La consommation de viande est le principal poste d’émissions de gaz à effet de serre de notre alimentation. Le mentionner suffit à déchaîner des réactions passionnées, voire passionnelles. Le monde ne se divise pas uniquement entre les amateurs d’entrecôte d’un côté et ceux de protéines végétales de l’autre, il existe toute une palette de nuances. Cette voie du milieu s’appelle le flexitarisme. Mais permet-il vraiment de réduire l’empreinte carbone de son alimentation ? Tom Bry-Chevalier, doctorant en économie de l’environnement (Université de Lorraine), s’est plongé dans les chiffres.
Le flexitarisme, contraction de « flexible » et de « végétarien », est un régime alimentaire qui n’exclut pas la consommation occasionnelle de produits d’origine animale.
Reste un constat : dans nos pays industrialisés, le végétarisme se développe surtout au sein des classes les plus aisées. À l’échelle mondiale, toutefois, on observe une augmentation de la consommation de protéines carnées, rappelle l’historienne des sciences et de l’environnement Valérie Chansigaud (Université Paris Cité). Cela ne veut pas dire que le végétarisme n’a aucune influence globale, mais que la consommation de viande reste un marqueur social très ancré dans de nombreuses cultures.
Faut-il manger flexitarien au nom du climat ?
Tom Bry-Chevalier, Université de Lorraine
La végétalisation de l’alimentation est l’un des principaux leviers pour réduire son empreinte carbone au niveau individuel. Le flexitarisme, qui n’exclut pas la consommation occasionnelle de viande ou autres produits animaux, peut sembler un bon compromis. Que disent les chiffres ?
À l’heure où les préoccupations environnementales occupent une place croissante dans notre quotidien, de nombreuses personnes cherchent des moyens concrets pour réduire leur empreinte écologique. Or, la végétalisation de l’alimentation est l’un des leviers les plus efficaces au niveau individuel pour diminuer son empreinte carbone.
Il n’est donc pas surprenant de constater que près d’un quart des Français déclarent réduire volontairement leur consommation de viande et suivre un régime « flexitarien », contraction de « flexible » et de « végétarien ».
Derrière ce nouveau régime alimentaire, une idée simple : profiter des avantages de l’alimentation végétarienne, tout en continuant à consommer des produits d’origine animale, mais avec davantage de modération.
Mais le flexitarisme tient-il réellement ses promesses sur le plan environnemental ? S’agit-il d’une option intéressante pour préserver la planète ? On fait le point.
Quelle définition pour le flexitarisme ?
L’évaluation de l’impact environnemental du flexitarisme se heurte à un premier problème : sa définition. En effet, même dans la littérature scientifique, il n’existe, à ce jour, pas de définition consensuelle du flexitarisme, dont la compréhension peut être très différente d’une personne à l’autre.
Certaines personnes se disant flexitariennes consomment ainsi de la viande une fois par semaine, quand d’autres en consomment une fois par jour. Ainsi, sur les 24 % des Français déclarés flexitariens, 7 % consomment de la viande encore tous les jours, 12 % plusieurs fois par semaine, et 5 % seulement sont des consommateurs occasionnels.
Ce flou et l’hétérogénéité des pratiques font du flexitarisme un concept difficile à saisir. Au point que même Interbev, le lobby de la viande bovine, a tenté de se l’approprier avec sa campagne « naturellement flexitariens ».
Au-delà de la question de la fréquence à laquelle on mange de la viande, certaines approches du flexitarisme mettent aussi l’accent sur le type de viande consommée. On considère souvent qu’il faut cibler en premier lieu la viande rouge, qui émet le plus de gaz à effet de serre et qui nécessite le plus de terres. Cependant, là encore, il n’existe pas de préconisations précises. Ainsi à quantité égale de viande consommée, certains régimes flexitariens pourraient avoir un impact bien plus lourd pour l’environnement que d’autres.
L’autre problème, c’est de savoir si l’on peut se fier aux pratiques et régimes alimentaires déclarés par les individus eux-mêmes. Il existe par exemple un biais de désirabilité sociale, qui fait que pour se présenter sous un jour favorable aux yeux de ses interlocuteurs, on pourra par exemple minimiser ses consommations de viande ou/et de poisson.
À propos du végétarisme – qui est pourtant clairement défini comme une alimentation excluant la consommation de chair animale** – une enquête de 2021 de l’IFOP pour FranceAgriMer notait que près de la moitié des personnes rapportant avoir un régime sans viande déclarent consommer occasionnellement de la viande ou du poisson. Dans la mesure où cette enquête observait que près de 30 % des flexitariens autodéclarés consommaient de la viande quotidiennement, le même problème est donc à craindre à propos du flexitarisme.
L’enquête observait néanmoins que les flexitariens consomment globalement moins de types de viande différents. Ils consomment ainsi moins de veau, de mouton et d’agneau que les omnivores – à l’exception notable de la volaille, qu’ils consomment dans les mêmes proportions.
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La consommation de viande par tête tend à stagner depuis une dizaine d’années en France. À ce titre, il serait peut-être ambitieux de voir dans l’augmentation du nombre de flexitariens déclarés l’expression d’une révolution dans le régime alimentaire des Français, plutôt qu’une pratiques de consommation déjà relativement standard à laquelle on aurait simplement donné un nouveau nom.
L’empreinte environnementale du flexitarisme
Ces difficultés sémantiques n’ont pas empêché un certain nombre d’études de s’intéresser à l’impact environnemental de régimes pouvant s’apparenter au flexitarisme, souvent en prenant le parti d’expliciter la quantité et le type de viande consommés.
Ainsi dans le rapport spécial du GIEC de 2019, plusieurs régimes de type flexitarien (régime végane, plusieurs gradations de flexitarisme, régime à base de poisson) ont été comparés au végétarisme et au véganisme.
Il en ressort que l’alimentation végane est celle permettant de réduire le plus les émissions de gaz à effet de serre, suivie de l’alimentation végétarienne, puis d’un régime flexitarien (ici défini comme n’incluant qu’une seule portion de viande par semaine). Celui-ci présente toutefois un potentiel intéressant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Juste derrière, on retrouve un régime dit « bon pour la santé (healthy diet) », basé sur les recommandations alimentaires mondiales, moins riches en viande rouge. Il permet lui aussi une réduction remarquable des émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, les régimes méditerranéens, pescétariens et « frugal et juste (fair and frugal) », également assimilables à des régimes flexitariens, favorisent également une réduction modérée des émissions de gaz à effet de serre par rapport à une alimentation très carnée. Une alimentation remplaçant 75 % des viandes et produits laitiers de ruminants par d’autres viandes (catégorie « carnivore soucieux du climat (climate carnivore) ») permet d’atteindre des réductions d’un ordre de grandeur similaire, soulignant le poids exceptionnel de la viande rouge.
D’autres études (par exemple en 2014 et en 2023) aboutissent à des résultats similaires pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, tout en prenant également en compte des questions connexes : demande de terres agricoles, consommation d’eau, eutrophisation ou encore impact sur la biodiversité.
Les études scientifiques sont donc claires : plus une alimentation est végétalisée, moins son empreinte environnementale est élevée. De la même façon, plus un régime flexitarien limite les apports en viande, notamment bovine, plus son impact sur l’environnement s’en verra réduit.
À noter que les produits laitiers sont également une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, expliquant la différence non négligeable d’émissions entre une alimentation végane et une alimentation végétarienne. En conséquence, il peut également s’agir, de la même façon que la réduction des apports de viande bovine, d’un levier pertinent de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’un régime flexitarien.
L’environnement est-il gagnant si davantage de personnes s’alimentent selon un régime flexitarien ? La réponse est oui, du moins si celui-ci s’accompagne d’une réduction significative des apports en viande. Cependant, il faut noter qu’aucune étude ne suggère que le flexitarisme soit préférable au véganisme sur le plan environnemental : ses bénéfices restent largement corrélés avec le degré de végétalisation de l’alimentation.
Gaz à effet de serre ou bien-être animal ? Le dilemme de l’omnivore
Et si l’empreinte carbone de l’alimentation n’était pas la seule variable qu’il conviendrait de prendre en compte ? La priorité généralement admise du flexitarisme est de réduire la consommation de viande bovine, qui à elle seule permet une réduction non négligeable des émissions de gaz à effet de serre et de l’usage des terres. Mais cette emphase sur la réduction de viande bovine peut se faire au détriment du bien-être animal, dans ce que l’on pourrait nommer le « dilemme de l’omnivore ».
Bien que la viande rouge soit celle qui a le plus fort impact environnemental, c’est également celle qui génère le moins de souffrance animale par kilogramme de viande. Non seulement parce qu’une vache est un animal bien plus gros qu’un poulet, produisant donc plus de viande par individu abattu, mais aussi parce qu’elles sont moins souvent issues d’élevages intensifs.
Or, on observe en France depuis quelques années une tendance à la réduction de la viande de bœuf au profit de la viande de poulet, notamment en raison de motivations liées à la santé et l’environnement. Les personnes tentées par une alimentation flexitarienne peuvent donc se retrouver face à un arbitrage difficile à opérer entre éthique et environnement.
Le flexitarisme n’a donc rien de révolutionnaire, mais il peut donc constituer un outil utile dans la stratégie de réduction globale de la consommation de viande. Le tout est de garder en tête qu’au niveau individuel, l’alimentation végétale reste préférable.
Tom Bry-Chevalier, Doctorant en économie de l’environnement – Viande cultivée et protéines alternatives, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.