Depuis 2021, l’Institut Mines-Télécom organise un forum sur une problématique de la transition écologique, abordée de manière critique et pluridisciplinaire. L’édition 2023 a rassemblé plus de 2000 élèves invités à se projeter en 2040, dans un monde vivable où le vivant occuperait une place centrale, renversant ainsi en profondeur le paradigme des années 2020 où le numérique et les technologies priment. Synthèse des sujets abordés et des débats.
Forum « l’Ingénieur et le Vivant » Revisiter la relation entre l’ingénieur et le vivant, immersion en 2040.
Rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) en anglais En s’appuyant le rapport conjoint 2021 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) les intervenants du Forum en appellent à une gestion intégrée du changement climatique et de la perte de biodiversité. La nature décline très rapidement, mettant en péril la santé des écosystèmes, provoquant dès à présent des effets graves sur les économies et les moyens de subsistance. Sécurité alimentaire (les services écosystémiques que sont la pollinisation et la fertilité des sols s’effondrent), santé, qualité de vie sont profondément dégradés. Fort de ce constat, l’Institut Mines-Télécom, à l’instar du monde académique, repense la place du vivant dans les cursus d’enseignement et organise ce Forum. Manifeste Former l’ingénieur du 21ème siècle Climatsup-INSACompte-rendu des débats
La biodiversité, un des piliers du développement durable
En introduction du Forum, les experts soulignent que sur les 17 ODD (objectifs de développement durable de l’ONU), les 2 dédiés à la biodiversité, terrestre et marine, sont indispensables à la réalisation des autres. Pour eux, chaque année compte pour préserver l’équilibre de la biodiversité en agissant sur les leviers individuels et collectifs à l’échelle des Etats et des entreprises. Dans ce contexte, les acteurs académiques se doivent de réfléchir à la manière de faire dériver les formations d’écoles d’ingénieurs. Il s’agit d’inscrire les cursus dans une logique de coopération pour accroître la résilience et la robustesse des écosystèmes. Ce parti pris implique de repenser le rapport aux technologies, y compris sur les effets rebond (une technologie améliorée est adoptée plus largement et consomme donc au final plus de ressources).Remettre de la complexité dans les écosystèmes
La transition numérique a transformé le rapport au monde avec des technologies complexes (robotique, génétique, …) qui ont pour effet de simplifier à outrance la perception des écosystèmes et les échanges entre le vivant, soulignent les scientifiques invités à ce Forum. Par exemple, l’agriculture de précision (utilisation de drones, IA, …) appauvrie et homogénéise les paysages qui perdent en diversité et en résilience ; un écosystème fragilisé est alors plus sensible aux pressions exogènes, ainsi une population animale contrainte dans ses déplacements où voyant ses lieux de vie réduits, n’aura plus d’échanges avec ses congénères avec pour conséquence, un appauvrissement de la diversité génétique.La 3éme voie du vivant
Nous vivons dans une société technophile où la performance est valorisée selon les conférenciers. Or, la performance est souvent contre-productive, car pour l’atteindre tous les moyens seront mis en œuvre, y compris ceux qui ne sont pas adaptés et qui produisent les effets inverses. Comme l’explique la loi de Goodhart, « quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure ». Par exemple, un sportif pour être performant pourra vouloir se doper et mettre sa santé en danger. Une industrie pourra se concentrer sur le développement en masse d’un produit à succès au détriment de la qualité. C’est pourquoi, les intervenant sont unanimes : l’ingénieur de demain devra réinventer la notion de progrès entre robustesse et performance. Ainsi des appareils réparables sont-ils plus robustes mais moins performants. Les intervenants du Forum dégagent ainsi trois grands principes de robustesse pour innover : la circularité (intégrant les effets rebonds), le collectif permettant de canaliser la performance individuelle et l’adaptabilité aux fragilités du système. La technique change de sens et les écoles d’ingénieurs intègrent de plus en plus les low-tech dans leurs cursus. A l’Institut Mines-Télécom par exemple, son école d’été 2022 sur l’enseignement de la transition écologique était organisée en partenariat avec le Forum des Usages coopératifs Low Tech Lab. En outre, à Mines Saint-Etienne, un projet de recherche collaborative est mené pour cerner le concept en proposant un premier cadre d’évaluation des démarches low-tech. L’état des lieux vise à apporter des éléments de définition et à identifier les principes qui y sont rattachés, tant dans la littérature que pour ceux qui les pratiquent.Performance vs robustesse
Le vivant au cours de l’évolution, n’a pas été sélectionné sur sa capacité à être performant mais à être robuste. Le panneau solaire photovoltaïque offre un rendement entre 13 et 18% alors que dans la nature, les plantes n’atteignent pas 1% mais elles peuvent toutefois, gérer les fluctuations lumineuses et biologiques. L’adaptabilité du vivant se construit contre la performance, elle repose sur l’hétérogénéité, l’incertitude, la redondance, la lenteur, l’incohérence, …et doit constituer une source d’inspiration pour l’humanité qui ne peut rester dans une logique de performance que véhicule la notion de développement durable. Les différents scientifiques du Forum estiment que plus on augmente en performance, plus la viabilité de l’humanité est compromise. Les intervenants proposent ainsi une troisième voie où la technologie devra être robuste. Ils mettent toutefois en garde, car certes, si les inventions s’inspirant du vivant par bio mimétisme permettent d’imaginer des solutions créatives et efficaces, il ne faut pas comparer le vivant à une machine qui peut être améliorée. En effet, par analogie, la physiologie est assimilée à de la plomberie, le métabolisme à une question d’énergie, l’échange d’information entre êtres vivants à de l’informatique. Or, cette analyse ne convient pas à un monde fluctuant et turbulent. A vouloir améliorer, optimiser, contrôler, on finit par trop simplifier les problèmes et à en créer de nouveaux. La performance s’enferme dans une voie trop étroite.S’adapter aux contraintes d’un monde fini
Les invités du Forum ont également fait valoir que les technologies sont voraces en énergie et minerai par rapport au vivant et vont même jusqu’à créer des raretés (le cuivre par exemple alors qu’il est abondant) car peu adaptées aux limites planétaires. Le vivant quant à lui se montre économe en ressources. Il peut fabriquer quantité de matériaux aux propriétés, couleurs, grandeurs, différentes. Dans cette perspective, il faut penser en terme de systèmes qui interagissent et modifier les processus industriels les plus coûteux en ressources.Et le métier d’ingénieur en 2040 ?
Dans cet exercice de prospective, les intervenants ont imaginé le futur du métier d’ingénieur qui se serait lui aussi adapté et pourrait s’être restructuré en 4 grands secteurs :- Ingénierie généraliste / conventionnelle
- C’est le modèle actuel de l’ingénierie.
- Ingénierie de reconversion
- L’objectif consiste à rediriger les outils de production au service de la société et du vivant et de s’adapter aux impacts inéluctables des changements climatiques. Par exemple, une usine de production de smartphones obsolescents sera reconvertie en unité de production d’appareils réparables et recyclables.
- Ingénierie de permanence
- La référence est directe à la permaculture ; il s’agit de concevoir et produire des biens ou des services en utilisant moins d’énergie et plus de matériaux respectueux de l’environnement et du social afin de préserver les besoins des écosystèmes et réconcilier l’humain avec le reste du vivant.
- Ingénierie de conception circulaire/non vorace
- Avec un cycle de vie circulaire des matériaux et des ressources, les composants des produits sont recyclés ou réattribués à d’autres productions. Il s’agit également de réparer les systèmes socio-écologiques.
Les élèves de l’Institut Mines-Télécom
Après les conférences, les élèves avec les équipes enseignantes de chaque école, ont travaillé en atelier. Leurs travaux viendront alimenter l’observatoire des métiers de l’Institut Mines-Télécom et sa prochaine étude prospective « Ingénieur.e IMT 2040 ». Dans cette étude, les enjeux de la transition écologique et sociale y auront une place prépondérante.Antoine Fricard, chargé de mission Transition écologique à l’Institut Mines-Télécom : « L’Institut Mines-Télécom est un acteur engagé de la transition écologique depuis plusieurs années. Nos enseignements ont déjà évolué, les dimensions écologique et sociétale sont intégrées à chaque discipline. Avec ces Forums annuels, nous prenons un temps nécessaire à la réflexion en mettant notre pensée critique à rude épreuve en proposant des pistes d’exploration et de prospectives. Elles sont indispensables aux futurs ingénieures, ingénieurs et managers responsables, qui auront la lourde mission de faire évoluer leur pratique et les pratiques en entreprises, et plus largement, dans la société. »
Forum 2023, sur le thème « L’ingénieur et le vivant »
Table ronde ‘Revisiter la relation entre l’ingénieur et le vivant‘, avec :- Luc Abbadie – Professeur des universités à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris
- José Halloy – Professeur de physique à l’Université de Paris Cité et cofondateur du Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain
- Olivier Hamant – Directeur de recherche à l’INRAE dans le laboratoire de reproduction et développement des plantes au sein de l’ENS de Lyon
- Kalina Raskin – Directrice Générale du Centre d’études et d’expertise en biomimétisme
- Hélène Soubelet – Directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité
- Max Mollon (animateur) – Chercheur indépendant au laboratoire des Déviations écologiques et responsable du workshop Controverse Contemporaine de Sciences Po Paris
À propos de l’Institut Mines-Télécom
L’Institut Mines-Télécom est le 1er groupe public de Grandes Écoles d’ingénieurs et de management de France placé sous la tutelle du ministère de l’Économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, il est constitué de huit Grandes Écoles publiques: IMT Atlantique, IMT Mines Albi, IMT Mines Alès, IMT Nord Europe, Institut Mines-Télécom Business School, Mines Saint-Étienne, Télécom Paris et Télécom SudParis, et de 2 écoles filiales : EURECOM et InSIC. Il anime et développe un riche écosystème d’écoles partenaires, de partenaires économiques, académiques et institutionnels, acteurs de la formation, de la recherche et du développement économique. Créées pour répondre aux besoins de développement économique et industriel de la France depuis le 19e siècle, les Grandes Écoles de l’Institut Mines-Télécom ont accompagné toutes les révolutions industrielles et des communications. Par la recherche et la formation d’ingénieures, d’ingénieurs, de managers, et de docteures et docteurs, l’Institut Mines-Télécom répond aux grands défis industriels, numériques, énergétiques et écologiques en France, en Europe et dans le monde. Aujourd’hui l’Institut Mines-Télécom, fort de ses 10 écoles, imagine et construit un monde qui concilie sciences, technologies et développement économique avec le respect de la planète et des femmes et des hommes qui l’habitent. Il est doublement labellisé Carnot et forme chaque année plus de 13 300 élèves.- www.imt.fr