Ce livre, résume Nicolas Hulot, met en lumière une multitude de passerelles pour édifier une société plus durable. Contre l’impuissance et la résignation, il explore des solutions concrètes, portées par des « passeurs » qui s’activent sur le terrain. Thanh Nghiem prône la nécessaire « pollinisation des idées » favorisée par le web, des territoires intelligents et des « communautés apprenantes » pour développer une intelligence collective au service d’une société libre et durable.
L’auteur de ce livre, Thanh Nghiem, 44 ans, a suivi un parcours hors normes. Diplômée de l’école des Mines et de l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD), elle est la première femme élue partner chez McKinsey en France. En 2001, elle rejoint le groupe Suez-Ondeo en tant que directeur stratégie & business development. En 2002, elle quitte tout pour fonder l’institut Angenius, organisme à but non lucratif qui met à disposition des outils et connaissances en matière de durabilité en intégrant les principes du libre, pour permettre à chacun de migrer vers des modes de vie durables selon ses propres critères et à son échelle, sans obligation marchande. Elle enseigne aujourd’hui à HEC et donne de nombreuses conférences. Dans la vidéo ci-dessous, elle explique le sens de sa démarche : Je vous invite à prendre le temps de lire ci-dessous le synopsis du livre « Des abeilles et des hommes » rédigé par l’auteur elle-même. Ce livre vient de paraître aux éditions Bayard (références complètes en fin d’article). – Achetez le livre Des abeilles et des hommes chez notre partenaire Amazon.fr pour 15,20 € en cliquant iciIntroduction
« Nous consommons trois planètes, cela ne peut continuer », vous connaissez la ritournelle du développement durable. Alors pourquoi le changement est-il si lent ? La crise peut-elle provoquer un sursaut salutaire ? Faillites bancaires en cascade, effondrement économique, la crise de 2008 dépasse tout ce que l’on a connu. Tout cela va changer, nous a-t-on promis. Et pourtant. Dès 2009, les marchés financiers ont repris, alors que l’économie réelle se traînait, et que la pauvreté, les inégalités, les déséquilibres planétaires continuaient de se creuser. D’évidence, le jackpot au grand casino de la « haute finance » fait plus que jamais recette, de même que le loto et le PMU en période de marasme. Tel un virus, le capitalisme a déjà muté à l’insu de ses nombreuses victimes. Le rouleau compresseur continue d’avancer pendant que l’on divertit l’attention du public et que l’on épuise ceux qui résistent en les dispersant sur tous les fronts. Les ONG, la recherche, l’éducation, les services publics sont mis en coupe réglée. Le capitalisme cognitif crée un nouveau prolétariat qui vient rejoindre les masses de laissés-pour-compte. L’université remplace les cols bleus et les salopettes de l’usine par des diplômés sans horizon. Le système est si gangréné que nous ne savons même plus si nous sommes en rémission, en récidive ou en phase terminale. Changement de civilisation ou nouveau retour à la case départ ? Les ritournelles du « développement durable » laissent entendre que tout peut revenir à la normale, moyennant quelques petits sacrifices pour la planète. Optimisme béat qui fait croire que fermer le robinet en se lavant les dents, manger bio, porter des tee-shirts ethniques ou faire de la poterie zen, cela suffira. Le misérabilisme social qui remplit les yeux de larmes n’aide pas plus à affûter la vision. Et la technologie avec ses promesses nano, biotech ou géniques ? Ces emplâtres ne pourront profiter à tout le monde, à cause du principe d’entropie qui appose des limites naturelles au développement technologique. Aussi et surtout, à cause de l’avidité humaine. La richesse se concentre comme jamais, au détriment de l’immense majorité qui se retrouve démunie dans les tumultes. Nous souffrons d’une perte de sens qui s’apparente à une amputation existentielle. Nous ne savons plus ce qui a de la valeur, confondant cette dernière avec le prix des choses. Ainsi le « look » ou une action spéculative ont de la valeur – mais pas une balade gratuite en forêt. Obsédés de vitesse dans une course éperdue contre le temps et la mort, nous perdons nos valeurs, ces références qui font la qualité de l’homme et de la société : solidarité, humilité, respect, patience, douceur… On en ricane aujourd’hui, quand on ne piétine pas ceux qui y croient encore. Quant aux dernières « valeurs » encore vierges – le savoir, l’accès à la connaissance –, le capitalisme tente déjà d’en verrouiller l’accès pour s’en approprier les rentes marchandes. Dans ce contexte, le développement durable peut-il encore faire partie des solutions ? ***** Jusqu’à 36 ans, j’ai gravi sans hésitation les échelons menant aux centres de décision du turbo-capitalisme. J’ai ainsi « fait carrière » dans les directions générales des grandes firmes, les marchés financiers, le boom de l’Internet. Le tournant des années 2000 m’a poussée à tout remettre à plat. Effondrement du marché, interrogations sur le sens, introspection, questionnement sur ce qui est utile. J’ai alors plongé dans le monde des ONG pour explorer les promesses de ce fameux « développement durable ». J’ai brutalement dessillé devant les puits d’intolérance et l’irréconciliable au quotidien. L’homme de la rue, le haut fonctionnaire, le commerçant, le militant ou le financier partageant une incompréhension réciproque, des mépris emmurés. J’ai réalisé que nous étouffions dans des niches sans nous en rendre compte, encastrés dans des systèmes pyramidaux et des tempos en accélération continue. À l’écart, j’ai rencontré des passeurs qui ouvrent des espaces de liberté. Acteurs de terrain, hackers, acrobates de la vie ou penseurs de tous horizons, ils font émerger des solutions au quotidien. Je voudrais décrire leur pensée, leurs itinéraires et leurs façons d’agir, restituer les clés qui m’ont marquée. Documentaire ou manifeste, ce témoignage invite à regarder autrement ce que l’on a sous les yeux. Il invite à enlever les lunettes qui nous font prendre des éléphants pour des mimosas[[Trait inventé en 2004 par Arthur Koestler. Croisement entre l’éléphant et le mimosa, cet hybride est délicat comme un mimosa à propos de ses propres sentiments, mais aussi insensible qu’un éléphant quand il piétine les émotions des autres]]. À mobiliser nos intelligences pour apprendre de la multiplicité et anticiper une mutation que nous devrons vivre de gré ou de force. Avec plus de 6.5 milliards d’humains sur une planète en démolition, nous n’avons pas d’autre solution que de devenir intelligent à grande échelle. Que peut un individu isolé ? Comment relier l’individuel et le collectif ? Et si Internet, la contagion des idées ou les processus culturels pouvaient nous y aider ? Quel rôle les ressorts psychologiques, l’éducation, des territoires intelligents ou des systèmes alternatifs de société peuvent-ils jouer ? Voilà quelques-uns des sujets abordés dans ce livre. À l’heure où nous croulons sous la gabegie d’informations, la légitimité repose sur l’inclusion, la vérifiabilité, plutôt que le savoir absolu. Butinage, narration, recherche de terrain ou compilation théorique, ceci n’est pas tant un livre qu’un processus qui se déroule à côté et à partir de multiples apports – dont ceux des experts, mais pas seulement. Il traverse un champ diversifié de savoirs sans chercher à opposer ni classer. La transformation espérée passe par l’entrée en résonance de deux mondes, celui de la matière et celui des idées. Les passeurs ouvrent des voies, entretiennent les passerelles et multiplient les correspondances. Fondées sur les principes d’une écologie du don et de la connaissance, celles-ci nous permettent de faire face au problème jusque là insoluble des limites de la planète posé par le principe de l’entropie. Ce livre est conçu comme un écosystème, on peut y entrer par n’importe quel bout. Il expose des points de vue et leurs clés de lecture, invite à vérifier et recouper. Il permet des allers-retours pour défaire et refaire le plancher de nos certitudes. Prônant la transversalité et l’ouverture, il rejette le « grand partage » entre expert et profane, moderne et primitif, nous et les autres. Il revendique l’horizontal, l’émergence, le frottement des multitudes pour sortir du statu quo et inventer – hacker – d’autres modes de vie. »Première partie. La fin d’un monde
Dérèglement climatique, catastrophes naturelles, désastres humanitaires, économie mondiale en déroute, rien ne va plus. L’imagerie du Titanic, sombrant avec ses fastes dans les eaux sombres et glacées de l’Atlantique Nord, fait plus que jamais recette. Tandis que l’horizon s’assombrit, la théorie de l’effondrement des civilisations hante les esprits. Par le passé, de nombreuses civilisations auraient brutalement disparu à la suite des désastres écologiques qu’elles auraient provoqués. Pour nombre de militants, voilà ce qui nous attend si nous continuons dans la démesure. Objet des espoirs les plus fous, les nouvelles technologies peuvent-elle nous sauver ? Les chimères de l’homme augmenté jettent une ombre effrayante sur le sens du progrès. Le mythe de la croissance infinie continue de faire rêver, alors que nous la savons impossible sur une planète limitée par le principe de l’entropie. Pour la machine emballée, le gouffre n’est pas loin. Cependant, clouer au pilori le capitalisme, le marché et la mondialisation ne résoudra pas le problème. Une analyse attentive des crises de l’histoire révèle les ressorts qui se cachent derrière leur inlassable répétition.Deuxième partie. Le monde en transition : solutions émergentes
Loin de ces vaines considérations, des passeurs anonymes font émerger des solutions pleines de promesses. Premier champ, Internet et les nouveaux territoires qu’il permet d’ouvrir Wikipédia, Google, YouTube, blogs, tags et réseaux sociaux opèrent une révolution invisible derrière nos écrans. En permettant à des milliers d’anonymes de contribuer à une œuvre collective, le Web 2.0 démontre la vigueur de l’économie du don et des processus apprenants. Il matérialise l’idéal d’un accès illimité à la connaissance et engendre de nouvelles formes de production sociale, sources d’intelligence collective à grande échelle. Mais les ombres s’épaississent. Des titans s’affrontent pour prendre le contrôle de ce nouvel eldorado. La guerre des droits fait rage. Pourrons-nous demain accéder librement à nos biens communs les plus précieux ? Deuxième champ, l’intelligence collective. Mise en évidence par l’observation de sociétés animales complexes telles les fourmis ou les abeilles, elle explique comment des multitudes s’organisent pour produire des richesses étonnantes. L’analyse des comportements de groupe au sein de notre société livre les clés d’une sagesse des foules et d’une intelligence collective dépassant celle des systèmes pyramidaux et de l’expertocratie. Les prodiges du Web 2.0 tels Wikipédia en donnent des illustrations à grande échelle. L’intelligence désigne la capacité à relier les choses entre elles, à lire entre les lignes. L’émancipation en est la condition première. Troisième champ, la culture abordée par le prisme d’une « physique sociale ». Inspirée de Darwin, la théorie des mèmes analyse le succès des idées par leur capacité à se répliquer tels des gènes ou des virus. Celle de la contagion des idées propose une épidémiologie de la culture fondée sur l’interprétation et la transmission des représentations. Machine à fabriquer des contes modernes, le storytelling est ainsi en passe de devenir une « arme de distraction massive », tandis que le Web 2.0 permet une contagion des idées par la base. Courons-nous le risque d’être contaminés par le futile, les croyances irrationnelles, les idéologies ? A l’inverse, le durable pourrait-il se propager tel un antidote renforçant nos défenses immunitaires ? Partout, des précurseurs ouvrent la voie, tels des embryons de société durable. Pourront-ils devenir contagieux ? Quatrième champ, les passeurs. Au coeur de ces solutions émergentes, des individus singuliers s’activent avec passion, effaçant les frontières entre usager et producteur, loisir et travail, expert et profane. Hackers, savants mutants ou professionnels-amateurs, ces émancipés constituent de puissants moteurs de changement. Délaissant la logique marchande, ils catalysent un processus d’innovation ascendant. L’effervescence du bazar vient troubler le silence de la cathédrale.Troisième partie. Passerelles et résonances
Le système nous a mené au bord du précipice. La crise nous oblige à réagir vite parce que le temps nous est compté. Des passerelles ont cependant été jetées vers un autre monde, dans lequel libre et intelligence riment avec durable. À nous de les emprunter et d’établir des correspondances. Rien n’est joué. Première passerelle. À l’échelle individuelle, des modes de vie durables. Il n’y a pas de vérité en la matière. Le bon sens nous invite à revoir les notions de besoin, de goût et de bonheur. Qu’est-ce qu’un « consommateur responsable », sinon la dernière invention des marchands pour relancer un manège décervelant ? Affranchis du système, de nouveaux courants s’affirment. Créatifs culturels, frugaux ou activistes de la lenteur, peu importe l’étiquette dont on les affuble. Ces sensibilités touchent un nombre croissant d’individus stimulés par la recherche de sens, l’autonomie et l’équilibre à la carte. Deuxième passerelle. À l’échelle collective, repenser l’éducation, l’autorité. Monopoles, gabegie médiatique, retour des idéologies, la voie est semée d’embûches. Oracle hégémonique, Google va-t-il avec son programme « Androïde » entrer sans retour dans nos cerveaux ? Pour que la sagesse des foules revienne dans la Cité, les individus ne doivent plus être guidés par les seuls signaux du marché et de l’expertocratie. Une culture du libre et durable doit être propagée. « La machine, c’est nous », affirme un enseignant-chercheur spécialisé dans l’anthropologie du Web, nous enjoignant « d’explorer l’autorité » dans le monde des idées, au lieu de la subir. Troisième passerelle. À l’échelle des espaces habités, tisser de nouvelles formes d’intelligence entre territoires et communautés. Par nécessité ou prescience, des communautés apprenantes inventent avec les « moyens du bord » des modes de vie adaptés à leur territoire, au-delà du système dominant. De leur côté, à la différence d’espaces fermés générateurs d’entropie, des territoires intelligents facilitent la circulation des êtres et des idées, revisitant les notions de frontières, de propriété, de mobilité. Ces tiers espaces tissés par des territoires intelligents et des communautés apprenantes constituent des foyers pour permettre la mutation par contagion culturelle. Quatrième passerelle. À l’échelle de la société, des systèmes de vie alternatifs. Le modèle capitaliste du chacun pour soi prend des coups de partout. Des économistes remettent en cause le principe d’un homo oeconomicus parfaitement rationnel. Les experts s’accordent sur la nécessité de dépasser le PIB pour s’intéresser au patrimoine naturel et au bien-être humain. Refonte ou simple ravalement de façade ? Théorisée par Marcel Mauss à partir de l’observation de sociétés indigènes, la sociologie du don propose des alternatives d’une autre nature. Pour elle, la sphère du don est au cœur de la société et fonde le lien entre les individus. Portés par la crise, des systèmes de vie basés sur ses principes se déploient partout dans le monde. Ces passerelles nous permettent de faire face au problème jusque là insoluble des limites de la planète. A l’inverse des biens matériels, la connaissance ou le don permettent de réduire l’entropie car ils s’accroissent quand on les partage. Dans son acceptation courante, le don est un cadeau. Mais il possède un autre sens. On dit du génie qu’il « possède un don ». Récepteur de cette inspiration qui le dépasse, le créateur « donne de lui » pour retransmettre ce don et toucher son public. Le processus créatif repose ainsi sur un don à double sens. Le Web 2.0 ouvre aujourd’hui les écluses à une créativité humaine illimitée. En permettant à des milliers d’anonymes de collaborer pour créer une œuvre collective, il abolit le mythe de l’artiste isolé vivant dans l’ombre des happy fews. Au sein de ces communautés, chacun peut devenir usager, amateur ou artisan de ses modes de vie. Émancipés, « nous sommes tous des créateurs ». C’est pourquoi libre et durable sont deux visages inséparables de la solution.Conclusion
Et maintenant ? La température va-t-elle augmenter de +2 ou +4°C demain ? L’intelligence collective est-elle une utopie ? Faut-il être optimiste ou pessimiste ? Voilà bien le type de questions sur lesquelles il ne faudrait pas s’attarder. Nous préférons demander : que faut-il pour que « ça généralise » – ces bonnes idées, ces solutions qui fleurissent partout dans le monde ? Web collaboratif, ouverture des savoirs, sagesse des foules, cellules souches montrent que la mutation a commencé. La contagion des idées nous indique comment passer du local à l’échelle globale. La crise sous ses diverses formes, c’est notre problème à tous. Les solutions des passeurs, ce sont leurs réponses pour nous. De eux à nous, où suis-je ? Qu’est-ce qui m’empêcherait de devenir proam, hacker, passeur ? Notre société laisse de moins en moins de place au rêve, à l’interprétation, à ce qui singularise l’individu. Nous vivons dans des décors en carton où le factice maquille le réel, étouffant dans des cases remplies d’insignifiant. Mais, à l’instar des prodiges collaboratifs du Web 2.0, la machine c’est nous. Les penseurs d’hier et les passeurs d’aujourd’hui nous enjoignent d’apprendre à apprendre. Universités populaires, campus alternatifs, nomades en connexion planétaire, bazars du libre, de multiples formes d’auto-organisation du savoir voient le jour. Nous sommes appelés à être tous de perpétuels étudiants-enseignants-chercheurs. C’est dans cette mouvance émancipatrice que le durable pourra devenir un processus du bon sens tout au long de la vie. Mon souhait est que ce livre circule et serve de déclencheur, irriguant la réflexion individuelle et collective. Le processus apprenant se fait en discutant aussi bien dans les bistrots que dans les écoles ou à la maison. Profane, néophyte, expert ou savant patenté, tous mêlés. Ce livre ne veut pas changer le monde, seulement bousculer et interroger la façon dont chacun de nous appréhende son monde. Parce qu’elle est au cœur du cycle de fécondation de la nature, la pollinisation par les abeilles engendre 350 fois plus de richesses au monde que les seuls miel et cire produits dans les ruches[[Yann Moulier Boutang, revue Multitudes n°39 novembre 2009, p 16]]. De même, la pollinisation libre des idées pourrait-elle permettre l’émergence d’une société d’abondance, résolvant le problème de l’entropie et de la durabilité ? – Télécharger le sommaire au format PDF en cliquant iciCommander cet ouvrage
– Références : Des abeilles et des hommes de Thanh Nghiem – Éditeur : Bayard – Date de parution : 16 septembre 2010 – 250 pages – ISBN13 : 978-2-227-47900-5 – Prix public : 16 €