Climat : la nef des fous vogue sur le net
Errare humanum est[[ – Les Chevaliers de l’Ordre de la Terre Plate, Part I: Allègre and Courtillot ]], et ce qu’on appelle la blogosphère permet d’exhiber aux internautes des erreurs faites de bonne foi, comme de les répéter et de les disséminer par ignorance voire en toute mauvaise foi.
Soyons généreux : même des académiciens brillants se disant sceptiques ont su négliger le fait que la Terre est ronde ! Mon expérience de vulgarisateur et de chercheur en astrophysique comme en physique du climat me laisse songeur quant à la masse d’ignorance colportée sur internet : certains messages déposés sur les blogs du Figaro et d’autres sites me font penser à des débats antérieurs à ceux du Moyen âge… Si la nef des fous ne vogue plus sur la mer, elle surfe en tout cas sur internet. Mon expérience de vulgarisateur me fait aussi penser que le climat mérite mieux que cela.
Bien sûr, c’est la lumière du Soleil, convertie en chaleur, qui est la source primaire de l’énergie sur la planète comme dans une serre de jardinier. Mais à ceux qui nient l’existence du changement climatique ou même de l’effet de serre (si, si, il en existe encore), je dirais qu’on sait très bien, notamment depuis les travaux de Fourier et Tyndall au 19ème siècle, que les conditions climatiques sur la planète dépendent du fait que l’atmosphère agit comme isolant thermique, renvoyant vers le bas une partie du rayonnement infrarouge (rayonnement de chaleur) émis vers le haut par la surface. Voilà ce qu’on appelle « l’effet de serre », même si l’analogie n’est pas parfaite avec les serres des jardiniers (qui bloquent aussi les pertes de chaleur par convection).
On sait aussi que cet effet de serre est contrôlé par une très petite fraction de l’atmosphère : les gaz composés de molécules de 3 atomes ou plus, donc en premier lieu la vapeur d’eau (H2O) et le gaz carbonique (CO2). Et l’on s’efforce de tenir compte correctement des contributions de ces deux gaz dans les « modèles » du climat. On sait aussi que d’autres gaz comme le méthane (CH4) contribuent à l’effet de serre. Et on sait qu’il ne faut certainement pas négliger les nuages (gouttelettes d’eau et cristaux de glace). Bien qu’ils ne représentent qu’une très petite fraction de la masse atmosphérique, les nuages contribuent non seulement à l’effet parasol (réflexion de lumière solaire) mais aussi à l’effet de serre. La physique quantique explique pourquoi les gaz majoritaires azote (N2) et oxygène (O2) n’y contribuent pas.
Tout cela, c’est de la physique parfaitement bien établie, ce n’est pas une spéculation contrairement à ce que l’on peut lire ça et là sur le net.
En réalité, l’effet de serre, c’est l’affaire de tous, et c’est même nécessaire pour la vie. Car c’est grâce à l’effet de serre naturel que l’eau existe à l’état liquide à la surface terrestre. C’est grâce à l’effet de serre naturel et à la circulation de l’atmosphère que les températures ne descendent pas en dessous de -100°C pendant la longue nuit polaire. Le déni de l’effet de serre est un déni de faits parfaitement établis de la physique. Il est vrai qu’en se laissant aller sur les blogs, certains racontent n’importe quoi. Mais peut-être le blogueur visible sur le site du Figaro (« le climat dans tous ses états ») n’a rien appris et beaucoup oublié depuis ses cours de latin il y a 70 ans, car ses « certitudes absolues » sont à côté de la plaque.
Au 19ème siècle, la concentration atmosphérique de CO2 tournait bien autour de 280 ppmv (parties par million par unité de volume, donc cm cube de CO2 par mètre cube d’air). Au cours de ma dernière année d’études à Harvard, il y a de cela 53 ans, les mesures systématiques commencées dans le cadre de l’Année Géophysique Internationale donnaient 315 ppmv. Depuis, et pendant toute ma carrière, cette concentration, mesurée des milliers de fois dans plusieurs stations de par le monde, a augmenté sans relâche. Aujourd’hui on est à plus de 385 ppmv. Cela résulte – sans aucun doute – des activités humaines, et tout premièrement de la combustion de charbon, pétrole et gaz naturel.
Ce CO2 – matière première de la photosynthèse – n’est certainement pas « sans intérêt », même pour ceux qui ne le boivent qu’avec leur whisky-soda. Les océans et la biosphère ont pu reprendre environ la moitié de ce que nous avons envoyé dans l’atmosphère, le reste s’y est accumulé. Les émissions dues aux activités humaines ont poussé la concentration de CO2 vers des niveaux que la Terre des hommes n’avait jamais connus. Les analyses faites depuis les années 1970 à Grenoble, Gif-sur-Yvette, et ailleurs dans le monde, des bulles d’air piégé dans les glaces (les neiges d’antan) montrent des oscillations naturelles entre 180 ppm et 280 ppm, mais jamais 350 ppm, au cours des 740.000 ans avant 1950.
Soyons donc sérieux ! En continuant de brûler de plus en plus de charbon, pétrole et gaz naturel (méthane), nous humains envoyons des dizaines de milliards de tonnes de CO2 vers l’atmosphère chaque année. Cela ne peut que pousser la concentration de ce gaz à effet de serre vers 400, 600, ou même 800 ppmv d’ici l’an 2100, renforçant l’effet de serre. Selon les travaux scientifiques sérieux publiés, qui sont résumés et comparés dans les rapports du GIEC, cela risque fort d’engendrer des changements climatiques dangereux – un « réchauffement planétaire » avec un remodelage des distributions de températures et de la disponibilité de l’eau douce – donc des changements qui nécessiteront des adaptations difficiles et douloureuses des sociétés humaines et de la biosphère naturelle.
Malgré les méconnaissances, parfois béantes, de la physique du climat, il ne faut pas baisser les bras. Je demeure convaincu que la pédagogie reste possible et nécessaire sans toujours céder aux sirènes les plus hurlantes de l’actualité émotionnelle. Comment faire pour intéresser une opinion publique parfois abreuvée de publication climatique jusqu’à plus soif ? Je suis persuadé qu’une information plus proche des non spécialistes s’impose. C’est ce que j’essaye de faire avec l’ouvrage « La catastrophe climatique » (R. Kandel, M. Kandel ; Hachette, 2009).
Car si je demeure convaincu qu’il faut agir, il faut pour autant savoir choisir les meilleures solutions. Dénoncer la seule inaction des uns ou des autres ne mène pas loin, pas plus que jouer au prophète de la fin des temps. Montrer comme dans « Turning the tide on climate change » qu’il existe des solutions à portée de main, cela fait aussi partie de notre devoir. Car le changement climatique, c’est au quotidien que cela se joue…
Bien sûr, il reste des incertitudes, autant d’importants problèmes de recherche. Et le scepticisme est nécessaire à la recherche. Mais il ne faut pas confondre scepticisme et la septicémie – l’empoisonnement du discours par la répétition volontaire d’erreurs, la dissémination d’inexactitudes voire de mensonges. Arrêtons la nef des fous !
Robert Kandel est Directeur de Recherche honoraire du CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), Ecole Polytechnique, Palaiseau. Formé en astrophysique à Harvard, à l’Observatoire de Meudon, et à l’Institut Goddard de la NASA, il s’est tourné vers la physique du climat et l’observation spatiale de la Terre. Il a remporté plusieurs prix de vulgarisation scientifique.
– Climat : risques du réchauffement climatique sur Futura-Sciences 9/01/2003
– Lire l’ouvrage de vulgarisation sur le changement climatique « Turning the Tide on Climate Change » Faire face au changement climatique de Robert Kandel