A l’heure où les enjeux de transport aérien responsable sont cruciaux pour les constructeurs aéronautiques et pour les compagnies aériennes, l’Académie des technologies rappelle dans son rapport 2023 comment il sera possible de décarboner rapidement le secteur aérien. Décarboner dans un rapport de 10 à 1 le transport aérien, sans remettre en cause infrastructures aéroportuaires et flottes actuelles et à venir est possible grâce au carburant aviation durable (SAF / Sustainable Aviation Fuel).
L’Académie des technologies explique dans son rapport de février 2023, les conditions techniques et économiques pour que la France puisse produire en 2050, 6 millions de tonnes de "carburant aviation durable".
Ce carburant est issu d’une synthèse de carbone et d’hydrogène. Ces deux composants peuvent être apportés par de la biomasse, ou alternativement, par du CO2 extrait de l’air et de l’hydrogène extrait de l’eau en mobilisant beaucoup d’électricité décarbonée.
L’Académie des technologies a publié un rapport sur la décarbonation du secteur aérien par la production massive de carburants durables qui sont le vecteur principal d’une décarbonation sans remise en cause des infrastructures du secteur.
Au-delà de l’intérêt direct pour le secteur de l’aviation, cette étude fournit une illustration des défis et des orientations qui présideront à la décarbonation de nombreux autres secteurs de l’économie.
La nécessaire convergence des acteurs publics et privés vers un même objectif à long terme justifie la mise en place au plus tôt de politiques industrielles et énergétiques cohérentes et ambitieuses caractérisées par plusieurs points importants.
Le premier défi est d’identifier et de produire les ressources énergétiques bas carbone à la hauteur du besoin posé par la production de carburant durable pour le secteur aérien, comme pour d’autres secteurs économiques,
Le deuxième défi porte sur la montée en échelle d’une industrie de grande taille dès 2030- 2035 pour cette production. La cinétique de ce déploiement industriel est en effet aujourd’hui sur le chemin critique des objectifs 2050.
Selon les objectifs de la directive européenne ReFuelEU en cours de finalisation, le besoin en carburant durable pour l’aviation, ou encore « kérosène durable », serait pour 2050 de l’ordre de 30 millions de tonnes pour l’Europe dont 6 millions de tonnes pour la France. Un tiers de ces besoins devra être satisfait dès 2035. L’analyse qui suit ne serait pas différente si les besoins pouvaient être réduits de dix ou vingt pourcents.
Une partie de l’énergie bas carbone nécessaire à la production de kérosène durable viendra de la transformation de la biomasse. En Europe, les biomasses éligibles sont rigoureusement encadrées pour garantir leur pertinence environnementale et leur non- concurrence avec les productions destinées à l’alimentation. La voie oléochimique, utilisant par exemple les huiles usées, est en plein développement, mais ne pourra assurer que quelques pourcents du besoin. La biomasse lignocellulosique prendra le relais de croissance, mais ne pourra probablement pas assurer une production de carburant au- delà de 20 % des besoins de l’aviation. Des incertitudes pèsent sur cette ressource, tant au niveau de sa disponibilité physique et de sa collecte que du fait d’arbitrages d’usages complexes entre secteurs économiques (chauffage résidentiel et tertiaire, production de biogaz, transport maritime et aérien, etc.). Les incertitudes structurelles sur la biomasse mobilisable au profit de l’aviation pourraient décourager les investissements industriels et réduire, en dessous de 20 % du besoin, la part des carburants durables ainsi produits.
La biomasse peut donc contribuer à la production de kérosène durable pour une vingtaine de pourcents des besoins de l’aviation, mais ceci nécessite un cadrage délicat par les pouvoirs publics du marché de la matière première biomasse et un engagement du secteur de l’aviation dans ce marché.
Pour décarboner significativement l’aviation, il sera nécessaire de mettre en œuvre à l’échelle industrielle des technologies qui mobiliseront des quantités importantes d’électricité bas carbone. Deux voies complémentaires sont clairement identifiées :
De manière transitoire, le CO2 peut aussi être capté dans les rejets industriels au prix d’une performance de décarbonation deux fois moindre et d’un impact minime sur les chiffres ci-dessus.
La production de carburant durable pour l’aviation nécessite le déploiement d’infrastructures industrielles de taille importante et de haut niveau de technologie.
L’obtention des performances ci-dessus passe par la maturation industrielle des technologies de l’électrolyse haute température et de la capture de CO2 dans l’air et par une intégration optimisée de ces infrastructures. Pour que ces infrastructures et technologies soient au rendez-vous en 2050, il faut disposer dès 2030-2035 d’un premier palier d’industrialisation à une échelle significative : l’enjeu est donc de décider rapidement, et probablement dès 2025, une feuille de route collective visant le déploiement de la filière industrielle pour la production de carburant durable d’aviation. Une telle feuille de route prévoirait d’ici 10 ans une production significative de biokérosène avec ajout d’hydrogène et les développements technologiques et industriels permettant la montée en échelle de la production de kérosène de synthèse.
Le besoin en électricité décarbonée est considérable. À l’horizon 2050, la décarbonation du secteur aérien, mais aussi des autres secteurs de l’économie, nécessitera un doublement de la production d’électricité dans les sociétés avancées et un triplement en moyenne dans le monde. Dans une France dont la production électrique serait deux fois celle d’aujourd’hui, il faudra mobiliser 17% de cette production électrique pour fournir les 6 Mt de kérosène durable requis par le secteur aérien et 4 Mt de diesel durable pour d’autres applications. La part énergétique dévolue au secteur aérien est de ce fait 10%.
Il sera nécessaire de clarifier les arbitrages d’usage de la biomasse et de l’électricité dans le cadre d’une mise en cohérence des politiques énergétiques et industrielles. Dès 2030-35, les deux piliers de ces politiques pourront être d’une part la mise en place d’un premier palier industriel pour la production des molécules énergétiques, notamment le kérosène durable, et d’autre part une production électrique bas carbone robuste et en croissance forte.
Dans la mesure où de telles politiques sont mises en œuvre et permettent à la fois de garantir les intrants (biomasse et électricité) et un développement industriel rapide et à l’échelle, le coût de production de carburant durable pourrait converger vers 2 €/litre (à comparer à un coût tendanciel de 1 €/l pour le kérosène fossile) soit un coût d’abattement direct du carbone proche de 300 € par tonne de CO2. Ce coût d’abattement montre que la décarbonation de l’aviation est une option viable et souhaitable, justifiant ainsi les efforts de mise en œuvre rapide.
Une politique publique soutenant l’émergence rapide d’un secteur des carburants durables présente plusieurs intérêts stratégiques :
Une telle politique devra s’appuyer sur la négociation de feuilles de route avec les différents secteurs de l’économie, sur des mécanismes d’incitation et de soutien donnant des objectifs partagés aux acteurs économiques, sur un cadre réglementaire cohérent au niveau européen et international créant les conditions d’un marché viable et efficace et enfin sur une planification dans la durée pour la production de la biomasse et de l’électricité bas carbone à l’échelle des besoins retenus dans les feuilles de route.
Les ambitions de décarbonation se posent dans les mêmes termes et les mêmes ordres de grandeurs pour les secteurs aérien, maritime et le transport lourd, comme pour d’autres domaines de l’économie, concourant ainsi à la nécessité d’un doublement de la production électrique. Pendant un transitoire qui durera deux à trois décennies, le marché sera sous la tension de ressources énergétiques bas carbone insuffisantes et de technologies industrielles en cours de maturation. Dans cette compétition, le secteur aérien devra alors prendre rapidement des initiatives pour sécuriser l’accès aux ressources en énergie bas carbone et la disponibilité des technologies industrielles dans une chronologie adaptée à ses objectifs.
Pour décarboner le secteur aérien, les professionnels et les pouvoirs publics parient sur les carburants d’aviation durables (CAD) et une croissance plus lente du trafic. Problème : les ressources nécessaires pour produire ces CAD en quantité suffisante sont colossales (l’équivalent de 15 EPR !). Même avec une part de compensation carbone, la satisfaction de ces besoins représenterait un prélèvement insoutenable pour le reste de l’économie. De fait, il est nécessaire d’organiser la baisse du trafic, plaide François Kirstetter.
Une feuille de route de décarbonation du secteur aérien a été présentée tout récemment par les administrations (DGAC, CGDD, DGEC). La demande y est prise comme une donnée exogène et le trafic continue de croître dans les prévisions, à un rythme certes moins rapide sous l’effet de l’augmentation du prix du billet du fait du passage à des carburants d’aviation durables (CAD).
Compte tenu de la faible efficacité énergétique de la production de ces CAD, le besoin énergétique pour les produire s’avère considérable et insoutenable, posant de façon crue la question refoulée : faut-il vraiment maintenir une croissance du secteur ? peut-on atteindre la neutralité carbone sans réduire le trafic aérien ?
Pour la France, les volumes d’énergie nécessaires pour répondre au besoin si les carburants étaient intégralement issus de l’électricité formeraient l’équivalent de 15 centrales nucléaires de type EPR, représentant entre 25 et 40% de la demande d’électricité bas carbone prévue par RTE dans son scénario médian. RTE n’a prévu à ce stade que 1% de la demande pour la production d’e-CAD, ce qui ne permettrait de couvrir que de l’ordre de 2% des besoins de l’aviation. Si les CAD étaient produits uniquement à partir de biomasse, la mobilisation de l’intégralité du potentiel de production durable issu de la biomasse ne couvrirait qu’environ 60% du besoin.
Les scénarios des administrations comprennent un panachage des solutions ainsi qu’une part de compensation carbone (entre 8 et 20%). Mais même en panachant ces solutions, le besoin énergétique demeure considérable et représenterait un prélèvement insoutenable pour les autres secteurs de l’économie qui ont, eux aussi, besoin de se décarboner et proposent des usages plus efficaces de ces ressources énergétiques contraintes.
Le besoin d’énergie décarbonée n’est donc pas soutenable compte tenu des gisements disponibles. Il s’avère nécessaire de maitriser la demande.
La présente note propose donc de :
Le nouveau rapport de la Chaire Pégase étudie l’acceptabilité des innovations vertes dans le secteur aérien. Il révèle tout d’abord que les fortes préoccupations environnementales des Français ne se traduisent pas forcément par des actions concrètes en matière de transport aérien. Ainsi, seuls 12% des passagers aériens ressentent de la honte lorsqu’ils prennent l’avion. L’étude montre par ailleurs qu’à peine un tiers des Français connaissent les nouvelles technologies vertes sur lesquelles le secteur aérien parie pour réduire son empreinte environnementale. Sans générer de réel engouement pour les Français, ces nouvelles technologies vertes sont globalement acceptées et les passagers sont d’ailleurs prêts à payer 15,6% de plus leur billet pour voler dans un avion plus vert. Pour autant, ces innovations paraissent lointaines et en attendant leur développement, les passagers sont prêts à réduire de 14,5% leur nombre de vols pour limiter leur empreinte environnementale.
En résumé :
Cette étude révèle donc que la faible connaissance et l’acceptabilité modérée des innovations vertes par les passagers aériens pourraient constituer un frein à la transition écologique du secteur aérien. Nos résultats soulignent donc l’importance de la pédagogie et de l’information des passagers, afin d’améliorer l’acceptabilité de ces technologies et accélérer la transition écologique du secteur aérien.
A propos de la Chaire Pégase
La Chaire Pégase est la première chaire française dédiée à l’économie et au management du transport aérien et de l’aérospatial. Elle a pour ambition de renforcer les liens entre le monde académique et les entreprises dans les secteurs de l’aérien et de l’aérospatial. Rattachée à Montpellier Business School, la Chaire Pégase est développée en collaboration avec plusieurs institutions scientifiques dont l’Université de Montpellier. Dirigée par Paul Chiambaretto, la Chaire Pégase regroupe une vingtaine d’enseignants-chercheurs qui consacrent une partie de leurs travaux aux problématiques du transport aérien et de l’aérospatial.
Alors que la France semblait en retard sur la filière des e-fuels, les projets se multiplient sur l’ensemble du territoire. Les projets annoncés à date représentent déjà une capacité de production de 528 ktep à l’horizon 2030, dont 272 ktep d’e-méthanol et 254 ktep d’e-kérosène. Ils permettraient d’éviter l’émission de près de 1,7 Mt de CO2 par an en relocalisant une partie des approvisionnements du pays et en initiant une filière d’export.
Les projets annoncés nécessiteraient 14 TWh d’électricité bas- carbone, dont 85% pour le procédé d’électrolyse de l’eau et 15% pour la synthèse des e-fuels elle-même.
L’Union Européenne porte une ambition forte pour le déploiement des e-fuels, perçus comme un complément nécessaire aux autres leviers pour atteindre la neutralité carbone et offrir des solutions aux secteurs les plus difficiles à décarboner. Obtenus en combinant l’hydrogène bas-carbone, vecteur énergétique polyvalent, avec d’autres atomes, notamment du carbone, ces carburants et matières premières pour la chimie, permettent une valorisation indirecte de l’énergie électrique pour décarboner des usages actuels dépendant de ressources fossiles. Facilement stockables et transportables avec les réseaux et infrastructures existants, les e-fuels offres une solution disponible dès maintenant, fongible dans le système énergétique national.
Le Bureau français des e-fuels appuie le lancement de l’Observatoire français des e-fuels, pour donner une vue d’ensemble du potentiel de la filière en France.
L’étude « Décarboner l’industrie et la mobilité lourde avec des solutions disponibles dès maintenant », réalisée par Sia Partners, propose une évaluation du potentiel de développement d’une filière française d’e-fuels sur la base des initiatives déjà engagées. Elle propose une estimation des besoins nécessaires au déploiement de cette nouvelle chaîne de valeur.
Sur l’ensemble du territoire, 24 projets sont en cours d’étude ou d’ores et déjà opérationnels. A l’horizon 2030, ces projets pourront produire chaque année 528 ktep d’e-kérosène, e-méthane et e-méthanol, pour des investissements estimés à 3,6 milliards d’euros.
Ces projets permettraient d’éviter 1,4 Mt à 2,1 Mt d’émissions annuelles de CO2 en fonction du mix électrique utilisé lors des différentes étapes de production, soit l’équivalent des émissions de 170 000 à 220 000 français. Une réduction de 63% des émissions par rapport aux usages actuels des produits fossiles serait permise en recourant au mix électrique français, de 74% en y incorporant des énergies renouvelables à hauteur de 35%, et de 93% avec un approvisionnement en électricité à 100% renouvelable.
Ces projets nécessiteront une consommation de 14 TWh d’électricité pour la production d’hydrogène via l’électrolyse de l’eau et pour les procédés de synthèse. Un prélèvement annuel de 4 620 millions de litres d’eau sera également nécessaire, ainsi que la capture de 1,7 Mt de CO2 biogénique ou issu de procédés industriels ne pouvant pas être décarbonés.
Ces projets sont une opportunité pour l’économie française : ils permettraient de générer un bénéfice de 506 M€ pour la balance commerciale française, tout en dynamisant les économies régionales et permettant la création de 2 950 emplois directs et indirects.
À propos du Bureau français des e-fuel
Le Bureau français des e-fuels réunit experts, professeurs, chercheurs, universitaires, industriels, techniciens et financiers, autour du rôle des e-fuels dans la transition énergétique et du développement d’une filière française. Son objet premier est de faire la promotion d’une filière française d’e-fuels, vertueuse, compétitive et durable. Il conseillera les acteurs du secteur, publics et privés, afin de favoriser le développement des projets. Il encouragera les synergies, les échanges, et œuvrera avec pédagogie auprès des différents publics sur le sujet des e-fuels.
L’Académie des technologies promeut un développement technologique au service de l’homme, de l’environnement et d’un bien-être durable pour un progrès raisonné, choisi et partagé.
Elle regroupe 360 personnalités élues, reconnues du secteur économique, de l’industrie, des scientifiques et des acteurs de l’éducation ou encore des sciences humaines.
Placée sous la protection du Président de la République, elle émet des avis indépendants sur des grands choix technologiques et fournit des éléments de référence permettant d’éclairer le débat public.