Les ministres de l’environnement et de l’économie ont mis en ligne un Livre blanc qui expose les enjeux de la création d’une «taxe carbone» en France en vue de la conférence d’experts qui se tiendra les 2 et 3 juillet sous la présidence de Michel Rocard. Objectif: réduire la consommation d’énergie et les émissions CO2 des ménages et des entreprises.
«La création de cette nouvelle taxe sera aussi importante que celle de l’impôt sur le revenu» a déclaré Michel Rocard. «Elle devra être brutale pour être efficace et éviter à nos enfants de finir dans une poêle à frire!», a-t-il ajouté. Pour Jean-Louis Borloo, ministre d’Etat chargé de l’environnement, «la contribution ‘climat-énergie’ (CCE) a pour objectif de favoriser une mutation de notre économie vers une économie décarbonée en introduisant ’un signal prix carbone’». Le but de la CCE (1) est de taxer les secteurs non intégrés dans le marché européen de quotas de CO2 (2) qui représentent pourtant 60% des émissions de CO2 de la France. Il s’agit principalement des transports (35%) et du bâtiment (25%). Pour ces secteurs, la France a pour objectif de réduire d’ici 2020 de 14% ses émissions par rapport à 2005. Mesure phare du Pacte écologique de Nicolas Hulot en 2007, la taxe carbone est inscrite dans le projet de loi Grenelle I, actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Le Livre blanc, un document d’une douzaine de pages, présente les enjeux et les questions posées par cette nouvelle imposition. Parmi les interrogations, figurent la définition de l’assiette de l’impôt (produits et/ou secteurs concernés), l’intégration de l’énergie nucléaire et la répartition de la charge entre les ménages et les entreprises. Une contrainte toutefois, la taxe devra se faire à taux de prélèvement obligatoire constant. Les recettes nouvelles devront financer en contrepartie la baisse d’autres impositions, «afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises», conformément au souhait de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, un système de redistribution aux ménages défavorisés est prévu via un «chèque vert», une mesure saluée par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. Evoquée plusieurs fois par le Président de la République, l’hypothèse de substitution de la taxe professionnelle [29 milliards de recettes] par la taxe carbone [entre 6 et 12 milliards selon les estimations], ne semble plus à l’ordre du jour. «La réforme en cours de la taxe professionnelle est distincte du projet de création de la CCE» a indiqué Christine Lagarde, ministre de l’économie. «Il vaudrait mieux choisir comme facteur variable un impôt plus simple», estime pour sa part Michel Rocard. Jean-Louis Borloo a enfin prôné l’harmonisation de cette disposition à l’échelle européenne, conformément à l’un des vœux du Medef. Plusieurs pays européens (Danemark, Suède, Royaume-Uni) ont d’ailleurs déjà mis en place un système comparable. Un débat est également en cours en Allemagne. La conférence de consensus des 2 et 3 juillet se répartira en deux ateliers, l’un consacré à l’intérêt général de l’outil, le second aux effets de sa mise en œuvre sur l’environnement, les comportements et l’économie. Une vingtaine d’experts et de représentants du monde économique et de la société seront présents, des centaines d’autres seront auditionnés. Leurs propositions «qualitatives» seront restituées la semaine suivante. Michel Rocard a évoqué la possibilité d’une seconde conférence pour définir des objectifs «quantitatifs». Le but étant d’inscrire la mesure dans la loi de programmation de finances pour 2011. Les acteurs de la société civile sont invités à donner leur avis sur le Livre blanc jusqu’au 24 juin. Une des pistes consisterait à augmenter les taxes sur les énergies. «La Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) (gazole, super sans plomb et fioul) ne représente que 3,5% de nos prélèvements obligatoires, tandis que la main d’œuvre sert d’assiette à 38% de nos prélèvement», remarque Michel Rocard. Le fioul domestique est ainsi taxé à 21 euros/tonne de CO2 en France contre 56 €/t en moyenne dans l’UE et 131 €/t en Suède. Reste à déterminer l’impact environnemental d’une telle mesure. Sceptique, UFC-Que Choisir souligne que «la consommation totale de gaz des ménages a continué de croître (+ 2,7%) entre 2004 et 2007 alors même que le prix a flambé» sur cette période. Autre question centrale: l’articulation entre la CCE et le dispositif européen de quotas de carbone, par rapport auquel Michel Rocard se montre d’ailleurs critique: «Le risque de spéculations rend le système moins offensif et un prix trop faible de la tonne de CO2 moins dissuasif.» La fédération d’associations France nature environnement (FNE) se félicite que la réflexion se soit engagée sur la CCE, mais elle met en garde contre le risque d’effets pervers liés notamment à la substitution de la taxe professionnelle. «La CCE ne doit pas avoir pour finalité de remplir les caisses de l’Etat, souligne Arnaud Gossement, porte-parole de FNE. La ‘bonne’ CCE est celle qui disparaîtrait à terme, son objectif étant de réduire la consommation d’énergie.» Selon FNE, la fiscalité verte en France représentait seulement 2% du PIB en 2005 pour une moyenne de 2,6% dans l’Europe des 15. (1) à distinguer de la taxe carbone aux frontières de l’Europe ou taxe Cambridge qui vise à réduire les risques de fuites de carbone des secteurs ETS les plus exposés (2) Système communautaire d’échange de quotas d’émission ou Emission Trading Scheme (ETS)