Après avoir largement rogné l’ambition du projet initial de « contribution climat-énergie » (taux à 17 euros par tonne de CO2 seulement, pas d’engagement sur la progressivité de ce taux, pas de taxation de l’électricité, exemptions et taux réduits pour certains secteurs), le Gouvernement vient d’annoncer l’abandon du projet. Pour le Réseau Action Climat – France, « cette décision, qui semble motivée uniquement par des considérations politiciennes (satisfaire l’aile la plus conservatrice de l’UMP) et clientélistes (satisfaire les dirigeants des secteurs les plus polluants), constitue un reniement des engagements pris par le Président de la République ». Explications.
Pour le Réseau Action Climat – France, « les arguments avancés par le gouvernement sont de pure mauvaise foi » : – Il est très peu probable qu’une taxe soit mise en œuvre au niveau européen, et le gouvernement en a parfaitement conscience. En 1992, la Commission européenne a proposé une taxe sur les émissions de CO2 et la consommation d’énergie et a échoué à cause de la règle de l’unanimité, qui prévaut en matière de fiscalité. « Ce qui n’a pas été possible à 12 États membres sera encore plus complexe à 27 ». – « Au lieu de se réfugier derrière l’échelon européen, d’autres pays ont pris leur responsabilités pour mettre en place une taxe nationale, sans attendre cette improbable décision européenne (la Suède, le Danemark ou l’Irlande depuis le 1er janvier 2010) », constate RAC-F. En Suède, le taux est de l’ordre de 100 euros par tonne de CO2. L’industrie bénéficie certes d’un taux réduit, mais paye environ 20 euros par tonne, soit bien plus que ce que prévoyait le texte du gouvernement français. – L’industrie intensive en CO2, a déjà largement bénéficié de la suppression de la taxe professionnelle : les secteurs qui payaient le plus de taxe professionnelle par unité de valeur ajoutée étaient ceux que le Gouvernement rechignait à soumette à la contribution climat-énergie (production d’énergie, des transports et des biens intermédiaires tels que ciment et acier). – Comme le démontrent les conclusions d’une étude de la Banque mondiale et d’un projet de recherche européen , les taxes CO2-énergie mises en œuvre jusqu’à aujourd’hui dans différents pays n’ont pas d’effet négatif sur la compétitivité industrielleUne contribution pourtant plus qu’indispensable
Dans le cadre du paquet énergie-climat, la France s’est engagée à réduire de 14% ses émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2020, dans les secteurs non couverts par le système de quotas européen (habitat, transport et agriculture). Si l’objectif d’émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne pour 2020 passe de -20% à -30% par rapport à 1990, l’objectif de -14% mentionné ci-dessus sera revu en conséquence. Or les secteurs non couverts par le système de quotas européen ne font pas aujourd’hui l’objet de politiques de réduction des émissions suffisantes pour que la France respecte ces objectifs. Ainsi, le bilan énergétique de la France en 2008, tout récemment publié, indique que les émissions de CO2 du résidentiel-tertiaire ont augmenté de 2,1% en 2008. Les multiples outils fiscaux et financiers destinés à économiser l’énergie et à développer les renouvelables (crédit d’impôt développement durable pour l’habitat, éco PTZ, tarifs d’achat garantis de l’électricité renouvelable, aides de l’ADEME ou des collectivités, bonus-malus des voitures…) ne peuvent suffire, en particulier parce qu’ils n’influencent que le choix des équipements, pas le niveau d’utilisation des équipements consommateurs d’énergie. Taxer la consommation d’énergie est efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme le montrent des centaines d’études statistiques. Un article récemment publié par le président de l’Association européenne des économistes de l’environnement et des ressources naturelles, Thomas Sterner synthétise ces études et montre qu’à long terme, si l’on augmente de 1% le prix des carburants, la consommation diminue de 0,6 à 1%. Sur cette base, il montre que si l’ensemble des pays de l’OCDE adoptait le taux de taxe des Etats-Unis, la consommation de carburant augmenterait d’environ un tiers, et qu’elle baisserait d’environ un tiers s’ils adoptaient le taux de taxe sur les carburants le plus élevé (celui du Royaume-Uni). La Contribution climat-énergie constitue donc toujours un outil indispensable, qui doit être mis en œuvre de manière ambitieuse dans les plus brefs délais. Le Réseau Action Climat et ses associations membres demandent au gouvernement de revenir sur cette annonce.Lettre ouverte du Réseau Action Climat France et de ses associations membres au Président de la République : l’abandon de la taxe carbone scelle la mort du Grenelle
Montreuil, le 23 mars 2010, Monsieur le Président, En 2006, vous avez signé le pacte écologique. Vous vous êtes personnellement engagé à faire de la taxe carbone un des piliers de votre politique environnementale. Or, le Premier Ministre vient d’annoncer son abandon. La taxe carbone n’est plus, et de votre promesse, il ne reste rien. Les associations sont scandalisées par le mépris qui caractérise cette décision. Les négociations sur le climat de Copenhague nous ayant laissés sans cadre de coordination internationale, il est impératif de mettre en place des politiques climatiques nationales structurantes. La médiatisation étant retombée, l’enjeu du changement climatique se situe désormais bien loin des priorités du Gouvernement. Pire encore, début mars, vous déclariez à l’occasion du salon de l’agriculture que « toutes ces questions d’environnement, ça commence à bien faire ! ». Hier, vous approuviez un projet de terminal charbonnier à Cherbourg, contribuant ainsi au développement de la filière des énergies fossiles. Aujourd’hui, vous enterrez la taxe carbone. Entre la frénésie pro-environnementale des premiers mois de votre mandat et le déni qui caractérise votre politique actuelle, il ne s’est écoulé que trois ans. Que nous réservez-vous pour demain ? L’abandon du Grenelle ou de ce qu’il en reste ? Monsieur le Président, l’avenir du climat mérite mieux que tout opportunisme politique.