Pollution, détérioration des paysages et des milieux, appauvrissement de la biodiversité, vache folle… L’agriculture productiviste, qui exploite la terre comme on exploite un filon minier, jusqu’à épuisement, a des conséquences dévastatrices sur l’environnement, les écosystèmes… et les consommateurs ! Pour éviter la catastrophe, l’agriculture du XXIe siècle doit répondre à un double défi : pérenniser ses propres ressources environnementales, tout en continuant à produire de plus en plus, pour nourrir la planète. La difficulté est de taille – mais la thèse des auteurs de ce livre est qu’il existe des solutions. Aujourd’hui, on voit réussir des entreprises agricoles d’un genre nouveau, plus petites, orientées vers la qualité, les méthodes biologiques, la distribution locale. Et si les subventions gouvernementales allaient à ces petites entreprises plutôt qu’aux exploitations gigantesques qui distribuent leurs produits dans toute l’Europe ? La résorption de la « fracture agricole » dépendrait alors avant tout de choix politiques ?
Extrait du livre : Crise de civilisation
Introduction au livre par les auteurs Vincent Gallon [[Diplômé en sciences politiques, en droit européen et en marketing, Vincent Gallon est juriste et journaliste économique. Il s’intéresse particulièrement aux problématiques liées à l’environnement et au développement économique.]] et Sylvie Flatrès [[Sylvie Flatrès est chargée des questions agricoles et législatives dans le secteur de la protection de l’environnement. Elle est diplômé de l’Institut d’études politiques de Lyon et de l’Institut d’études européennes de Bruxelles.]] « Les paysans montent à Paris ». Cela pourrait être le titre d’un article de presse, une nouvelle finalement assez banale – enfin, pas si banale peut-être : la France a l’habitude des manifestations de paysans, mais quand ils viennent à Paris, c’est en général qu’ils sont très fâchés. Mais ce n’est pas le titre d’un article : c’est l’accroche en rouge et lettres capitales d’une affiche. Sous ce slogan, une illustration en noir et blanc montre un char d’assaut et des fourches, celle qui prolonge le second A du mot LARZAC, lui aussi écrit en capitales, et qui forme la base de l’illustration. Le reste de l’affiche dévoile le contexte : « Contre l’extension du camp militaire du Larzac », « Soutenez-les »… Le combat du Larzac a duré dix ans. Il s’ouvre le 6 novembre 1971, moins de dix jours après l’annonce par Michel Debré, alors ministre de la Défense, du souhait du gouvernement d’agrandir le camp militaire. Ce jour-là, 6000 personnes manifestent à Millau à l’appel de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de l’Aveyron. La lutte prend fin le 3 juin 1981, quand François Mitterrand, qui vient d’être élu à la présidence de la République, déclare en conseil des ministre que le projet est abandonné. Dans la foulée de 1968, le combat du Larzac a réuni des militaires gauchistes de toutes obédiences, des pacifistes que la lutte antinucléaire ne tarda pas à convertir en écologistes, et même un militaire engagé, compagnon de la Libération, le général Jacques Pâris de Bollardière. Mais le Larzac, c’est avant tout une lutte de paysans qui refusent d’être expulsés de leur terre. En mars 1972, ceux concernés par l’extension du camp ont juré de ne jamais céder, quelles que soient les conditions proposées : c’est « le serment des 103 ». La lutte a été marquée par plusieurs moments forts, mais le rassemblement de 80 000 personnes au Rajal del Guorp organisé par les « travailleurs paysans » fait partie des plus emblématiques. Trente ans plus tard, c’est à cet événement que la Confédération paysanne et un collectif d’associations et de syndicats souhaiteront faire écho en réunissant plus de 200 000 personnes sur le plateau, du 8 au 10 août 2003, pour réfléchir aux impacts de la libéralisation du commerce sur leur vie quotidienne. Le 24 juin 1990, d’autres paysans sont montés à Paris, mais pour une opération de communication cette fois : la « Grande Moisson des Champs-Elysées », organisée par les Jeunes Agriculteurs. Il s’agissait de reprendre contact avec les citadins, de montrer des paysans qui récoltent leur blé au volant d’engins de plus de 16 tonnes. Un hymne à « l’agriculture moderne » tant décriée. Malgré l’énorme succès médiatique et populaire de cet événement, ce n’est qu’un feu de paille, qui n’inverse pas la tendance du désamour croissant entre les français et leurs agriculteurs. Désamour mais aussi incompréhension, qui ne font que croître et qui culmineront probablement avec la « crise de la vache folle » de 1995-1996. La mise en parrallèle de ces événements, par ailleurs totalement indépendants, a le grand mérite de rendre imédiatement perceptibles deux façons bien différentes de se vivre et de se penser paysan aujourd’hui. L’évolution récente du secteur agricole a fait naître de nouvelles interrogations : le débat s’est cristallisé sur le rapport avec la nature, mais c’est en réalité tout le sens du métier qui est interrogé. Qu’est-ce que cela veut dire, être agriculteur aujourd’hui ? La réponse, on le voit bien, n’est pas identique pour tous les agriculteurs. La seconde moitié du XXe siècle a été marquée par l’apparition et le développement de méthodes culturales inédites, reposant sur des variétés végétales et animales sélectionnées pour leur haute productivité, sur une mécanisation poussée des exploitations et sur l’usage intensif des engrais, des produits phytosanitaires et vétérinaires. L’agriculture s’est artificialisée, elle s’est coupée à la fois des écosystèmes et de son histoire. Les agriculture française et européenne ont été remodelées sur le modèle de l’agriculture américaine, et avec l’ambition de la concurrencer, sans bénéficier pour autant des mêmes avantages en terme d’espaces et de climat. L’autonomie économique des paysans a été brisée, et le secteur agricole intégré à l’ensemble de l’économie marchande. Depuis les années 1950, toutes les productions agricoles, sauf peut-être la production viticole, ont augmenté dans des proportions qui permettent à la France, non seulement de satisfaire la croissance de la demande intérieure, mais encore d’être l’un des premiers exportateurs mondiaux de produits alimentaires. Mais cette hausse a été obtenue grâce à des gains de productivité du travail considérables : pendant que la production croissait fortement, les emplois dans le secteur agricole se sont effondrés. La population active agricole est tombée de plus de 6 millions en 1945 à environ 1 million en 2005, alors que, sur la même période, la population française est passée de 42 à 62 millions. Tout comme son homologue américaine, l’agriculture française est devenue une grosse consommatrice d’intrants chimiques (engrais, pesticides, produits vétérinaires, hormones, etc.), et une grosse utilisatrice de matériel et de constructions spécialisées. Elle participe ainsi à la puissance de tout un ensemble d’industries connexes. En fait, disposant d’une surface agricole bien moins vaste que les Etats-Unis, la France a davantage intensifié son agriculture, mettant à profit tout ce que la chimie avait à lui offrir. Le pays est devenu l’un des plus gros utilisateurs de pesticides au monde. Chaque année, les agriculteurs français en dispersent presque autant que leurs homologues américains, mais sur une surface environ dix fois moins grande. En quelques années, le monde agricole français s’est donc transformé, au prix d’un effort considérable. Dans un premier temps, cette mutation a été plutôt bien acceptée, parce qu’elle semblait inéluctable dans le mouvement général de modernisation et de développement économique, et parce que les politiques publiques qui l’ont accompagnée donnaient satisfaction aux fractions les plus puissantes de la profession. Mais les difficultés sociales et écologiques qu’elle a entraînées ont peu à peu profondément divisé les agriculteurs. Dans le même temps, la société française elle aussi s’est transformée. Et une sensibilité nouvelle est apparue et a monté en puissance : l’écologie. Dans les années 1970, les réflexions sur l’environnement ont quitté les cercles spécialisés et se sont diffusés assez rapidement dans une société que les premiers chocs pétroliers, les premières marées noires et de graves accidents industriels interpellaient. Au milieu des années 1980, les agriculteurs commencent à être questionner sur ce thème. Si certains d’entre eux se sentent attaqués et s’enfoncent dans le déni, d’autres perçoivent que le débat environnemental est révélateur d’une crise plus profonde, qui concerne aussi bien les paysans que les citadins. Quand des écologistes, des économistes ou des philosophes comme Edgar Morin expliquent que les succès quantitatifs de la civilisation industrielle et consommationniste de type occidental (augmentation de la production, du Produit intérieur brut (PIB), de l’espérance de vie, etc.) se doublent d’échecs de plus en plus perceptibles en termes qualitatifs, environnementaux et sociaux, certains paysans entendent l’écho de leurs propres préoccupations concernant la Politique agricole commune (PAC). Une prise de conscience de la dégradation écologique, de la crise de l’emploi et du dépérissement des campagnes apparaît, qui finit par entraîner des mouvements de résistance au sein du monde paysan lui-même, avec, bien souvent, la volonté de réorienter la politique agricole pour favoriser l’émergence d’une agriculture plus durable. C’est cette bataille pour l’agriculture du futur que nous souhaitons décrire dans cet ouvrage. La fracture agricole, les Lobbies face à l’urgence écologique de Vincent Gallon et Sylvie Flatrès. – Editeur : Delachaux et Niestlé – Date de publication : 15 mai 2008 – 272 pages – EAN13 : 9782603015711 – Prix public : 19 €