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Libéralisme, altermondialisme et développement durable

Publié par Valérie Charolles le lundi 29 janvier 2007 sur http://www.betapolitique.fr/

« Changer de politique passe par une remise en cause du libéralisme. » C’est en tous cas ce type de discours que nous entendons de toutes parts. Il se manifeste de façon nette autour du mouvement altermondialiste qui promeut une forme de regard nouvelle sur la société marchande. Mais, la critique du libéralisme est également omniprésente dans les partis de gauche, y compris dans les partis sociaux-démocrates, autour de la dénonciation d’une certaine forme de la construction européenne et de la mondialisation en général. Elle prend largement l’aspect d’une contestation des institutions internationales chargées de sujets économiques (Organisation mondiale du commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale, OCDE, G7,…). L’engagement politique progressiste se reconnaît désormais essentiellement dans la remise en cause du libéralisme.

L’altermondialisme est-il anti-libéral ou anti-capitaliste ? Toutefois, lorsque l’on distingue libéralisme et capitalisme , la cible que vise réellement l’altermondialisme apparaît sous un jour différent. Certes, l’altermondialisme porte en lui une critique très forte de la concurrence et du laisser-faire qui sont indéniablement le moteur du libéralisme. Mais, sur la question de la préservation des services publics, le libéralisme théorique est beaucoup moins formel que la vulgate économique ne le laisse entendre et peut laisser place à une gestion collective d’un ensemble assez large de secteurs. C’est surtout le capitalisme qui promeut la libéralisation des secteurs publics. Si l’on y prête attention, les valeurs positives que véhicule l’altermondialisme sont des critiques directement adressées non pas aux principes libéraux mais au système capitaliste, à savoir la volonté que l’on peut exprimer en termes simples de protéger les petits face aux gros, les faibles face aux forts, les pauvres face aux riches. Comment comprendre autrement la première revendication altermondialiste qui est le droit à la propriété de la terre pour les paysans du monde en développement ? D’un point de vue conceptuel, le fait que l’altermondialisme se soit initialement développé autour de la défense de la petite propriété agricole contre les grands domaines issus du colonialisme est un indice que la réalité qu’il dénonce est celle du capitalisme et non du libéralisme. La deuxième revendication très médiatisée de l’altermondialisme concerne la mise en place d’une taxe sur les mouvements de capitaux pour financer l’aide au développement. Cette revendication sur laquelle beaucoup de partis sociaux-démocrates ont été conduits à s’aligner, n’est pas tant antilibérale qu’anti-capitaliste. Ce qui est visé est une taxe sur les capitaux et non sur le travail, le capital et sa mobilité au niveau international étant désigné comme une réalité qui mériterait de contribuer à l’effort de solidarité. Il n’est donc pas insensé de prétendre que l’altermondialisme vise une réalité qui est de l’ordre du capitalisme plus que du libéralisme. Les critiques adressées à la sphère économique par l’altermondialisme ressortissent en tous cas clairement à des positions anti-capitalistes et anti-totalitaires : la volonté de distribuer autrement les richesses ou d’assurer une organisation démocratique du monde économique relèvent évidemment de cette perspective et en assurent le renouvellement. Si l’on met de côté les questions de terminologie, l’altermondialisme s’adresse au système capitaliste pour le critiquer de façon nouvelle. On ne peut que regretter que cette critique confonde libéralisme et capitalisme. Les orientations politiques progressistes, qu’elles soient plus ou moins radicales, reprennent en effet à leur compte l’abus de langage qui consiste à qualifier de libéral le monde dans lequel nous vivons alors que le capitalisme qui nous gouverne est largement anti-libéral. Si cet amalgame peut être fait, c’est évidemment parce qu’il est au cœur de notre système économique et qu’il a des racines très profondes dans nos sociétés (dénoncées en particulier par Karl Popper dans la Société ouverte et ses ennemis et Misère de l’historicisme). Mais c’est aussi en dénonçant cet amalgame que l’on pourra trouver de nouvelles marges de manœuvre pour faire évoluer l’économie de façon concrète et non pas seulement déclamatoire.

Le développement durable est-il contraire aux règles de l’économie ?

Pour en prendre un exemple, si nous considérons aujourd’hui que l’économie ne peut pas accueillir de façon naturelle la notion de développement durable, c’est avant tout parce que nous nous référons à un horizon de nature capitaliste, celui de l’accumulation de la croissance à court terme. Or, ce n’est pas cet horizon que valorise en théorie l’économie, dont les fondements reposent sur l’idée d’un équilibre durable. A mesure que la concurrence se développe, la théorie économique prédit une baisse tendancielle des profits. La baisse du profit, voire son annulation n’est ainsi pas une thèse que l’on doit à Karl Marx mais aux théoriciens libéraux classiques, qui d’Adam Smith à John Stuart Mill en passant par David Ricardo en ont largement débattu. C’est l’une des manifestations les plus évidentes de la distinction forte que l’on peut établir entre libéralisme et capitalisme, ce dernier faisant au contraire reposer l’économie sur un mécanisme d’accumulation du capital qui n’a aucune limite. Si nous voulons que l’économie intègre les questions environnementales dans son propre fonctionnement, il faut arrêter de nous référer à cet horizon de nature capitaliste. Il faut quitter la perspective de l’accumulation de la richesse à court terme et reprendre à notre compte l’horizon que valorise le libéralisme, qui est celui d’un équilibre de long terme avec des profits et une croissance modérés. Si on en reste au temps du capitalisme, on se trouve en effet aujourd’hui face à une difficulté majeure : protéger l’environnement et maintenir des taux de croissance élevés n’est pas conciliable dans la durée. Se placer dans une perspective libérale conduit à l’inverse à accepter que l’économie peut croître à un rythme moins rapide sans que cela ne soit préjudiciable. Au sein de la croissance, on pourrait alors distinguer une croissance durable, reposant sur une utilisation raisonnée des richesses naturelles et des énergies. La croissance non durable, mériterait d’être isolée, l’objectif étant d’en réduire progressivement le niveau. A défaut de distinction de ce type, nous aurons de grandes difficultés dans les années à venir à porter un diagnostic sur les statistiques de croissance puisque nous ne saurons pas si une moindre accélération du PIB provient de comportements plus vertueux ou d’une atonie de l’économie. Bref, c’est l’outil utilisé par l’économie pour mesurer la performance qui doit être remis en perspective.

Valérie Charolles

Extraits de Le libéralisme contre le capitalisme, ed. Fayard, chapitre 8 la critique impossible, chapitre 15 de la richesse.

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