Les fruits du jatropha, petit arbre sauvage, regorgent d’une huile qui pourrait devenir le biocarburant des zones arides. En Inde, on y croit. A l’heure où la planète cherche une alternative bon marché au pétrole, lequel risque de devenir cher et rare, ce végétal des zones arides s’affirme comme le candidat surprise au rôle de biodiesel du futur.
«Jamais je n’aurais cru que quelque chose d’utile pouvait pousser sur cette terre», lâche Kanku Bai en inspectant les arbustes verdoyants qui parsèment le terrain communal de Manavaton Ka Guja, petit hameau perdu du Rajasthan, dans l’ouest de l’Inde. L’été dernier, le conseil du village a planté des dizaines de milliers de pousses de Jatropha curcas sur ces terres arides et impropres à l’agriculture. Un arbuste bien connu dans la région, puisqu’il y pousse naturellement. «On utilise traditionnellement l’huile de ses graines comme lessive, ses feuilles pour soigner certaines maladies des troupeaux, et sa résine pour enduire les plaies et les morsures de serpent», explique Ganesh Gujjar, d’un village voisin. Les animaux ne la mangeant pas, certains la plantent autour de leurs champs pour éloigner les vaches et les chèvres, au même titre que les cactus. Les villageois ne se doutaient pas que cette plante ferait un jour rêver chimistes et écologistes… Un candidat surprise A l’heure où la planète cherche une alternative bon marché au pétrole, lequel risque de devenir cher et rare, le jatropha, végétal des zones arides, s’affirme comme le candidat surprise au rôle de biodiesel du futur. En Afrique subsahélienne, des industriels de la production de biocarburants, tel le britannique D1 Oils, prévoient de cultiver la plante sur des dizaines de milliers d’hectares. En Inde, elle est devenue l’objet d’un ambitieux programme de recherche national et de spéculations industrielles. Confronté à des besoins énergétiques colossaux pour soutenir son boom économique, le pays envisage désormais la possibilité de cultiver cette plante sauvage à grande échelle. Non pas qu’elle puisse se substituer aux 55 millions de tonnes de diesel que consomme le pays chaque année, mais elle pourrait en remplacer une partie, ce qui est appréciable pour un pays où les hydrocarbures représentent un tiers des importations. «Même si le jatropha ne fournit à terme que 1 % ou 2 % de la consommation de diesel , ce serait une réussite comparable aux éoliennes ou au nucléaire», souligne Jyoti Parikh, de l’institut de recherche Irade (Integrated Research and Action for Development). Dans ce contexte, le jatropha apparaît comme une plante susceptible de réduire la facture énergétique tout en mettant à profit les zones non cultivables et en fournissant un revenu à des millions de paysans. L’arbuste a une durée de vie de quarante à cinquante ans, et une petite taille qui facilite la récolte de ses fruits. L’huile issue de ses graines, non comestible, ne concurrence pas le secteur alimentaire, contrairement à d’autres biocarburants tels le tournesol et le colza. Et elle offre «des avantages majeurs comme carburant», estime V. Vankatesan, consultant pour le gouvernement indien sur les biocarburants. «Sa combustion est complète, avec des émissions réduites. Son indice de cétane [mesure de la qualité de l’allumage, ndlr] est excellent. Et on peut l’incorporer dans du diesel jusqu’à hauteur de 20 % sans avoir à modifier les moteurs.» De surcroît, les produits secondaires (glycérine) sont valorisables. Enthousiaste, le gouvernement indien a annoncé dès 2005 son projet de lancer une mission nationale d’étude du jatropha qui prévoit de planter 400 000 hectares sur cinq ans le temps nécessaire pour savoir si l’aventure est viable, puisque les premiers fruits n’apparaissent qu’au bout de trois ans. Si c’est le cas, le potentiel serait colossal : le pays dispose d’au moins 65 millions d’hectares de terres non cultivables disponibles pour le jatropha. D’après les projections, l’Inde pourrait diluer son diesel avec 10 % de jatropha d’ici quinze ans.