Terra Madre, ou comment rendre à la terre et à ceux qui la travaillent la place qui leur est due. Après un premier manifeste consacré au goût et à la biodiversité, Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food, poursuit sa réflexion sur la nécessité de changer nos modes de production et de distribution des denrées alimentaires. La méthode Slow Food consiste à mettre en place des réseaux mondiaux – sous la forme de petits comités locaux ou « conviviums » – constitués de producteurs, de consommateurs, de magasins, de restaurants qui privilégient une agriculture ou des produits répondant à des impératifs de qualité et de respect de l’environnement. Le but ? Restaurer la souveraineté alimentaire, l’économie locale, la diversité naturelle et le plaisir de manger. Là où certains prônent le label HQE (haute qualité environnementale), Slow Food défend le HQA (haute qualité alimentaire).
Avec ce livre publié cette semaine en France par les éditions Alternatives, Carlo Petrini redéfinit les bases du mouvement Slow Food et propose de restaurer la souveraineté alimentaire, l’économie locale, la diversité naturelle et le plaisir de manger. Ce livre est l’occasion de découvrir ce mouvement qui rassemble plus de 100 000 membres actifs autour du monde et plus particulièrement en Italie, en Allemagne, en Suisse, en France, aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Terra Madre est le nom de ce grand réseau d’acteurs qui travaillent afin de mettre en place un modèle « bon, propre et juste » de production et de consommation alimentaire. Le rapport entre Slow Food et Terra Madre correspond à l’image d’une couverture en patchwork : Slow Food et ses membres constituent la trame, Terra Madre et ses communautés de la nourriture sont les morceaux de tissu colorés. Ensemble, ils forment une vaste chaîne, dont les composantes sont interdépendantes et parfois superposées, qui offre une tribune à celles et ceux que personne n’écouterait individuellement.- Pour en savoir plus sur le mouvement Slow Food, consultez le site français en cliquant ici, consultez le site international en cliquant ici.
- Pour en savoir plus sur Terra Madre cliquez ici. Un film a été réalisé sur le mouvement, pour le visualiser cliquez ici.
Edgar Morin : Aux « peuples » de Terra Madre
Le philosophe et sociologue français Edgar Morin adresse son salut aux « peuples » de Terra Madre dans l’édition française du livre de Carlo Petrini : Je suis un partisan chaleureux de Terra Madre parce que, dans le fond, ce qui est très important, c’est qu’on a lié le problème de la qualité gastronomique et le problème du temps. Ce temps d’aujourd’hui est un temps de plus en plus accéléré et secoué, stressé, chronométré. Nous devons reconquérir notre temps humain et vital. Ce problème est celui de l’alimentation, celui de l’agriculture et notamment de tous les savoirs traditionnels qui existent dans le monde et qu’il faut sauvegarder parce que nous sommes confrontés à l’expansion de l’agriculture, de la monoculture et de l’élevage industrialisés, qui se répandent dans le monde et surtout tragiquement dans les pays du Sud et qui détruisent l’agriculture vivrière et la paysannerie. Alors l’agriculture vivrière, c’était finalement les agricultures traditionnelles ; bien entendu, il faut une symbiose entre tous les savoirs traditionnels et tous ceux que les sciences nouvelles peuvent apporter, mais il ne faut pas laisser libre voie à l’hégémonie des techno-bureaucrates, formés dans des écoles d’agriculture, sur des paysans qui ont un savoir millénaire. C’est donc une cause grandiose. Qui nierait que l’agriculture et l’alimentation sont la cause de toute l’humanité ? Mais l’agriculture, c’est aussi le problème de la propriété : on a à faire à d’énormes exploitations livrées au profit capitaliste, dont ne bénéficient pas les populations. C’est donc la question sociale, c’est la question de l’inégalité parce que tous ces paysans chassés vont dans les bidonvilles… autrement dit, par interaction et interférence, nous sommes au cœur du grand problème, dans la nécessité de changer de voie. Ce qui m’a séduit dans Terra Madre, c’est que, parti d’une expérience qui est la reconquête du temps normal pour s’alimenter, d’un temps humain pour manger, d’un temps de convivialité et de commensalité, on a commencé à comprendre que c’est le problème aussi de toutes les alimentations et de l’agriculture qui est posé et, par la même, on se rend compte qu’il faut mener cette lutte précise pour sauver la planète. Chers amis de Terra Madre, je vous adresse mon salut et toutes mes exhortations pour continuer dans votre œuvre qui est absolument vitale. Vous luttez pour la sauvegarde de toutes les qualités de la vie, vous avez un rôle immense à jouer.