Depuis plusieurs mois, les signaux de recul des politiques écologiques se multiplient. Ces régressions se font à contre-courant de l’opinion publique, du consensus scientifique et parfois même de l’état de droit. En 2025, la loi d’orientation agricole et la loi Duplomb les illustrent parfaitement. Dans ce décryptage de la Fabrique Écologique, Frédéric Tiberghien, Conseiller d’état honoraire, revient sur les décisions du Conseil constitutionnel à propos de ces deux lois, et les implications politiques liées à la protection de l’environnement.

Messages clés
- La Charte de l’environnement, intégrée en 2005 à la Constitution française, a instauré de nouveaux droits, devoirs ou principes. Des progrès donc. Des reculs pourtant avec l’accélération des crises. Les engagements ambitieux font long feu, sous l’influence de lobbies, et les reculs s’accumulent (e.g. loi d’orientation agricole et Duplomb en 2025).
- Ces régressions, à contre-courant de l’opinion publique, du consensus scientifique et parfois même de l’état de droit, ont été atténuées par le Conseil constitutionnel. En revanche, son pouvoir n’est pas celui du Parlement, et n’offre donc pas de garantie contre d’autres offensives contre l’environnement.
- Dans la droite ligne de la Déclaration de Rio de juin 1992, et en accord avec la Charte de l’environnement, seule une implication plus large des citoyens quant aux mesures environnementales à fort impact pourrait offrir une politique environnementale à la hauteur des enjeux.
Sommaire
- I. Synthèse
- II. Un État empêtré dans des conflits d’intérêts et sans direction environnementale claire
- III. La proclamation de nouveaux droits par la charte de l’environnement
- IV. L’apport des décisions du Conseil constitutionnel des 20 mars 2025 sur la loi d’orientation agricole et 7 août 2025 sur la loi Duplomb
- V. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux décisions et sur la période particulière que traverse notre pays
- VI. Remarques finales sur la période que traverse notre pays.
VII. Notes
Synthèse
En 2005 la Charte de l’environnement a été intégrée à la Constitution française. Elle a instauré de nouveaux droits, devoirs ou principes, tels que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ou encore le droit de participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. L’incorporation d’un principe de non-régression au Code de
l’environnement en 2016, a également été un moment fort, bien que son absence de valeur constitutionnelle limite sa portée. Une intégration de ce dernier à la Charte de l’environnement aurait constitué une avancée environnement d’ampleur.
Pourtant, avec l’accélération de la crise environnementale et sociale, l’environnement demeure souvent la première variable d’ajustement. Les engagements ambitieux, comme la sortie définitive du glyphosate, font long feu, sous l’influence de lobbies. L’année 2025 a été marquée par les reculs
environnementaux – loi d’orientation agricole puis la loi Duplomb, qui visaient à dispenser de fait les projets agricoles des exigences de la Charte de l’environnement en raison d’un caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture. La présomption d’absence d’intention inconditionnelle pour les délits
d’atteinte aux espèces protégées, à leurs habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique, pour les agriculteurs est une deuxième atteinte grave. S’y ajoute la réintroduction de l’acétamipride, malgré la nocivité avérée des néonicotinoïdes.
Ces régressions, à contre-courant de l’opinion publique, du consensus scientifique et parfois même de l’état de droit, ont été atténuées par les décisions du Conseil constitutionnel (n° 2025-876 DC et n° 2025-891 DC). Mais sa position, en rappelant que son pouvoir général d’appréciation et de décision n’est pas de même nature que celui du Parlement, n’offre pas de garantie contre d’autres offensives contre l’environnement. Une protection de l’environnement et de la santé humaine plus radicale aurait pu être atteinte si le Conseil s’était référé dans sa seconde décision à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE) de 2023 (interdiction de dérogation au règlement européen de 2009), ce qu’il a omis de faire.
Au-delà des dimensions environnementale et sanitaire, ces reculs, que les pouvoirs publics encouragent plutôt que de les freiner, questionnent l’état de la démocratie. La plus marquante des dérives est celle du pouvoir législatif, qui, en méconnaissant délibérément la constitution, vote des lois qui lui sont contraires pour satisfaire des revendications professionnelles catégorielles, ou de caractère populiste. Ces à-coups et retours en arrière conduisent à une perte de lisibilité, et nuisent à l’acceptabilité et l’efficacité des mesures environnementales.
Dans la droite ligne de la Déclaration de Rio de juin 1992, et en accord avec la Charte de l’environnement, c’est bien une implication plus large des citoyens quant aux mesures environnementales à fort impact, actuellement décidées en cercle fermé, qui permettra de lutter contre des reculs environnementaux d’ampleur.
Un État empêtré dans des conflits d’intérêts et sans direction environnementale claire
Dans les discours,
des engagements environnementaux forts.
Dans les actes,
des reculs environnementaux conséquents.
Ce constat s’applique tout autant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Parmi les plus emblématiques :
- L’engagement ferme du président Macron pris en 2017 d’interdire le glyphosate au plus tard en 2020, désavoué dès 2019, sous prétexte d’une infaisabilité, contestée par des associations et acteurs institutionnels ;
- Le retrait par la Commission Européenne, en 2024, de sa proposition de réglementation sur l’usage durable des pesticides (SUR), proposée en 2022, visant à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici à 2030.
La proclamation de nouveaux droits par la charte de l’environnement
L’incorporation, en 2005, d’une Charte de l’environnement à la Constitution française a instauré de nouveaux droits, devoirs ou principes, tels que :
- Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;
- Le devoir de prendre part à la préservation et amélioration de l’environnement ;
- Le devoir de prévenir les atteintes à l’environnement ou d’en limiter les conséquences ;
- Le principe de pollueur/payeur ;
- Le principe de précaution ;
- Le droit de participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Le principe de non-régression, incorporé au Code de l’environnement par une loi de 2016, représente également une avancée environnementale majeure, bien que son absence de valeur constitutionnelle limite sa portée. Une intégration de ce dernier à la Charte de l’environnement aurait constitué une avancée environnementale d’ampleur.
L’apport des décisions du Conseil constitutionnel des 20 mars 2025 sur la loi d’orientation agricole et 7 août 2025 sur la loi Duplomb
Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur la loi d’orientation agricole (2025-876 DC) et la loi Duplomb (2025-891 DC) rappellent que le principe de non-régression du Code de l’environnement ne lie pas le législateur, mais uniquement le pouvoir réglementaire, et valident donc les modifications des nomenclatures IOTA et ICPE. En revanche, le Conseil, d’une part en raison du principe séparation des pouvoirs, d’autre part au titre des articles 1er et 3 de la Charte de l’environnement, censure l’incorporation du principe de non-régression, étendu à la souveraineté alimentaire par le Code rural, en raison de sa portée contraignante voulue par le législateur.
Le Conseil rappelle également que la reconnaissance d’un caractère d’intérêt général majeur à l’agriculture ne saurait dispenser de fait les projets agricoles des exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement, tout comme il ne saurait être accordé aux agriculteurs des présomptions d’absence d’intention inconditionnelles (applicables au délit d’atteinte aux espèces protégées, à leurs habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique). Le Conseil censure également les dispositions législatives déléguant la définition du champ d’application de la loi pénale à l’autorité administrative, obligation qui lui incombe.
Le Conseil censure aussi la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs par le législateur lorsqu’il interdit au pouvoir réglementaire de surtransposer les normes agricoles européennes.
Enfin, le Conseil censure les dispositions portant sur la réintroduction des néonicotinoïdes car elles privent de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1er de la Charte de l’environnement).
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux décisions et sur la période particulière que traverse notre pays
Par ses décisions n° 2025-876 DC (loi d’orientation agricole) et n° 2025-891 DC (loi Duplomb), le Conseil constitutionnel, notamment en donnant une valeur contraignante aux articles 1er, 2 et 3 de la Charte de l’environnement, continue à s’inscrire en gardien de l’environnement face aux entorses croissantes à l’état de droit émanant des pouvoirs législatif et réglementaire.
En revanche, en rappelant que son pouvoir général d’appréciation et de décision n’est pas de même nature que celui du Parlement, et au vu de ces deux décisions, la position du Conseil n’offre aucune garantie contre d’autres offensives contre l’environnement. Une protection de l’environnement et de la santé humaine plus radicale aurait pu être atteinte si le Conseil s’était référé, au § 78 de sa décision du 7 août 2025, à l’arrêt de la CJUE de 2023 (interdiction de dérogation au règlement européen de 2009), ce qu’il a malheureusement omis de faire.
Remarques finales sur la période que traverse notre pays
Il est surprenant de constater que des parlementaires, supposés la respecter, méconnaissent délibérément la constitution en votant des lois qui lui sont contraires pour satisfaire des revendications professionnelles catégorielles ou de caractère populiste, en déniant toute valeur de preuve aux études existantes sur les effets des produits phytosanitaires sur la santé animale ou humaine. Par leur mauvais exemple, ils contribuent sans aucun doute à la dérive de notre démocratie.
Depuis plusieurs décennies, la mobilisation de la loi a régulièrement permis de rehausser le niveau d’exigence en matière de protection à long terme de l’environnement. La France appartenant au cercle restreint des pays qui ont participé à l’industrialisation dès le XIXème siècle, il est normal que sa législation soit plus exigeante en la matière, comme l’impliquent les 7ème et 11ème principes de la Déclaration de Rio de juin 1992 sur les responsabilités différenciées et sur la promulgation de mesures législatives efficaces en matière d’environnement, et interdise par exemple d’ouvrir de nouveaux gisements pour produire en France des énergies fossiles ou d’utiliser certains produits phytosanitaires.
Dans ces domaines, la prévisibilité et la stabilité de la norme sont essentiels pour les agents économiques et les ménages. Les à-coups et les retours en arrière sont donc à proscrire, au risque de faire perdre aux mesures environnementales leur lisibilité et acceptabilité.
Malheureusement, depuis 2 ou 3 ans, notre pays est engagé dans un cycle sans précédent de recul environnemental que les pouvoirs publics encouragent plutôt que de le freiner.
La réponse à cette problématique réside dans la transition juste, alliant approche environnementale et sociale, et dans une pleine application du principe de participation du public en amont des décisions pour vérifier ex ante leur acceptabilité et élaborer les nécessaires mesures d’accompagnement.