palestine, Jordanie) aux richesses en eau diverses et variées, le bassin d’un des fleuves les plus connus au monde est aujourd’hui quasiment asséché. D’où viennent ces tensions, qu’impliquent-elles, que vont-elles devenir ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre après deux mois passés dans la région à ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et à noter ces précieuses informations et témoignages dans notre petit carnet bleu…L’eau au Moyen-Orient – Etat des lieux
Le Moyen-Orient est une région relativement pauvre en eau. Alors que les Etats du golf s’en sortent plutôt bien, grâce à un portefeuille bien rempli, la situation est un peu différente lorsque l’on se dirige vers la Méditerranée. Les régions de Galilée et du Golan sont le château d’eau d’Israël, ainsi que de l’Autorité Palestinienne. La Jordanie, quant à elle, est moins bien servie puisqu’elle partage toutes ses principales ressources en eau avec d’autres pays : le Jourdain avec Israël, l’aquifère de Disey avec l’Arabie Saoudite, le Yarmouk avec la Syrie. La région souffre de trois problèmes majeurs : – l’évaporation puisqu’en été les températures grimpent jusqu’à 40 à 50°C – l’érosion des sols – et depuis 5 ans de fortes sécheresses. L’Etat d’Israël, la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie se partagent, pour l’essentiel, les mêmes ressources en eau : – Le Jourdain, long de 30km environ, il prend sa source dans le mont Hermon (au nord d’Israël) et se jette dans la mer Morte. Il est alimenté par trois sources principales : le Hasbani venant du Liban, le Banyas sur les plateaux du Golan et le Dan d’Israël. Au sud du lac de Tibériade, il est rejoint par le Yarmouk venant de Syrie puis de Jordanie (lire l’article sur le Peace Park à la confluence). Au jour d’aujourd’hui, des 640 millions de mètres cubes de débit annuel à sa source ne restent qu’environ 200 millions de mètres cubes à son arrivée dans la Mer Morte, soit presque rien pour un fleuve de cette importance (en comparaison, le débit annuel du Nil est environ de 84 milliards de m3). Où part toute cette eau ? 75% sont détournés vers le « National Water Carrier » israélien afin d’alimenter le pays en eau. Le reste est détourné par la Jordanie via le King Abdullah Canal et la Syrie (puits profonds, vastes zones de retenues, projets de 28 barrages) au niveau du Yarmouk. Si bien que le Jourdain est presque à sec et que la Mer Morte porte bien son nom, puisque son niveau baisse chaque année d’un mètre environ et qu’elle se trouve aujourd’hui à -415 m en dessous du niveau de la mer. Deux aquifères fournissent plus du cinquième des ressources à la région: – L’aquifère de montagne se situe sous les collines de Judée-Samarie, c’est-à-dire à cheval entre la Palestine et Israël, et dispose d’environ 660 millions de m3/an partagés en 3 bassins : ouest, nord et est. – L’aquifère côtier, étiré d’Haïfa à Ashkelon en passant par la bande de Gaza, avec une capacité d’environ 300 millions de m3/an. Source : http://www.passia.org/palestine_facts/MAPS/newpdf/Surface-Water.gif Les quantités d’eau potable de bonne qualité disponibles par personne et par an sont variables en fonction des pays de la région : – 250 m3 en Israël, – 85 m3 dans les Territoires Palestiniens, – 150 m3 en Jordanie, – 1 200 m3 à 3 000 m3 par personne et par an pour le Liban et la Syrie, sans tenir compte du Golan pour la Syrie (du même ordre que la France). (Source : Interview avec Dr Abdelrahman Tamimi, Director General of the Palestinian Hydrology Group, 07 Avril 2009).Le Jourdain, un lourd passé
(Pour consulter l’historique complet de la région, cliquer sur ce lien) L’eau est intimement liée à l’historique de la région. Déjà au lendemain de la première guerre mondiale, le président de l’Organisation mondiale sioniste, Haïm Weizmann, adressa au Premier ministre anglais Loyd George la lettre suivante : « Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau… Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière Nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon ». L’objectif était de garantir au futur état une autosuffisance en eau et d’éviter les conflits liés à la ressource. Cependant, en 1920, suite à la conférence de San Remo, la frontière est fixée à une trentaine de kilomètres au sud du Litani. En 1948, lors de la Guerre d’indépendance israélienne avec ses voisins arabes, les dirigeants du nouvel Etat israélien ont toujours en tête des objectifs incluant les ressources de la région : 1/ Contrôler la Galilée et le Jourdain pour maîtriser les ressources hydriques, 2/ Renforcer économiquement la zone côtière et ses villes, 3/ Faire fleurir le désert du Néguev pour absorber les flux migratoires. A la fin de la guerre, environ 727 000 Palestiniens se réfugient dans les pays voisins. A partir de 1953, les projets de développement des infrastructures fleurissent dans la région : Israël entreprend la construction du National Water Carrier, en partie détruit par des tirs d’artillerie syriens mais terminé tout de même en 1964 puis étendu en 1969. La Jordanie, quant à elle, termine le canal du East-Ghor ou King Abdullah canal en 1961, qui sert aujourd’hui à irriguer toute la partie ouest du pays. En 1965, Syrie et Liban entreprennent des projets de détournement du Yarmouk et du Hasbani afin de contrôler le Jourdain à la source. En 1967, suite à la guerre des 6 jours et à l’attaque menée par les pays arabes, Israël contrôle de nombreux territoires stratégiques pour leurs ressources en eau : le Golan à la Syrie, la Cisjordanie et Jerusalem est à la Transjordanie, Gaza et le Sinaï à l’Egypte et le Liban Sud. Toutes les ressources en eau de Gaza et de la West Bank sont contrôlées par Israël. Depuis lors, les Palestiniens n’ont plus accès aux eaux du Jourdain, bien qu’étant un pays riverain sur 80km. Dix ans plus tard, les « settlements » (voir paragraphe ci-dessous) israéliens commencent à s’installer sur les territoires palestiniens, concomitants à l’élection du Likoud. En 1980, de nouvelles restrictions sont imposées sur les puits suite aux sécheresses. En 1994, les Accords de Gaza-Jericho, venant compléter ceux d’Oslo, cèdent le contrôle des ressources en eau situées sous Gaza et Jericho à l’Autorité Palestinienne nouvellement créée. L’article 40 notamment traite de l’eau et des déchets mais a laissé les palestiniens insatisfaits sur de nombreux aspects (L’article ne fait pas mention du Jourdain, ni de l’état des ressources mais uniquement de l’approvisionnement, ne traite pas de sujets socio-économiques liés à l’eau comme les réfugiés et les settlements.) Cependant, ces accords seront peu respectés et ne dureront que jusqu’à la 2ème intifada en 2000. Les problèmes de gestion des ressources dans chacun des 3 pays : Israël, Palestine, Jordanie. A la faible quantité d’eau de la région s’ajoutent de nombreux facteurs qui accentuent la gravité de la situation. En Israël : La population israélienne aspire à un mode de vie européen ou nord-américain, qui vient en partie du rêve sioniste et en partie de la provenance de nombreux juifs israéliens, si bien que les habitudes de consommation de la population sont celles de pays riches en eau dans une région pauvre hydrologiquement : jardins verts et fleuris, piscines, espaces verts… ; Le lobby agricole est très fort: l’agriculture est subventionnée et utilise 65% des ressources en eau alors qu’elle ne représente que 3% du PIB ; Depuis une centaine d’année, l’agriculture pratiquée par les kibboutzim et les moshavim (voir vidéo « Kibbutz israélien ») occupe une place prépondérante dans la politique israélienne ; L’un des piliers du sionisme est de « rendre le désert bleu » pour « peupler le Néguev », impliquant l’irrigation de régions sèches et désertiques dans le but d’étendre les territoires juifs. En Palestine : Le schéma agricole ne correspond pas aux ressources existantes : le pays est parcouru par des plantations bananes (notamment dans la région de Jericho « Royaume de la banane ») fortement consommatrices en eau. Cependant le gouvernement a toutes les peines du monde à changer les mentalités ; La population a parfois un usage immodéré de l’eau : le lavage de voitures est monnaie courante, sans compter le « dépoussiérage des rues » ; Il n’y a peu ou pas de gestion des déchets et des eaux usées : moins de 50 % des déchets sont collectés, nous avons passé notre séjour à faire la police auprès des petits et grands qui jettent tout n’importe où sans aucune considération pour leur environnement ; Les canalisations sont en très mauvais état, malgré des aides financières massives notamment européennes, qui ne semblent pas employées à cette fin : le réseau engendre près de 40 % de pertes; La croissance de la population est un phénomène aggravant: aujourd’hui la population atteint 1.5 million, et doit doubler d’ici 2020. En Jordanie : Le « 4ème pays le plus pauvre en eau au monde » (variable en fonction des classements), c’est ce que tous les jordaniens n’ont pas arrêté de nous marmonner pendant notre séjour. La Jordanie a désespérément besoin d’eau pour poursuivre sa croissance économique et pour survivre tout simplement. Les jordaniens se tournent donc vers des solutions à grande échelle mais à un coût très élevé comme le canal Mer Rouge – Mer Morte (voir paragrapphe ci-dessous) ou la désalinisation ; Les aquifères sont surexploités : sur 12 nappes, 10 manquent d’eau ; L’agriculture jordanienne a besoin d’une réforme que le gouvernement tarde à entreprendre : l’agriculture représente seulement 3% du PIB pour 75% de l’utilisation des ressources. Le pays continue à exporter des bananes, tomates ou citrons et à « exporter son eau » (propos d’Abdulrahman SULTAN, membre de l’ONG Friends of the earth Middle East à Amman). De plus, l’eau est subventionnée, notamment pour les agriculteurs qui, du coup, n’y font pas attention; Le réseau et les canalisations sont mal entretenus, par manque de moyens : plus de 40% de l’eau qui y entre est perdue ; Trois organisations principales s’occupent de la gestion de l’eau: le Ministère de l’eau et de l’irrigation (MoWI), l’Autorité Jordanienne de l’eau (WAJ) et l’Autorité de la Vallée du Jourdain (JVA), entraînant une gouvernance complexe et divisée. Lire l’intégralité de la Newsletter entre 2 eaux Prochaine newsletter : courant juin sur l’Indus (Inde/Pakistan)