La déforestation amazonienne : un enjeu de survie pour les médecines traditionnelles. « J’apprenais que le chamanisme est fortement lié avec la création, que les êtres de la nature nous enseignent … » Christiane Teissier, auteur de « Chez les chamans d’Amazonie » aux Editions Dervy, est une méridionale cartésienne et dynamique, qui nous livre avec humour et sincérité le carnet de voyage d’une aventure intérieure et personnelle au cœur de la jungle péruvienne.
Propos recueillis par Philippe Boulahia «A l’âge d’être grand-mère et de m’occuper des petits enfants, A l’âge ou l’on met de l’ordre dans sa vie, dont certain apprécie la retraite et se contente de faire quelques petites promenades, ou quelques excursions à la journée, moi, j’ai entrepris de faire un grand saut à l’élastique dans les profondeurs de mon être et de la jungle amazonienne. De formation comptable, j’ai passé un grand nombre d’années dans un bureau, devant un ordinateur, à établir des bilans, élaborer des payes, régler les comptes des autres, à décortiquer des textes de lois, mais l’exigence du marché du travail rendait vorace les employeurs, il fallait être encore et encore plus rapide, efficace, à ce rythme effréné j’ai perdu ma santé. J’ai été victime de ce que l’on appelle un burn out…
j’y ai perdu mon âme.
Cela commença par une légère douleur dans la fesse droite, une étrangère qui petit à petit avait fait son nid dans mon corps, pour s’étendre insidieusement à toute la jambe. Cette voix-douleur au début, on ne l’écoute pas, ou on ne l’entend pas. Comme le ferait un maitre à son chien, on lui jette un os-médicament, mais elle insiste : « Je suis là, écoute moi, j’ai des choses à te dire, il y a un problème, attention, SOS, ton corps en a assez, tu le maltraites ! ». Les mois passaient ainsi. Alors un jour, lassée de n’être point écoutée la voix-douleur s’est mise en colère ! Elle m’a cloué au lit !Pas besoin de sangle !
Plus question de conduire, de marcher, de s’asseoir ! Et dans la société, dans la vie de tous les jours, cela veut dire ne plus faire les courses, ne plus aller dîner chez les amis, ne plus travailler. Quand elle survient, la douleur vous dévore, vous mange le cerveau et vous ne pouvez tout simplement plus vivre. Alors que j’étais effondrée dans mon canapé et que je noyais ma vie dans les ondes de la télévision, un jour je suis tombée sur un reportage en Amazonie, sur le chamanisme, je ne savais même pas de quoi il s’agissait. Je vivais par procuration cette grande aventure qui se déroulait sous mes yeux dans une jungle débordante de végétation, des ombres se déplaçaient comme des gazelles dans cet univers, alors j’ai fermé les yeux et je me suis laissée bercer par le bruit de l’eau qui chantait sur les pierres…je me voyais dans cette nature tellement absente dans mon environnement, je respirais l’odeur de la terre, le vent caressait mon dos et me soignait déjà. Puis, à un moment mon oreille s’est dressée, le commentateur parlait du pouvoir des plantes, du nettoyage du corps trop plein de toxines et de stress qui l’empêchent de bien fonctionner, j’ouvrais à nouveau un œil, tendais un peu plus l’oreille, quittais la position couchée pour mieux entendre.Mon corps tel un chien à la vue d’un nouvel os à ronger s’était redressé.
J’apprenais que le chamanisme est fortement lié avec la création, que les êtres de la nature nous enseignent… j’entendais parler de plantes qui portaient de drôles de noms et de leur propriétés et je pris conscience combien la vie moderne nous coupe de notre origine, en nous offrant des mondes virtuels auxquels nous devenons parfois dépendants. Est-ce la perte de ce contact avec la faune, la flore, les montagnes, les rivières ou les lacs qui nous poussent à nous épanouir devant la Télévision, nous épanouir ou mourir…Alors, j’ai senti mon terrible manque
manque de végétation, de nature, d’air pur, de senteurs, de vie simple, épuisée par des années de stress et de travail intellectuel moi qui subrepticement glissait dans la pénombre de la dépression, dans cette tour de dix étages faites de béton et de métal. Ce jour là, il s’est passé quelque chose au plus profond de moi : un déclic dans ma tête. Les chamanes trouvent leur savoir et leur pouvoir dans la nature qui les entoure, transmis par les ancêtres et les esprits avec lesquels ces guérisseurs restent continuellement en contact. Mais la forêt amazonienne est en danger, elle est mise en péril par les sociétés pétrolières ainsi que par la déforestation.Alors que deviendrons-nous ?
Que deviendra la connaissance de ces guérisseurs par les plantes si nous laissons faire cela, assis tranquillement dans notre canapé devant un poste de télévision ? J’ai toujours été préoccupée de l’environnement, de cette forêt que l’on appelle le poumon de la terre et que l’on maltraite à coup de tronçonneuses broyeuses, aussi j’ai décidé d’aller voir là bas de l’autre côté de la terre comment soigner mon corps et mon esprit pour ne pas tomber dans le cercle infernal des anti-dépresseurs et des analgésiques trop puissants. A soixante ans, alors que j’étais clouée de fatigue et de stress, d’angoisses, épuisée par une vie de lutte et de travail trop intense, alors que je me résignais, ma vie a basculée !Il me fallait agir.
Partir dans un premier temps pour aller me ressourcer là bas dans la forêt, prendre soin de mon corps, le guérir, apprendre à vivre autrement, dans la simplicité, ne plus participer à la déforestation, pas simplement m’insurger vis-à-vis de cette mécanique insensée, mais mettre les mains dans la boue, dans le sang de la terre, le cambouis de ce moteur-organe planétaire, d’en être partie prenante en conscience. C’est ainsi que j’ai pu mesurer les pouvoirs déstabilisants de cet environnement et de cette pharmacopée hautement active. J’étais reconnectée à des conflits intérieurs et des mémoires profondes avec une intensité dans le corps jamais atteinte lors de mes précédentes « plongées thérapeutiques ». Au retour en France, je me suis rendu compte à quel point j’avais mésestimé le temps nécessaire à l’épanouissement de cette expérience pour intégrer cette curation intérieure, trier tout cet apport inconscient qui m’a été livré, relier cette transformation profonde à mon existence, intime, familiale, citadine, permettre à cette régénération créative d’éclore patiemment, aussi bien à un niveau personnel que collectif. Aujourd’hui, la fleur au fusil, je suis entrain de reprendre un autre flambeau, je me trouve une âme de chamane :faire connaitre l’Amazonie
Combien ce poumon vert de la terre porte bien son nom, combien l’exemple de ces peuples devrait nous servir de référence au lieu de les sous estimer et de les spolier. Cette part ancestrale de notre humanité que nous piétinons, cette mémoire originelle que nous nous refusons. L’éternel combat de la connaissance dans le jardin d’Eden. La préservation d’un patrimoine environnemental et la transmission de ces médecines traditionnelles, les métissages culturels et la santé interculturelle sont des ressources vitales pour notre avenir. » Christiane TeissierArutam
Christiane Teissier nous invite à découvrir ARUTAM une association française de soutien aux peuples autochtones en Equateur, au Pérou et au Mexique qui œuvre pour la protection de la biodiversité, des forêts, des territoires et des savoirs-faire autochtones : Zéro Déforestation, Bateau Selva Viva, …Conférence de Jeremy Narby
ACTU – Conférence de Jeremy Narby « Les peuples indigènes d’Amazonie et les plantes médicinales » le 2 février 2012 à Liège